France. Automne 2015. Après des années de silence, les parlementaires s’emparent enfin du sujet « cannabis » en marquant la fin d’une longue période de gel total des politiques publiques relatives aux drogues en France. Quasiment inchangées depuis 2004, les lignes du Code de la Santé publique où sont inscrites les dispositions de la fameuse Loi de 1970 se mettent à bouger. Voici un petit résumé des avancées acquises, des reculs effectués, et des suites à espérer pour les mois et années à venir.

  1. La Loi de Santé, ou le renouveau de la Réduction des risques
  2. La transaction pénale, une dé-criminalisation timide et fragile
  3. Un climat politique propice à la dépénalisation de l’usage

Loi de Santé

Un accouchement difficile avec de nombreux rebondissements

Cette vaste loi Santé était porteuse d’un certain renouveau des politiques publiques concernant les stupéfiants en France, c’est pourquoi nous nous y sommes intéressés de très près.

Déposée en octobre 2014 par la ministre de la santé Marisol Touraine, la loi santé a entraîné de nombreux aller-retours parlementaires faisant apparaître ou disparaître des dispositions tantôt progressistes et protectrices des usager-e-s et de la société, tantôt réactionnaires, venant rajouter une couche à la lourdeur et à l’intransigeance des politiques répressives en matière d’usage de cannabis. 

Ainsi durant l’été 2015, le Sénat avait voté en toute discrétion un amendement à l’article 8A de la loi santé qui a été supprimé par l’Assemblée Nationale, suite à une directive de la ministre de la santé demandant d’attendre le rapport de la MILDECA pour légiférer sur ce point. Cet article prévoyait une contraventionnalisation de l’usage lors de la première interpellation, c’est à dire la transformation du délit de consommation de stupéfiants en une infraction administrative assortie d’une amende de catégorie 3 (jusqu’à 450 €). Nous nous associons à cette réflexion de la Fédération Addiction dont nous sommes membres,  « le passage d’une approche délit à une approche contravention allait dans le bon sens, en déchargeant la police et la justice de « délits » qui ne mettent pas en cause l’équilibre social (usage simple et sans conséquence pour autrui) et en faisant baisser l’échelle de la sanction. »

L'article 8bis A

L’article 8bis A

 

Un bilan mitigé: timide sur le plan sanitaire et conservateur sur le  plan pénal

La Loi de modernisation de notre système de Santé a été adoptée définitivement le 20 novembre 2015 à l’Assemblée Nationale et promulguée le 26 janvier 2016. Au final, cette loi a non seulement introduit la possibilité de mettre en place des salles de consommation à moindre risques, mais surtout elle a redéfini le concept de réduction des risques et ouvert considérablement son champ d’application. Autrefois réservée aux risques liés à l’injection, la réduction des risques considère désormais l’ensemble des produits et des usages, ce qui inclut évidemment l’usage de cannabis. Il existe donc désormais un support légal pour :

  • pour prodiguer des conseils de modération de l’usage ou de réduction des risques, sans enfreindre la loi, avec notamment l’article L3421-4 du code la santé publique.
  • organiser des salles de consommation de cannabis supervisées médicalement, à titre épidémiologique ou pour des malades, où des vaporisateurs et, des conseils pour l’usage à moindre risque seraient mis à disposition gracieusement pour les usagers.

Cette loi est donc plutôt positive en termes sanitaires mais reste timorée à bien des égards :

  • l’absence totale d’accès aux cannabinoides pour les 2 millions de français chez qui l’usage pourrait être indiqué ,selon une extrapolation à partir des données israéliennes et l’absence d’accès sécurisé et légal pour les 500 000 usagers quotidiens qui l’utilisent pour se soigner 
  • le maintien de la loi sur la présentation sous un jour favorable, contraire à la liberté d’expression et surtout aux résultats scientifiques sur les cannabinoïdes. Nous avions d’ailleurs porté un amendement dans ce sens mais aucun groupe parlementaire n’as pu être constitué pour supporter cet amendement.
  • le maintien de la pénalisation de l’usage malgré la proposition de la chambre haute,  qui contribue à renforcer les addictions. 

Le principal revers de la loi santé pour les usagers de cannabis est la généralisation aveugle des tests de dépistage au THC incapables de déterminer un seuil d’emprise incompatible avec la conduite, et de la répression associée envers les usagers de la route qui sont aussi des usagers de chanvre. Nous vous invitons à consulter notre page: cannabis et conduite.

 

La transaction pénale

Rappel des dispositions prévues par cette nouvelle mesure

Le 15 octobre 2015 a été publié au Journal Officiel un décret d’application de la réforme pénale orchestré par la Garde des Sceaux Christiane Taubira, qui a donné naissance à la procédure de “transaction pénale”. Cette procédure non-systématique, prise au bon vouloir des officiers de police judiciaires en accord avec le procureur de la république permet de transformer certaines infractions en simple amendes qui, si elles sont payées sur place, éteignent l’action pénale.

Les services de police et de gendarmerie peuvent, avec l’autorisation du procureur de la République, proposer à des personnes ayant commis certains délits de faible gravité ou des contraventions prévus par le code pénal, une transaction consistant au paiement d’une amende. Cette nouvelle procédure vise à éviter, pour les infractions « les moins graves », un passage au tribunal en permettant directement le paiement d’une amende. Cette mesure s’applique donc à la consommation privée de stupéfiants.

La transaction ne peut pas être proposée à une personne pendant sa garde à vue. La mise en œuvre de cette nouvelle procédure est décidée en fonction des circonstances et de la gravité de l’infraction, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de son auteur ainsi que de ses ressources et de ses charges. Si la personne poursuivie accepte l’amende transactionnelle proposée, celle-ci est ensuite soumise à homologation par le président du tribunal de grande instance.

La proposition de transaction fixe :

  • le montant de l’amende transactionnelle qui ne peut pas excéder le tiers du montant de l’amende encourue ;
  • le cas échéant, l’obligation pour l’auteur de l’infraction de réparer le dommage causé ;
  • les délais impartis pour le paiement et, s’il y a lieu, l’exécution de l’obligation de réparer le dommage.

Alors que l’amendement 8 bis A de la loi santé introduit par les sénateurs serait venu modifier la partie législative du code de la Santé publique et donc la loi de 1970, le décret de transaction pénale modifie uniquement la partie réglementaire du code de procédure pénale, sans changer une seule ligne des dispositions héritées de la loi du 31 décembre 1970.

Confusion totale 

La transaction pénale est une mesure mal comprise, vue comme un aveu de laxisme renforçant l’arbitraire par les uns (le figaro) ou par la mise en place d’un racket financier par les autres (le nouvel observateur). 

Le décret avait été rédigé le 13 octobre 2015, des policiers mécontents manifestaient devant le ministère de la Justice, et le lendemain paraissait le décret. Mauvais timing s’il en est, il ne pouvait qu’être aggravé par la communication confuse à laquelle ce gouvernement nous a habitué : la Garde des Sceaux déclarait qu’il pourrait s’appliquer aux délits de conduite sans permis ou sans assurance, ce qui n’est pas le cas. En effet, un des points noirs de cette réforme est l’absence de définition claire du champ d’application de la mesure.

Le lendemain matin, le Monde, sous la plume de Laurent Borredon et Jean-Baptiste Jacquin, publiait un article bref traduisant la confusion gouvernementale et titrant  « Les fumeurs de cannabis pourront désormais échapper au tribunal”. La complexité et la timidité du décret publié ont dû freiner l’ardeur analytique des journalistes qui, voyant Le Monde et l’AFP enchaîner sur le thème “plus de tribunal pour le cannabis”, s’en sont donnés à cœur joie pour répandre l’idée que le cannabis avait été dépénalisé par décret. Le Monde avait tout de même glissé dans son texte de grosses réserves, remettant en cause la pertinence du titre choisi pour leur article:

« En réalité, il ne s’agit aucunement de dépénalisation puisque ces amendes proposées par la police en dehors des tribunaux devront avoir été autorisées au préalable au cas par cas par le procureur” […] puis homologuées a posteriori par le président du Tribunal. » et de continuer en précisant que « pas une virgule n’[avait été] déplacée dans les articles du code pénal fixant le quantum des peines encourues pour ces délits. »

Dépénalisation de facto et de jure

 « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus ; suivons donc ses conseils et profitons-en pour replacer les concepts afin de se mettre d’accord sur ce dont il s’agit et  de savoir de quoi l’on parle.

L’usage et/ou de la possession à usage personnel de cannabis n’est toujours pas dépénalisé en France. Une dépénalisation de l’usage de cannabis dite « de jure » , consisterait d’abord par la création, au niveau législatif, d’une différenciation de certaines infractions mineures dans la législation sur les stupéfiants, en l’occurrence l’usage, la possession, et la production à des fins personnelles. De cette distinction découlerait un traitement différent par les autorités (amende ou autre type de sanction administrative).

La transaction pénale, elle, n’offre que la possibilité aux autorités de traiter différemment des usager-e-s et détenteur-trice-s, sans modifier la loi, et s’inscrit dans une forme de dépénalisation aléatoire de facto. LIDPC (Consortium international sur les politiques des drogues) a développé un outil d’analyse qui permet de classer en catégorie et degré de décriminalisation les politiques publiques de contrôle des stupéfiants, en se concentrant sur les dispositions relatives à l’usage et à la possession pour usage personnel. En se penchant sur ce document, on peut raisonnablement affirmer que la transaction pénale permettrait au mieux de passer de la discrétion judiciaire à la discrétion policière. Une véritable dépénalisation consisterait à acter de jure les changements légaux.

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Les différentes formes de dépénalisation selon l’IDPC

 

 

Discrétion judiciaire

De facto

 

Discrétion policière

De facto

Cadre juridique La possession est une infraction pénale, mais la législation prévoit des sanctions alternatives à la prison. La possession est une infraction pénale, mais la législation prévoit des sanctions alternatives à la prison.
Rôle des forces de l’ordre La police peut arrêter des personnes en possession de stupéfiants, mais n’a pas le pouvoir de déterminer la nature de l’infraction. La police peut déterminer la nature de l’infraction et ajuster la sanction en fonction, ou bien se référer à sa hiérarchie ou à un expert au poste de police.
Procédure judiciaire ou administrative Les autorités judiciaires ont le pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’individu à un traitement ou d’autres sanctions non pénales. Pas de suites en l’absence de présomption de l’intention de revente.
Sanctions applicables pour la possession pour usage personnel La confiscation, un avertissement ou une amende, un traitement obligatoire ou d’autres types de sanctions peuvent être appliqués en alternative aux sanctions pénales. La confiscation, un avertissement ou une amende, un renvoi vers le système de soins ou d’autres types de sanctions administratives peuvent être appliqués.

Quelle portée espérée pour la transaction pénale?

Les officiers de police judiciaire (OPJ), ces fonctionnaires dont on requiert à l’embauche au moins 3 années d’études dans le champ du droit, seront les seuls fonctionnaires habilités à proposer une mesure de transaction pénale aux usager-e-s de chanvre. Ils représentent à peine plus de 10 % des quelques 150 000 policiers susceptibles de d’arrêter les usager-ères et 27,5 % des 100 000 gendarmes. Sur environ 250 000 membres des forces de l’ordre, seuls 42 500 d’entre eux (soit 17 %) pourront mettre en place la transaction pénale. On peut ainsi facilement anticiper une portée limitée du décret. En effet, si seuls 17 % des fonctionnaires de police et de gendarmerie peuvent proposer la transaction pénale, que le procureur doit autoriser au cas par cas, que la justice doit encore la valider définitivement, que l’application dépend des aléas régionaux et de la lenteur administrative,  il y a peu de chances qu’elle soit généralisée.

Ce qui ne fait en revanche aucun doute, c’est que cette mesure permettra (quand elle sera mise en place) de ponctionner largement le portefeuille de nos concitoyen-ne-s, et fera rentrer l’argent dans les caisses, monnaie qui servira à couvrir ces frais de police-justice. Et la santé dans tout ça ?

Pour vous décoincer un  peu les zygomatiques, voici ici l’analyse fine non dénuée d’humour que nous avait alors offert Médiapart et La Parisienne Libérée :

Pour l’anecdote, deux jours après la publication du décret, en plein tollé médiatique, un événement venait subrepticement réorienter le débat publique : les douanes mettaient miraculeusement la main sur 7,1 tonnes de résine de cannabis dormant tranquillement dans des voitures garées en plein Paris. Le président de la République ne manquait pas de se rendre en personne sur les lieux pour constater la saisie de ce qui ne représente après tout même pas 4 % de la consommation annuelle estimée dans le pays (soit 185,6 tonnes), se gaussant d’avoir porté un “coup fatal” au trafic. On apprendra plus tard que l’importateur était un informateur recruté par l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), et que la saisie, effectuée par les douanes sans concertation avec l’OCTRIS, était un exemple cinglant de l’amateurisme des fonctionnaires chargés des questions de stupéfiants, lorsqu’il s’agit de démanteler des réseaux — mais pas lorsqu’il s’agit de faire la chasse aux usager-e-s.

Une dépénalisation à venir ?

Rappel sémantique

Contrairement à l’idée largement répandue, le chanvre n’est pas une plante prohibée mais placée sous contrôle, à l’exception de certaines variétés dépourvues de THC. Cette plante est en effet classée dans une catégorie aux frontières très mal délimitées appelée “stupéfiants”, catégorie placée sous contrôle de l’État, qui a pour rôle d’en restreindre l’accès aux seuls usages médicaux ou scientifiques, conformément aux conventions internationales sur les stupéfiants. La mise à disposition des médecins et des pharmaciens des produits phyto-pharmaceutiques à base de cannabinoïdes est donc une obligation pour la France, au regard des conventions et des travaux scientifiques actuels. Ce qui pourrait être pénalisé, c’est donc l’usage non médical que font certains individus de cette plante. Toutefois, notre loi amalgame tous les produits et tous les usages et ne reconnait pas qu’un tel comportement puisse améliorer la santé de nombreux concitoyens malades, malgré la flopée d’études cliniques démontrant les bienfaits médicaux des cannabinoÏdes dans de nombreuses pathologies.

La dépénalisation de l’usage, un sujet consensuel et trans-partisan

De nombreux signaux s’allument au vert, appuyés par les études scientifiques sur le système endocannabinoide, les exemples de régulation positives à l’étranger, l’organisation de la société civile, la maturité des mœurs sur cette question et le constat d’échec des politiques actuelles. Tous ces indicateurs sous tendent un climat politique plus que jamais propice à des avancées en matière de lutte contre les addictions sur le plan de la santé publique et des droits humains.

Bien qu’un tel climat ait déjà existé au début des années 2000, sans pour autant mener à de significatives réformes, on peut aujourd’hui espérer que la France franchisse enfin le pas de la dépénalisation de l’usage de drogues. Un exemple flagrant est celui de l’amendement 8 bis A proposé par la chambre haute, classiquement conservatrice, mais aussi par Nicolas Sarkosy, qui témoigne d’un consensus parlementaire trans-partisan pour contraventionnaliser l’usage.

Le seul frein finalement, et pas des moindres, est le refus du premier ministre à entériner la réforme voulue par tous les parlementaires. En effet, il est bon de rappeler le dernier rapport de la MILDECA qui préconise une contraventionnalisation de l’usage et qui est sur le bureau du premier ministre depuis le 30 octobre 2015, sans avoir encore été traité ! L’arrivée de Mr Cazeneuve à Matignon n’a pas pour autant débloqué ce dossier. Et pourtant, l’amendement des sénateurs proposant une telle mesure avait été balayé par la ministre de la santé qui avait alors demandé aux députés de son camp d’attendre ce rapport pour légiférer, rapport qui allait dans le même sens.

Une libération de la parole politique

Depuis 2015, le débat politique semble à nouveau ouvert comme en témoigne cette petite revue des propos de nos élus à l’époque. En plus de la proposition de loi de régulation proposée par la sénatrice Esther Benbassa, nous avons assisté à de nombreuses et diverses prises de positions, qui font avancer le débat : après que Christiane Taubira eût exprimé son souhait d’un débat sur la question du cannabis dans le magazine Society, dénonçant un « tabou » et rapidement recadrée par le premier ministre:

« On peut toujours débattre, mais pour ce qui concerne le gouvernement, le débat est clos. […] Le gouvernement ne prendra aucune initiative qui légalise, autorise, dépénalise l’usage du cannabis, qui reste un vrai problème de santé publique, de prévention bien évidemment ».

Manuel Valls, alors Premier Ministre

Ces propos, bien que stricts, laissent néanmoins sous-entendre que si le gouvernement ne prendra pas les devants sur la question, il laisse le champ libre aux parlementaires pour s’en saisir. En cela, c’est un point positif car la parole parlementaire s’est en effet libérée sur ce sujet :

Bruno Le Roux, élu de Saint-Ouen et président du groupe des députés socialistes à l’Assemblée Nationale, même avant son court passage au ministère de l’intérieur, déclarait à l’époque être « pour qu’il y ait une réflexion » et souhaiterait voir poindre « un consensus pour ouvrir le débat sur cette question« . Il était suivi quelques jours plus tard par les députés PS de Marseille Marie-Arlette Carlotti et Patrick Mennucci, alors que de nouveaux règlements de comptes sur fond d’affaire de stupéfiants venaient de meurtrir à nouveau la citée phocéenne. Mennucci appelait ses collègues à « arrêter d’utiliser politiquement ce sujet et enfin, d’avoir le courage d’ouvrir posément ce débat », s’en suivra l’appel des 150 marseillais pour la légalisation. En commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale, le lundi 9 novembre 2015, la députée socialiste de l’Hérault Anne-Yvonne Le Dain avait déclaré, à propos de l’article 8 bis A de la Loi de Santé introduit par les sénateurs qu’une contravention de catégorie 3 était insuffisante pour dissuader l’usage, et qu’elle prévoyait plutôt de proposer une dépénalisation assortie d’une amende de catégorie 5 (jusqu’à 1500 € d’amende) pour l’usage et la détention.

Parmi les candidats aux élections des présidentielles de 2017, ceux comme Hamon et Mélenchon se prononçant pour une légalisation, ont ils prévu une période transitoire permettant qu’une dépénalisation de facto soit mise en place avant un futur système de régulation choisi? Ou est ce que les candidats intégreront-ils une contraventionnalisation systématique tel que le développe Macron?

L’amorce d’un changement au niveau international

Enfin, il faut noter qu’un aval d’importance est venu renforcer la défense de la dépénalisation en France : en effet, le 15 octobre 2015 l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), laissait fuiter un document intitulé « La dépénalisation de l’usage et la possession de drogues à des fins personnelles est autorisée par les conventions internationales de contrôle des stupéfiants et constitue un élément clef de la lutte contre le VIH ». Dans ce document, non-publié à la dernière minute sur pression d’un État membre (la Russie, ou les États-Unis), l’ONUDC appelait les États à « considérer la mise en place de mesures de promotion du droit à la Santé et de réduction de la surpopulation carcérale, en incluant la décriminalisation de l’usage et la possession de drogues à des fins personnelles« .

Ce n’est pas le premier organe trans-national à affirmer cela : avant l’ONUDC, ce sont aussi le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme, le programme de l’ONU pour le développement, l’ONUSIDA, l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Observatoire Européen des Drogues et l’Organisation des États Américains qui s’étaient prononcés en faveur de telles mesures de dépénalisation.

Toutefois, les négociations pour  modifier les textes et directives de l’ONUDC sont longues et difficiles et les chances d’aboutir à un accord consensuel multilatéral de la part de tous les états membres sont minces, sauf à rogner sur la plupart des propositions, en les vidant ainsi de leur substance. La faiblesse des avancées obtenues lors du dernier UNGASS consacré aux stupéfiants en Avril 2016 à New-York en est un parfait exemple, cette dernière n’ayant pas pu écarter la peine capitale des sanctions possibles pour lutter contre les addictions. Pour rappel, la peine de mort est pratiquée régulièrement à l’encontre des usagers de drogues dans 26 pays à travers le monde et les exécutions extra-judiciaires des usagers sont même encouragées dans certains pays comme au Philippines, depuis l’arrivée au pouvoir de Rodriguo Duterte le 10 mai 2016. 

Les enjeux de la dépénalisation

Oui, la dépénalisation de l’usage est une vraie mesure de logique, de progrès et de dignité, mais c’est surtout le souhait des spécialistes, de la société civile et de nombreux organismes internationaux depuis des années. La France n’est pas en reste puisque de nombreuses structures en addictologie se sont positionnées depuis plusieurs années pour une dépénalisation de l’usage privé (Fédération Française d’Addictologie, Fédération Addiction, ANPAA, MDM…), tout comme la Commission Nationale Consultative pour les Droits de l’Homme (CNCDH) qui s’est positionnée clairement dans son communiqué du 8 novembre 2016. Tous estiment, et ont pu observer, là où la pénalisation n’est plus effective depuis des années, que de nombreux bénéfices directs sont créés par une simple mesure de dépénalisation de l’usage :

Amélioration de la prévention et des soins addictologiques 
  • Lever des tabous et améliorer les perceptions des professionnels de santé et de la population générale sur les drogues et leurs usages,
  • Faciliter l’instauration d’un discours éducatif familial, 
  • Responsabiliser les citoyens adultes et les parents usagers 
  • Développer des campagnes d’éducation aux pratiques d’usage à moindre risque
Amélioration de la justice sociale 
  • Recentrer des forces de l’ordre sur des mission prioritaires comme l’atteinte aux biens et à l’intégrité de citoyens,
  • Réduire l’arbitraire et les inégalités ethniques dans la répression et dans l’application des lois, les incarcérations et les inégalités d’accès aux soins,
  • Protéger les usager-e-s contre les effets pervers d’un passage par le système judiciaire ou pénitentiaire (proximité avec d’autres types de crimes ou délits, d’autres stupéfiants, désocialisation, perte de moyens, difficultés de retour à l’emploi, etc.),
  • Faciliter l’accès aux droits et à la santé des usagers, 
  • Lutter contre la discrimination des usagers et la stigmatisation de leurs pratiques.
Développement de la recherche scientifique
  • Études épidémiologiques et cliniques sur les substances consommées 
  • Recherches sur le potentiel médical des stupéfiants, et en particulier des phytocannabinoïdes.

Pour conclure

Bien que la dépénalisation ne soit pas une solution suffisante, et qu’une véritable régulation des filières est nécessaire pour chaque produit classé comme « stupéfiant », c’est une mesure basique, urgente, et simple à mettre en œuvre. Elle passera probablement par une contraventionnalisation de l’usage dans un premier temps (amende à payer) qui  limitera toutefois son impact positif pour les usagers et pour la société. La dépénalisation la plus efficace est sans nul doute celle qui respecte véritablement le choix des usagers et qui cesse de les mépriser: il s’agit de la dépénalisation totale de l’usage privé vers laquelle il faut tendre pour réduire les addictions (suppression de toute sanction vis à vis de l’usage privé).

Espérons que nous arriverons rapidement à convaincre suffisamment de parlementaires ou qu’un gouvernement courageux prenne une initiative pour que la situation évolue en France, un des derniers pays démocratiques à maintenir des dispositions légales allant à l’encontre de la santé publique. Ceci permettra d’avancer sur les indispensables réformes profondes dont nos politiques sur les drogues ont besoin.