Drug Reporter — Le 25 mars 2015

Interview par Iga Jeziorska

Traduit de l’anglais par Chanvre & Libertés

Chercheurs et patients usant du cannabis médical se sont rencontrés à la conférence de Prague sur le cannabis médical pour échanger autour des dernières évolutions dans ce domaine. A cette occasion, la reporter spéciale Iga Jeziorska a interviewé pour DrugReporter deux militants ayant participé à la création récente de la Coalition Internationale de Patients usant du Cannabis Médical (IMCPC).

Des médecins de plusieurs pays et diverses spécialités, des pharmaciens, des activistes et des patients se sont réunis entre le 7 et le 14 mars à Prague pour la Conférence Internationale sur le Cannabis Médical. Les débats et présentations de haut niveau portaient principalement sur des disciplines médicales spécifiques incluant l’oncologie, la dermatologie et le soin des troubles psychiatriques tels que le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) ou la psychose.

Depuis l’angle du mouvement pour la réforme des politiques relatives aux drogues, voir des professionnels soutenir l’usage de cannabis en tant que médicament, fournir des preuves scientifiques de son efficacité dans une grande variété de maladies et plaider pour un changement des lois constitue un aspect très positif.

Un des moments forts de cet événement fut le lancement de la Coalition Internationale de Patients usant du Cannabis Médical. Iga Jeziorska a interviewé deux des fondateurs de cette coalition pour DrogReporter. Les deux activistes français, Farid Ghehiouèche (membre fondateur de Cannabis Sans Frontières) et Kenzi Riboulet (chargé de relations internationales de Chanvre et Libertés), ont été impliqués dans le processus de création de cette nouvelle coalition de patients.

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Iga: La conférence sur le Cannabis Médical s’est terminée il y a trois jours. Nous sommes maintenant à Vienne (Autriche), pour la session annuelle de la Commission des Stupéfiants des Nations Unies. Quelle est votre ressenti par rapport à ces deux événements ?

Farid: En ce qui concerne Prague, c’était à mon avis la première conférence internationale sur le cannabis en médecine à être ce point ouverte au grand public. Il y a eu par le passé des manifestations pour les spécialistes et chercheurs ou pour les patients, mais désormais le terrain est prêt pour transmettre l’information sur les résultats provenant de la recherche aux gens ordinaires. Derrière nous il y a vingt ans d’enquêtes, de rapports, d’études et un niveau de connaissances croissant ; maintenant de nombreuses personnes sont au courant du potentiel thérapeutique de la plante de chanvre. Les gens ont également la possibilité d’effectuer leurs propres recherches, et peser le pour et le contre avec l’image fortement négative du cannabis véhiculée dans de nombreux pays, principalement à cause des conventions des Nations Unies.

La situation actuelle est la suivante: D’un côté nous avons des millions de personnes directement concernées par l’utilisation du cannabis en médecine et un nombre croissant de scientifiques s’intéressant au sujet, surtout à cause des recherches sur la manière de soigner certains cancers ou de soulager les gens qui en souffrent ainsi que de psychoses, de SSPT ou de nombreuses autres maladies comme le VIH ou l’Hépatite C. De l’autre, nous avons la sphère politique, et les attitudes toujours très négatives envers le cannabis.

Iga: Quand vous dites que c’était le premier événement de cette ampleur, pensez-vous que nous sommes témoins d’une sorte de virage dans la bonne direction, du point de vue de la réforme des politiques en matière de cannabis ?

Farid: Désormais nous sommes à l’ONU, je peux vous dire que nous sommes encore loin de voir se concrétiser ce genre de pensées. Cependant, ce qui est positif et apporte de l’optimisme c’est le fait que, lors de cette conférence à Prague, des patients, des ONG et diverses organisations militant pour l’usage thérapeutique du cannabis se sont réunis et ont décidé de créer un nouveau réseau international nommé International Medical Cannabis Patients Coalition (IMCPC). Lors de ces trois journées, nous avons participé à de nombreuses réunions qui ont abouti à l’établissement d’une déclaration qui représente le premier communiqué de ce groupe de patients…

Iga: …et un point de départ pour des activités futures?

Farid: Bien sûr. Si nous avons décidé d’aller à Prague avant Vienne, c’est aussi pour essayer de mobiliser les participants de la conférence de Prague à venir également à l’ONU. De même il était aussi clair pour moi que chacun à Prague devait être au courant que se tenaient cette année, au sein de cet appareil des Nations Unies, un événement annexe faisant une revue de l’utilisation du cannabis en tant médicament et une analyse de certains cas cliniques. L’année dernière avait déjà eu lieu un événement annexe, auquel le gouvernement d’Autriche avait participé, et l’un des orateurs était le Dr Eberhard Pirich, qui était également présent à Prague la semaine dernière. C’était la première fois qu’il y avait une si juste présentation des utilités que peut avoir le cannabis pour traiter la douleur et différents problèmes de santé. Je me souviens de M. Gilberto Gerra, le représentant de l’ONUDC pour la recherche et le soin, déclarant dans son discours d’introduction à cet évènement que, si nous parlons de cannabis en médecine, nous sommes sur la piste d’un trésor vert caché. Je pense que ces mots montrent la direction vers laquelle on doit tendre.

Kenzi: Le but de la coalition est d’obtenir un accès légal et sans danger au cannabis médical pour ceux qui en ont besoin, sur toute la planète, en suivant la liste de maladies que le cannabis peut soulager. C’est une liste compilée depuis plusieurs années par le comité scientifique de l’Association Internationale pour les Cannabinoïdes en Médecine (IACM). On voit qu’il existe déjà une organisation internationale sur la cannabis médical, composée de scientifiques soutenant et réalisant des recherches sur le sujet ; désormais, son pendant complémentaire sur le sujet existe : les patients.

Iga: Vous planifiez donc une coopération étroite avec cette association?

Kenzi: Bien entendu. Par exemple, la branche française de l’IACM, qui est l’UFCM (Union Francophone pour les Cannabinoïdes en Médecine), est l’une des autres organisations fondatrices de l’IMCPC. Leur appui est donc acquis depuis le début. La conférence à Prague, lors de laquelle a été créée la coalition, était organisée sous le haut-patronage du Ministre de la Santé tchèque et donc, depuis le départ, l’IMCPC intègre un lien fort entre médecins et les patients.

Toutefois, parmi les objectifs de la coalition on compte également le changement des conventions des Nations Unies, et une aide aux patients pour créer localement leur propres organisations de soutien, dans chaque pays.

Michael Krawitz, directeur exécutif de l’association nord-américaine Vétérans pour un Accès au Cannabis Médical (VMCA) et membre du bureau de l’IACM, a déjà présenté la coalition et ses projets lors d’une réception organisée par les gouvernements de la République Tchèque et du Royaume-Uni en marge de la Commission des Stupéfiants de l’ONU.

Iga: Qu’entendez-vous par des « organisations de soutien » ? Les voyez-vous comme quelque chose ressemblant aux Cannabis Social Clubs espagnols, comme des organisations pour acquérir cette médecine, ou pour le côté militant ?

Kenzi: Avant tout pour le côté militant. Nous souhaitons qu’elles puissent fournir une protection légale à leurs membres, qu’elles leur assurent une représentation adéquate en cas de problèmes pénaux, mais aussi qu’elles puissent rassembler les personnes à même d’aider à la formulation de propositions pour une réforme appropriée et raisonnable des lois dans chaque pays.

Iga: Vous vous concentrez donc sur les deux approches : la réforme partant d’en bas comme venant d’en haut ?

Farid: Oui, nous voulons approcher la réforme par tous les angles possibles, pour en optimiser l’efficacité et les chances de succès. Il faut garder en tête que l’an prochain à New-York, la Session spéciale de l’Assemblée Générale de l’ONU sur la question des drogues (UNGASS) représentera un point de pivot majeur au vu des politiques internationales relatives aux drogues, et il faut se concentrer sur cela. En clair, il faut pouvoir amener à New-York autant de représentants et d’activistes issus de la société civile que cela est possible, aussi bien que de nombreux usagers de drogues.

Iga: Dans quelle mesure l’IMCPC pense-t-elle coopérer avec des organisations actives dans le domaine des usages non-médicaux de cannabis ?

Farid: Cela dépendra, dans chaque pays, des orientations nationales. Nous essayons de défendre le droit de cultiver et de faire usage de plantes, et d’aider à stopper la prohibition qui est une forme de politique basée sur la morale et non sur les données ou connaissances scientifiques, et qui s’est avérée avoir des conséquences catastrophiques. Quant aux utilisateurs de cannabis, on voit clairement qu’ils représentent quatre-vingt pour cent des arrestations policières [pour infractions aux législations sur les stupéfiants, NDA] et de ceux faisant l’objet d’un procès ou envoyés en prison. Il faut donc parallèlement défendre ceux qui font usage de cannabis, sans préjuger du caractère médical de l’usage. Il s’agit d’abord de rétablir la disponibilité légale du cannabis, pour que les gens puissent bénéficier de ses diverses propriétés.