L’ère néolithique: un usage ancestral à des fins multiples

Má Cannabis

« Má » est le mot chinois pour le chanvre, il représente deux pieds de chanvre renversés séchant dans un séchoir.

Le cannabis, qui n’est autre que le nom latin du chanvre, est une plante originaire d’Asie mineure cultivée pour ses fibres, ses graines ou ses fleurs depuis des millénaires par les civilisations anciennes, des contreforts de l’Himalaya jusqu’au bassin méditerranéen, comme en témoignent de nombreuses fouilles archéologiques (Chine, Inde, Perse, Mésopotamie, Phénicie, Assyrie, Égypte, Grèce) relatées dans plusieurs ouvrages.

Cette plante aurait été importée en Russie et en Europe par les Scythes au 7ème siècle av J-C, puis sur le continent américain au début du 17ème siècle suite à la colonisation européenne. L’idéogramme chinois signifiant chanvre, mà, qui a peu évolué au fil des siècles, pourrait représenter deux plantes dans un séchoir. Cette première représentation du produit récolté atteste de sa culture ancestrale par l’homme pour ses graines (chènevis) à des fins alimentaires et pour sa tige (filasse) à des fins textiles. Le chanvre pourrait ainsi faire partie des premières cultures qui ont permis la sédentarisation de l’espèce humaine.

Les propriétés médicinales du chanvre sont connues également depuis l’ère néolithique, si l’on se réfère au Pen Ts’ao de l’empereur Shen Nung, le plus vieux recueil de médecine connu écrit, selon la légende, par le père de la médecine chinoise en -2737 av J-C. Ce manuel traite des indications de 365 médications dérivées de plantes, de minéraux et d’animaux. Le cannabis y est mentionné contre les douleurs d’origine rhumatismale, la goutte, les absences mentales, les maladies de la femme, le paludisme et le béribéri. De nombreux autres textes anciens mentionnent son application à des fins thérapeutiques, notamment en Inde (4ème livre des Veda en -1500 av J-C) où le chanvre fortement psychoactif est considéré comme une plante sacrée et guérisseuse par la médecine ayurvédique, mais aussi en Perse (Zend Avesta), en Assyrie (tablettes d’argiles de Nivive) ou en Égypte (papyrus d’Ebers en -1500 av J-C). Ses propriétés médicinales étaient également connues chez les Grecs et les Romains, comme le rapportent les écrits de Pline l’ancien, de Dioscoride (1er siècle) ou de Gallien (2ème siècle) et le chanvre serait cultivé en Italie depuis plusieurs millénaires comme selon une étude récente.

Du Moyen Âge à la Renaissance, une diffusion limitée des savoirs

Cannabis sativa Dioscoride de Vienne 6es "Cannabis sativadior"

Illustration de Vienne datant du VIème SièCle du Cannabis sativa L appelé à l’époque « Cannabis sativadior »

Durant notre ère, le large éventail des applications médicales traditionnelles du cannabis a été transmis dans tout l’espace arabo-musulman, s’étendant de la Perse jusqu’en Espagne, notamment grâce à Avicenne (10ème siècle) et son ouvrage de référence en 5 volumes (Canon de la médecine) où le cannabis y était indiqué entre autres pour les maladies neurologiques, telles que l’épilepsie et la migraine, ainsi que les dysménorrhées et les accouchements difficiles. En Europe du Nord, les premières indications sur l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques datent de plus de 1000 ans. Elles se rapportent surtout aux graines de chanvre (ou chènevis) et à des préparations prescrites en usage externe (fumigation ou cataplasme). Les herboristes du Moyen Âge faisaient la différence entre le chanvre engraissé (cultivé ou sativa), utilisé par exemple contre la toux et la jaunisse, et le chanvre bâtard (naturel ou Ruderalis), appliqué empiriquement contre les nodosités et les tumeurs.

Au cours de la Renaissance, ses vertus sont alors décrites dans un grand nombre des travaux du médecin suisse Paracelse (16ème siècle). John Parkinson (17ème siècle), médecin du roi d’Angleterre, cite les herboristes des siècles précédents tout en ajoutant quelques idées nouvelles : « en cas de jaunisse, en particulier au début de la maladie, quand elle est encore accompagnée de frissons, les graines de chanvre bouillies réduisent le blocage de la vésicule biliaire. Elles soulagent aussi les douleurs des coliques et diminuent le liquide désagréable émanant des intestins. » Dans un de ses ouvrages, le professeur J-A Murray (18ème siècle) consacra douze pages à l’étude du cannabis : il le recommande comme analgésique et anesthésiant, ainsi que pour traiter la gonorrhée et la jaunisse. Le Cannabis sativa L. a figuré parmi les premières plantes utilisées en homéopathie au début du 19ème siècle.

« Si jusqu’à présent ce ne sont que les graines qui sont utilisées, il semble que d’autres parties de la plante soient encore plus efficaces et méritent également de gagner en considération.» Samuel Hahnemann,1797 

Le 19ème siècle: la redécouverte des propriétés médicinales du chanvre

Cannabis Médical Antiquités

A la fin du 19ème et début 20ème du siècle, et ce jusqu’en 1953 en France de nombreuses préparations sont réalisés à base de chanvre.

Le chanvre cultivé en Europe, qui présentait naturellement un faible taux de Tétrahydrocannabinol, était cependant davantage connu pour la résistance de sa fibre (voiles, cordages, habits, papier) et les qualités nutritives de sa graine, que pour ses vertus thérapeutiques. Le chanvre indien (cannabis Indica), terme introduit pour la première fois par le naturaliste allemand Georg Eberhard Rumpf (1627-1702) n’a été importé que tardivement en Europe, via la colonisation au 19ème siècle. En France par exemple, le chanvre indien est arrivé avec les soldats et les médecins de retour de la campagne d’Egypte menée par Bonaparte. La découverte en Occident des vertus thérapeutiques des fleurs de cannabis est communément attribuée à l’écossais Sir William Brooke O’Shaughnessy, médecin, scientifique et ingénieur. En 1833, en tant qu’employé de la British East India Company, il se rendit pour la première fois en Inde, d’où il rapporta des spécimens de chanvre indien, à l’intention des Jardins botaniques royaux de Kew. Très rapidement, il s’intéressa au potentiel thérapeutique du cannabis et publia en 1839 une synthèse de ses expériences, qui fut accueillie avec beaucoup d’intérêt en Grande-Bretagne. D’abord, il rendit compte des différents emplois traditionnels et thérapeutiques de la plante en Inde (médecine traditionnelle ayurvédique), puis réalisa des études sur les animaux et sur l’homme afin de bien comprendre son action et de mieux évaluer ses effets secondaires. Suite à ses premiers résultats, il en vint à la conclusion qu’en raison de la « parfaite innocuité de la résine de cannabis, une étude complète devrait être menée sur des cas cliniques où les qualités manifestes de la plante promettent un bénéfice thérapeutique important.»

Les rapports publiés par cet illustre pionnier, suscitèrent un véritable engouement scientifique pendant la seconde moitié du 19ème siècle et nombreux furent les médecins qui exposèrent leurs expériences convergentes à travers diverses publications sur les différentes espèces de cannabis en Europe et en Amérique du Nord. En France, le plus connu d’entre eux a assurément été le psychiatre J-J Moreau qui créa avec Théophile Gautier le club des haschischins en 1844, afin d’étudier les effets du produit chez les artistes.

Cigarettes Grimault au cannabis

En France, à la fin du XIXe siècle, les vertus des cigarettes indiennes au cannabis de la société Grimault, « contre les affections respiratoires » notamment, étaient vantées dans les encarts publicitaires, largement vendu comme antidouleur.

Le chanvre Indica prouva rapidement son utilité pour le corps médical (28,32) dans de nombreuses indications et fut alors distribué massivement dans toutes les herboristeries d’antan. Il entra dans la pharmacopée américaine officielle en 1851 et connut son apogée aux États-Unis à la fin du 19ème siècle, où il était généralement prescrit comme analgésique (névralgie et rhumatisme), sédatif, antispasmodique, antiémétique, antidépresseur, mais également comme traitement contre l’hystérie, le delirium tremens et les psychoses. L’entreprise pharmaceutique allemande Merck était alors le premier producteur de préparations cannabiques en Europe, dont le cannabinum tannicum, commercialisé en 1882, le cannabinon en 1884 et le cannabin en 1889. En Grande-Bretagne apparurent ensuite les préparations prêtes à l’emploi de Bourroughs ou Wellcome ; aux États-Unis, celles de Squibb, Parke, Davis ou Eli Lilly. Parmi tous ces médicaments disponibles sur le marché à la fin du 19ème siècle, la majorité était administrée par voie orale sous forme de teinture mère (extraits de cannabis dans un solvant d’alcool éthylique), environ un tiers constituait des préparations à usage externe et quelques-unes devaient être inhalées, comme des cigarettes contre l’asthme, aussi étonnant que cela puisse paraitre.

Le 20ème siècle, la montée de l’hygiénisme et le contrôle pharmaceutique des stupéfiants 

Une femme dans son jardin vers 1910 cannabis

Carte postale du début du siècle représentant une femme dans son jardin, un pied de cannabis dans le fond.

Au début du 20ème siècle, la consommation récréative de cannabis était toujours peu connue en Europe, excepté par les élites de la société. Ainsi, A J. Kunkel, professeur de Würzburg, souligna en 1899 dans son manuel de toxicologie : «l’abus chronique de préparations à base de cannabis, ou cannabisme, semble être largement répandu en Asie et en Afrique mais n’a pas été observé en Europe». A cette époque, le développement des injectables et des médicaments synthétiques, dont l’aspirine, les barbituriques et les dérivés opiacés, contribua à la mise à l’écart des produits naturels, d’autant que les scientifiques ne parvenaient pas à identifier la structure chimique du THC et que ce dernier n’était pas injectable.

La première moitié du 20ème siècle fut marquée par la sacralisation du corps médical, favorisée par la publicité intensive de l’industrie pharmaceutique et propice à l’émergence d’un courant hygiéniste discriminant l’usage adulte de drogues naturelles au profit des nouveaux médicaments de synthèse produits en Europe et en Amérique du nord.

Heroine pour la toux

Fin 19ème/début 20ème, « L »héroïne de tous les médicaments » commercialisée par Bayer est largement vendue et prescrite pour soigner la toux des tuberculeux et la dépendance à la morphine.

A partir de 1916, l’usage de chanvre devient interdit en société en France et la vision exotique du chanvre s’estompe peu à peu partout en Europe. Outre Atlantique, c’est l’époque des ligues de tempérance (prémisses de la prohibition de l’alcool) un courant moraliste aux relents racistes, fondé sur le fait que le plaisir éloignerait du travail. Ce courant stigmatise les différentes minorités ethniques, accusées de répandre immoralement dans leur pays l’usage d’opium (péril jaune), de coca ou de chanvre (péril afro-hispanique). L’usage de produit, accessible seulement aux personnes pouvant consulter un médecin, ne peut alors être toléré qu’à des fins médicales, emboitant le pas à l’industrie pharmaceutique. Lors de cette même période, l’héroïne mise au point et commercialisée par Bayer dans le monde entier à grand coup de publicité de 1898 à 1908 pour soigner la toux des tuberculeux et la dépendance à la morphine.

A ce contexte socio-culturel et industriel défavorable aux produits naturels s’ajoute les pressions des États-Unis sur la S.D.N. pour une criminalisation de toutes les activités liées aux stupéfiants, dont le chanvre, à travers les conventions de Genève de 1925, 1931 et 1936, qui limitèrent le commerce international du cannabis naturel à des seules fins médicales ou de recherche et imposèrent un contrôle très strict de cette activité. L’intérêt initial de la prohibition est sans nul doute économique, que ce soit pour les états coloniaux qui assuraient légalement dans leur colonie le commerce des produits interdits dans leur pays ou pour l’industrie pharmaceutique qui s’assurait un monopole. En 1948, la responsabilité d’établir quelles sont les drogues dangereuses est confié à l’O.M.S. sous la tutelle de l’O.N.U., suite au protocole de Paris.

La deuxième moitié du 20ème siècle fut marquée par un quasi statu quo de la recherche sur le cannabis qui ne trouva son essor qu’à l’aube du nouveau millénaire. Le discrédit progressif porté sur la consommation récréative de produit conduisit en effet à la régression de l’utilisation médicale du chanvre et la France finit par retirer le cannabis officiellement de sa pharmacopée en 1953. Elle ratifia en 1961, aux côtés de 72 autres états, la convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies qui place le cannabis au tableau 4 dit des substances les plus dangereuses et sans aucune utilité médicale et surtout, mettant un coup d’arrêt à la recherche médicale, asservie à l’O.I.C.S.

Raphael Mechoulam

Raphael Mechoulam, médecin israélien et pionnier de l’utilisation médicale du cannabis, connu pour avoir identifié et isolé le THC en 1964.

Cette recherche a redémarré timidement suite à l’identification de la structure du THC par Gaoni et Mechoulam en 1964, notamment afin de démontrer les conséquences dommageables de son usage, sous contrôle strict de la publication des résultats. Cependant, cette recherche a pris véritablement son essor qu’à la fin du siècle avec la découverte du système endocannabinoïde : en 1988, il a été démontré pour la première fois par l’équipe américaine de Howlett que certains des effets attribués aux cannabinoïdes sont dus à leur liaison à des récepteurs spécifiques couplés à une protéine G. La structure d’un cannabinoïde endogène a été identifiée pour la première fois en 1992.

Ces avancées scientifiques ont permis sans nul doute de mieux comprendre le rôle bénéfique des endocannabinoïdes et d’inverser la tendance de la recherche sur le cannabis, en cherchant d’avantage à démontrer ses bienfaits que ses effets secondaires indésirables. Ceci a également permis de rassurer en conséquence les politiques et l’opinion publique sur le cannabis médical, entrainant une modification sensible des représentations à la fin du siècle. En 1999, une A.T.U. très stricte autorise en France la mise sur le marché du Marinol® et du Césamet®, analogue de synthèse du THC : l’un ou l’autre de ces produits a été délivré nominativement à 74 patients en 15 ans (et refusé à 20 patients). 

Le chanvre médical de nos jours : l’amorce d’un changement

Cannabis Analyses

La recherche à sortie plus d’études sur le cannabis ces deux dernières années que depuis cinquante ans.

Ce début du 21ème siècle représente assurément un virage concernant le cannabis médical dont l’utilité est désormais reconnue par la communauté scientifique internationale suite à l’accumulation des études allant dans ce sens dans diverses indications. L’intérêt potentiel de cette nouvelle classe pharmacologique semble très prometteuse et la recherche connait actuellement un véritable engouement avec plus de 20 000 études publiées sur les cannabinoïdes, dont la moitié effectuée lors de la dernière décennie. En France, un décret autorise depuis peu la commercialisation des cannabinoïdes en France : des demandes d’A. M. M. peuvent être déposées auprès de l’agence de sécurité du médicament depuis le 5 juin 2013 et le Sativex l’a obtenu le 9 janvier 2014 pour la sclérose en plaques à dominante spastique (délivrance par des spécialistes uniquement).