Au cours de la session inaugurale de l’UNGASS de 2016 sur les drogues, le président mexicain a frappé fort. En plus d’annoncer que son pays va réguler le Cannabis, il fait remonter dix recommandations essentielles à l’ONU pour réorienter ses stratégies vers le bien-être final des populations. Deux jours plus tard, il annonçait dans la capitale mexicaine le détail des mesures prévues.

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À l’occasion de l’ouverture de la session extraordinaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies consacrée à la problématique des drogues, le président du Mexique a fait le déplacement — chamboulant à la dernière minute son agenda — pour adresser un message fort à la planète : le monde doit réorienter ses stratégies en matière de drogues.

Pour Enrique Peña Nieto, président de la République des États unis du Mexique, l’objectif de cet UNGASS, convoquée conjointement par son pays aux côtés de la Colombie et du Guatémala, est non seulement de réviser la stratégie internationale actuelle (lancée en 1998, renouvelée en 2009 et en vigueur jusqu’en 2019), mais en plus de “définir des nouvelles solutions, depuis une perspective de Droits humains, de prévention et de Santé publique, qui mettent au centre le bien-être des personnes”. Il continue en expliquant que “indéniablement” au cours des dernières années, “les termes du débat ont évolué, et a commencé à surgir un consensus en faveur d’une réforme significative du régime international de contrôle des drogues.

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Mon pays fait partie des nations qui ont payé un prix élevé. Un prix excessivement élevé en termes de tranquillité, souffrance, de vies humaines, de vies d’enfants, de jeunes, de femmes et d’adultes.

 

Jusqu’alors, le Mexique consacrait 80% de ses énormes ressources destinées aux drogues (et financées par certains pays voisins) à des mesures de répression, au détriment de la santé. Le président mexicain le sait bien, le pays ne sera jamais libre du narcotrafic, malgré tous les efforts répressifs mis en place, tant qu’il y aura une demande aussi forte, et croissante, à l’international — tous les yeux se tournent évidement vers, encore, ces USA voisins, de très loin le premier pays consommateur des drogues produites ou transitant par le Mexique. Le président Peña Nieto glisse ensuite que “dans le cadre du paradigme actuel, il est nécessaire que les pays consommateurs assument une plus grande compromission”.

Tout au long du processus préparatoire qui se tient à la Commission des Stupéfiants de Vienne, au cours des trois dernières années, le Mexique avait été un des pays à la pointe des négociations, sans qui la déclaration de l’UNGASS serait sans doute bien pire que ce qu’elle est. Les négociateurs mexicains ont du faire face parfois de façon très isolée à la Chine, à la Russie ou au Pakistan, très actifs de l’autre côté des négociations. Et jusqu’à ce jour à l’UNGASS, l’exécutif mexicain s’est montré très ouvert, en particulier à la société civile (que les délégations mexicaines de Vienne et de New-York a aidé et soutenu). C’est sans doute la moindre des choses dans un pays où défenseur des droits de l’Homme est l’assurance d’une mort violente quasi certaine. Enrique Peña Nieto a tweeté « Toute ma reconnaissance aux spécialistes, universitaires et à la société civile, qui ont apporté des idées et le cap vers un nouveau consensus » :

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Au nom du Mexique meurtri par une décennie de guerre aux drogues, à la tribune de l’Assemblée des Nations Unies, il suggère dix recommandations :

  1. Le « problème mondial des drogues » est aussi une question de mondialisation, et exige que la communauté internationale réaffirme le principe de responsabilité commune et partagée, à travers une coopération internationale plus intense et efficace ;
  2. Il faut renforcer le front commun face au crime organisé transnational, fermer les espaces où se déploient leurs opérations financières, et les crimes liés (comme le financement du terrorisme) ;
  3. Les agences spécialisées de l’ONU doivent coopérer et collaborer plus avant, pour aborder la problématique sous tous ses aspects (et il cite l’OMS, l’OICS, le programme de l’ONU pour les Femmes, le PNUD) ;
  4. Les politiques publiques et actions dérivées des politiques internationales de l’ONU doivent s’aligner avec les efforts de ces mêmes Nations Unies en faveur du développement durable, dans le cadre de l’Agenda 2030 ;
  5. Il faut s’occuper des dommages sociaux associés au marché illicite des drogues. Pour les communautés vulnérables aux réseaux de trafic de stupéfiants, une prévention sociale intégrale doit être appliquée à la violence, l’exclusion et l’affaiblissement du tissu social. Il est nécessaire de soutenir les communautés et personnes affectées avec des alternatives éducatives, laborales ou récréatives qui visent à renforcer l’inclusion des personnes et la cohésion sociale ;
  6. Face aux limites du paradigme prohibitionniste, il faut répondre à la thématique drogues depuis une perspective de Droits humains. Ce changement de fond implique de modifier le focus sur la question, jusqu’alors éminemment porté sur la sanction, pour placer l’individu, ses droits et sa dignité au centre des politiques publiques.
  7. L’usage de drogue doit être essentiellement traité comme une affaire de santé publique, en considérent qu’il puisse constituer une menace puor le développement des personnes, spécialement des jeunes. Il faut mettre en place des mécanismes d’aide, de prévention et des solutions thérapeutiques intégrales, au lieu des instruments pénaux, qui, en criminalisant l’usager, freinent également le développement de sa personnalité.
  8. La proportionnalité des peines et les alternatives à l’emprisonnement sont à privilégier pour les délits liés aux drogues. Dans ce sens, les politiques doivent intégrer une forte perspective de genre ;
  9. Il faut joindre les efforts au niveau international, pour prévenir l’usage de drogues, à travers une campagne à destination des jeunes et des enfants, au niveau mondial ;
  10. Il faut assurer la disponibilité des substances contrôlées, pour les usages médicaux,  tout en évitant leur dispersion ou leur trafic.

Ces propositions dérivent en partie d’un grand débat national sur le cannabis qui s’est tenu depuis la fin-2015 au Mexique, convoqué par le gouvernement, et incluant des experts, des membres des milieux académiques et universitaires, et des représentants de la société civile. Mais au delà de ces recommandations à destination de l’UNGASS, ce grand débat avait aussi pour finalité de marquer le début d’une période de changements politiques sur la question du Cannabis au Mexique, et des stupéfiants plus largement. Enrique Peña Nieto explique en effet que, de la part du gouvernement, une nouvelle approche est à l’œuvre. Il s’agit, selon ses mots, de rester “décidés à combattre les criminels, mais, au lieu de criminaliser les consommateurs, leur offrir des opportunités et des alternatives”.

PENANIETOUNGALe gouvernement mexicain a tenu à convoquer ce débat avant d’envisager des réformes, mais, surtout, Enrique Peña Nieto a tenu à “se faire la voix, à l’occasion de cet UNGASS, de tous ceux qui ont exprimé la nécessité d’actualiser le cadre normatif, et pour autoriser l’usage de la marijuana à des fins médicales et scientifiques”.

De retour au Mexique, jeudi 21, le président a annoncé le détail des mesures de réforme prévues . Nous expliquons tout cela dans cet article. La première réaction de la société civile mexicaine et de ceux qui ont pris part à ces débats nationaux, à l’écoute de ce discours, fut une déception d’entendre restreint aux fins “médicales et scientifiques” les projets de réforme, ne reflétant pas totalement l’appel à une réforme globale exprimé par une vaste majorité du pays. Cependant, il est fort probable que la proposition de l’exécutif reste modeste, et que le débat législatif vienne l’enrichir, d’abord à la Chambre des députés (qui ne manquerait pas d’incorporer une récente décision de la Cour Suprême mexicaine déclarant que la pénalisation des activités liées à l’usage personnel non-médical est anti-constitutionnelle) puis au Sénat (dont le président, du parti d’opposition, porte par ailleurs une proposition de loi sur le même sujet, qui pourrait se fondre dans le projet de loi à venir du gouvernement).

Voir le détail du projet de loi de régulation du Cannabis au Mexique

Une quantité de cannabis qui pourrait être considérée comme relevant d’un usage personnel, afin de ne pas criminaliser les consommateurs.

Le président a enfin suggéré une idée inédite, encore une fois issue de ces débats : « Les participants de ces forums ont également exposé l’importance d’accroître la conformité avec les normes internationales d’une quantité de cannabis qui pourrait être considérée comme relevant d’un usage personnel, afin de ne pas criminaliser les consommateurs« .

C’est sur cette note, cette proposition inédite issue directement de consultations populaires, que le président mexicain a terminé son discours, dénotant fortement par rapport au ton général de la bien morose déclaration politique de cet UNGASS. Pour aller plus loin, une vidéo :

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