Il y a un an, le ministère de la Santé de Catalogne avait émis des recommandations timides mais historiques en faveur des Cannabis Social Clubs, dans une région où près d’un demi-millier de ces « AMAP de la weed » officient. Désormais, grâce aux 50 000 signatures de l’initiative citoyenne #LaRosaVerda, le Parlement de Catalogne va débattre une loi visant à légaliser totalement les CSC dans la région.

Les débats dans l’hémicycle commenceront avant quatre mois, alors que sur le terrain, la répression aléatoire et frénétique impulsée par le gouvernement conservateur de Madrid contribue à creuser la brèche, et nourrit le désir catalan d’indépendance politique.

 

Sur la question des politiques en matière de cannabis, le décalage entre Madrid et Barcelone est criant. En effet, dans la communauté autonome espagnole de Catalogne, l’acceptation sociale d’un usage raisonné de cannabis, et le respect des choix individuels d’autrui sont la norme. Or, depuis 30 ans, dans toute l’Espagne mais plus particulièrement en Catalogne, les personnes faisant usage de cannabis ou le cultivant pour leur propre usage ont commencé à se rassembler au sein de ce qui allait devenir les Cannabis Social Clubs, des sortes de petites AMAP du cannabis, ou petits producteurs et usager-e-s se mettent d’accord pour établir un plan de culture collectif destiné à leur consommation commune. Discrets, non-lucratifs, prônant un usage responsable, respectueux de tous et souvent très bien intégrés socialement, ces Cannabis Social Clubs, organisés sous la forme d’associations, ont été très vite largement acceptés par la société, même s’ils se trouvent dans un statut de légalité fragile et mal défini.

Au cours des années, le débat public catalan sur la question des politiques à mener en matière de cannabis (prévention, réduction des dommages, soin et accompagnement) a intégré les avantages fondamentaux que peuvent apporter ces structures en termes d’auto-support, d’entraide mutuelle, et d’information/prévention sur les substances consommées (puisque le processus de production est maîtrisé du début à la fin). La normalisation législative apparaissait donc pour une grande partie des catalans comme une suite logique, qu’il fallait sans doute laisser mûrir quelques années.

Le chant du cygne de la prohibition.

C’était sans compter sur la fin de règne de Mariano Rajoy, chef du gouvernement néo-conservateur de Madrid, qui a tout accéléré. En attente d’un accord supposé entre les partis de gauche pour désigner son successeur (accord en négociation depuis 4 mois), Monsieur Rajoy, maintenu à son poste par intérim (alors que son mandat se terminait normalement en décembre 2015), s’est semble-t-il fixé comme but de s’offrir une jurisprudence anti-Cannabis Clubs, avant de partir.

Depuis l’été dernier en effet, c’est à travers le « Tribunal Suprême » que l’exécutif attaque une série de CSC, qui avaient pourtant été absouts par les tribunaux locaux (c’est le cas de Pannagh et Ebers au Pays Basque, et Three Monkeys en Catalogne). Les décisions du Tribunal Suprême opèrent un retour à une lecture brute de la loi espagnole sur les stupéfiants de 1967 (oui, une loi héritée de l’ère franquiste) en faisant fi des lectures plus souples et plus respectueuses des droits humains affirmées par les différents tribunaux du pays depuis un demi-siècle, avec la sortie de la dictature et le début de la période de transition démocratique.

Renforcés par ces sentences, les polices locales s’en sont donné à cœur joie, dans l’arbitraire le plus total, pour intervenir ou menacer d’intervenir dans les clubs, ordonner la fermeture par-ci, infiltrer les associations par-là : en un mot, réprimer de plus belle un fragile tissu associatif pourtant soutenu par les professionnels de la santé, par les populations et par les institutions locales.

En Catalogne, un des Cannabis Social Club pionniers de la ville de Barcelone, la MACA, a reçu un ordre de fermeture, tout comme le club G13, adhérent à l’association Chanvre & Libertés—NORML France et soutient du mouvement pour la réforme des politiques du cannabis. L’incohérence flagrante avec les politiques souhaitées au niveau local constitue un élément de plus dans la débat sur le statut d’autonomie (ou d’indépendance) de la région par rapport à l’État espagnol.

Madrid réprime, Barcelone régule.

En même temps que tombaient les décisions du Tribunal Suprême, les militants et militantes catalans parcouraient les rues pour recueillir les très formelles signatures de l’Initiative Législative Populaire (ILP) intitulée La Rosa Verda (la rose verte, en catalan). 50 000 signatures étaient requises, ce sont plus de 67 000 signatures qui furent présentées au Parlement catalan.

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Et le 5 avril, dans la capitale catalane, le Parlement de la communauté autonome espagnole a donné sa confirmation, validant quelque 54 807 des signatures recueillies par le mouvement cannabique catalan, marquant ainsi le début du processus législatif de régulation des cannabis social clubs dans la région.

Cette initiative législative populaire n’est pas seulement importante, elle commence à devenir urgente pour pallier au risque de plus d’arbitraire.

Quim Arrufat – CUP (parti indépendantiste anti-capitaliste catalan)

Le texte est désormais dans les mains du bureau du Parlement, qui vont le présenter aux différents groupes et recueillir leurs amendements en vue d’une première lecture en plénière, d’ici à quatre mois. Une fois approuvé en première lecture, il partira en commission pour être éventuellement revu et ré-amendé, avant d’être adopté définitivement en seconde lecture, en plénière, avant la fin 2016.

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Ce nouveau texte fera suite à une première prise de position historique de l’exécutif local, quand le Parlement et le Ministère de la Santé catalan santé avaient publié en janvier 2015 des guidelines pour aider et inciter les villes de Catalogne à réguler au niveau municipal les Cannabis Social Clubs, en leur suggérant un cadre de santé et de réduction des dommages. À l’époque, les deux fédérations catalanes de Cannabis social clubs, la CATFAC et la FEDCAC, s’étaient réjouies de la mesure, tout en regrettant que des amendements aient fait disparaitre du texte les dispositions de l’avant-projet portant sur la régulation du transport et de la culture du cannabis.

Mais désormais, plus question de demi-mesures : l’initiative La Rosa Verda reflète en effet un large consensus social, dérivé des meilleures pratiques et retours de terrain, et d’une synthèse des guides de bonne conduite édictés par différents organismes, universités ou ONGs. Elle se base sur la résolution précédente du Département de Santé, s’insère dans la jurisprudence en vigueur, et a été revue et révisée par toutes les organisations de la société civile concernées. La proposition inclut, pour la première fois en Espagne, des pistes de régulation des activités de culture, distribution, transport dans le cadre des activités des Cannabis Social Clubs. De même, des normes de culture sont prévues, un registre de contrôle et de distribution, des mesure d’hygiène et sanitaires, ainsi qu’un chapitre consacré aux programmes de prévention des risques et de réduction des dommages.

Au Parti Socialiste Catalan, nous espérons que le débat parlementaire pour approuver cette ILP soit rapide et fructueux.

Raúl Moreno, PSC

C’est sans doute pour ça que le consensus social s’étend au delà, se transformant en large consensus politique. Au sein du Parlement de Catalogne, 5 des 6 partis en présence sont favorables à une régulation (Parti Socialiste Catalan, Catalunya Si Que es Pot, CUP, Junts pel Sí, Ciudadanos), et ils représentent 124 des 135 sièges.

L’institution a l’obligation de reconnaître les réalités sociales existantes.

Albano Dante – Catalunya Si Que Es Pot (coalition Podemos)

Au delà même de la sphère politique, les paroles du juge Daniel Bartomeus, depuis son poste très neutre de président de la commission de contrôle des ILP, sont symptomatiques. Il a déclaré que le texte de loi suggéré par l’initiative était « très à propos » en ce qu’il mettait l’accent « sur un usage responsable du cannabis« , affirmant le besoin d’établir « un cadre légal sûr pour les consommateurs ».

Encore quelques mois de débat, cette fois ci parlementaire, avant, espérons-le pour nos voisin-e-s catalan-e-s, de pouvoir en finis une bonne fois pour toutes avec la répression, à travers plus de régulation, plus de consensus, plus de démocratie.

ParlamentoVascoEn attendant, restons à l’écoute de nos voisins espagnols, pas à court d’idées. Le Parlement de l’autre région fortement caractérielle du Pays basque, qui travaille aussi sur la question du cannabis depuis des années, a refait parler de lui deux jours après l’approbation de La Rosa Verda, le jeudi 7 avril, en incluant dans sa nouvelle « loi addictions » un article 84 posant les premières pierres juridiques d’une prochaine régulation des CSC. Et au niveau national, la plateforme Regulación Responsable nous réserve également une grande campagne pour la régulation dans toutes les régions d’Espagne.

L’association Chanvre & Libertés-NORML France est en tous cas très intéressée par les évolutions de nos voisins : l’an dernier nous avions invité Marti Canaves Llitra (avocat porteur de l’ILP La Rosa Verda) et Mattia Loetscher (CSC G13) en juin dernier pour une conférence à Toulouse, et cette année, en plus de projets internationaux communs avec plusieurs ONG espagnoles, nous avons initié un processus de réflexion visant à adapter le modèle des Cannabis Social Clubs au contexte français : les Assises « Cannabis Social Club, acte 2 » qui se dérouleront jusqu’à l’automne dans plusieurs villes de France.

 


 

Sources :

Crédit photos : Observatorio Civil de Drogas