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- Une loi idéologique
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- Une réforme urgente
Une loi idéologique inepte
Le principe même de punir pour protéger l’individu de lui-même, c’est à dire de ses propres comportements, aussi dangereux soient-ils pour lui-même, peut paraitre abscons, voire absurde. Imaginez que les tentatives de suicide soient réprimées par une peine de prison, cela diminuerait-il le nombre de tentatives ? Certainement pas ! Cela augmenterait-il le nombre de tentatives réussies ? Probablement…
« La drogue, c’est le mythe du Mal et de la menace tapie derrière la séduction du plaisir, une menace objectivée à l’extérieur de l’homme et qui l’amènerait à se détruire lui-même, d’où l’opprobre jeté sur ces substances et ceux qui s’y adonnent. Elle évoque une métahistoire sur le plaisir et sa perversion qui n’est qu’une traduction modernisée de celle d’Adam et de la pomme, l’un des grands mythes fondateurs de notre civilisation.»
Alain Morel, président d’Oppélia
Quant au principe plus général de punir pour éduquer ou réhabiliter socialement, très ancré dans notre société chrétienne et associé inconsciemment à la notion de rédemption salvatrice, d’expiation des fautes par la punition ou la souffrance, son efficacité n’a jamais été prouvée et la littérature tendrait plutôt à démontrer le contraire, aussi bien à l’école que dans la vie d’adulte. La punition ne semble avoir une valeur éducative que s’il existe un lien émotionnel entre le châtié et son bourreau…
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Une loi inefficace pour diminuer l’offre et la demande
Depuis la mise en place de la loi de 1970, l’arsenal juridique supposé dissuasif n’a cesser d’augmenter pour mieux lutter contre l’offre et la demande en produits. Pourtant, l’usage de chanvre n’a cessé de croitre en population française au fil des années, pour atteindre en 2014 17 millions d’expérimentateurs et 4.6 millions d’usagers. La France est le plus mauvais élève parmi les pays européens en termes d’usage actuel chez les 15-34 ans, avec une prévalence de 17.54 % dans cette tranche d’âge.
Concernant l’offre en produits stupéfiants, la disponibilité est totale sur internet et reste importante dans la vie réelle : dans chaque village de France, ne trouve t’on pas des citoyens insoupçonnables, discrets et parfaitement insérés socialement, qui consomment, cultivent et distribuent le chanvre à la demande de leurs amis?
Alors que la loi de 1970 était officiellement censée éradiquer l’usage du cannabis pour protéger notre santé, elle a échoué malgré des efforts répressifs considérables. Elle n’a pu empêcher la banalisation de son usage en population générale avec un véritable boom de l’usage entre 1990 et 2000. Bien qu’il soit particulièrement difficile d’évaluer une politique en l’absence d’outils d’évaluation appropriés, ces éléments plaident clairement pour un changement de politique de santé publique.
« La folie est de se comporter toujours de la même manière et d’attendre des résultats différents.»
Albert Einstein
Le nombre d’interpellations ne reflète en aucun cas le niveau de consommation: la répression s’est intensifiée beaucoup plus rapidement que la prévalence de l’usage. En 40 ans, le nombre d’interpellations a été multiplié par 60, alors que l’usage de stupéfiant a seulement triplé dans le même temps. Cette majoration des interpellations est donc avant tout le fruit d’une politique orientée vers la répression au détriment de la santé publique. Nos dirigeants produisent et instrumentalisent les statistiques officielles pour asseoir leur décision ou faire grimper leur cote de popularité, sans considération véritable pour la santé publique.
« les responsables politiques, un monde, de l’autre côté du miroir, où règnent les dogmes et les fausses évidences »
J-M Costes, fondateur et ex-directeur de l’ODFT
Il semble urgent d’acter l’inefficacité de la pénalisation et de mettre en adéquation la loi avec les mœurs françaises, afin de pouvoir mener une politique de santé publique pragmatique et cohérente, qui parvienne enfin à réduire les risques et les conduites addictives, spécialement chez les mineurs. Cette inefficacité de la loi de 1970 peut s’expliquer par les freins puissants qu’elle génére sur la politique de santé publique : d’une part, l’interdit ne s’adresse pas au public cible (la jeunesse) et d’autre part, il décharge totalement la société et les acteurs éducatifs de leur mission de prévention et d’éducation à l’usage à moindre risque (parents, profesionnels de santé, médias).
Une loi qui sacrifie la jeunesse
Le cadre légal actuel n’est pas du tout adapté pour protéger les mineurs, alors que l’esprit originel de la loi de 1970, qui a perduré depuis, est pourtant de protéger la jeunesse d’un fléau, et en filigrane la société future de la décadence. Outre l’aspect fantasmatique de ces perceptions, on peut s’interroger sur la pertinence de la méthode employée, en connaissance des caractéristiques de la population cible.
Les adolescents qui cherchent à s’affirmer en tant qu’individu et à faire leurs propres expériences remettent généralement en question les dogmes et n’hésitent pas à transgresser les interdits, surtout si cela ne semble pas justifié selon leur appréciation. De plus, comme la M.I.L.D.E.C.A. le reconnait dans son dernier plan quinquennal, ces derniers sont en général très peu réceptifs à la notion de risque légal, ou au discours sanitaire moralisateur sous-jacent. Enfin les jeunes, ayant souvent un réseau social étendu et peu de moyens financiers sont finalement les mieux placés et les plus intéressés par la distribution du produit et deviennent volontiers dealers s’ils sont usagers réguliers pour financer leur usage. La prohibition actuelle oriente le marché vers la jeunesse qui bénéficie d’un accès facilité au chanvre par rapport aux adultes et aux malades ! Tous ces éléments laissaient présager d’emblée l’échec d’une telle politique auprès de la jeunesse qui a besoin au contraire d’être encadrée, plutôt que livrée à elle-même ou à l’intransigeance de la justice.
Une loi qui infantilise les parents
Cette politique paternaliste aux allures providentielles a déchargé les parents de leur rôle de conseil et d’éducation à l’usage des substances addictives interdites. La majeure partie des 5 millions d’usagers de cannabis sont des adultes parfaitement intégrés à notre société qui présentent un usage non problématique mais cette usage est évidement clandestin au vu des risques légaux encourus.
La non-reconnaissance légale de cet usage social du cannabis place les adultes dans une situation très inconfortable vis-à-vis du discours à dispenser à la jeunesse sur le chanvre, la plupart des adultes n’ayant jamais expérimenté le produit. Après 2 générations de répression et de censure médiatique s’est installé un véritable tabou sociétal et la population adulte est devenue ignorante sur le sujet. Elle ne peut construire ses perceptions que sur un fond polémique peu rassurant, source d’inquiétudes infondées et de clivage abscons avec la jeunesse. Le discours dispensé à nos adolescents est souvent très simpliste ( « just say no »), comme « n’y touche jamais, c’est un poison, tu peux aller en prison pour ça ». Nombreux parents sont forts démunis et se réfugient derrière l’interdit légal plutôt que d’évoquer ce sujet complexe qu’il maitrise mal. Parfois même, toute discussion est scellée par le tabou social ou une altération de la relation de confiance, chaque partie ayant une vision trop différente de la même réalité (désinformation inquiétante contre expérimentation rassurante). La banalisation du discours sur le cannabis et son statut légal, soit le fait de pouvoir en parler librement sans rougir, reste un concept mal compris et souvent rejeté par l’opinion publique. Cette banalisation apparait, pourtant, comme une étape indispensable pour sortir des clichés infondés scientifiquement et développer de meilleures représentations sur les produits.
« Il y a peu de domaines de notre vie privée et en société où existe un tel écart entre ce que savent et pensent les spécialistes et l’opinion publique ».
J-M Costes, fondateur et ex-directeur de l’ODFT
Quand aux parents usagers, on peut se demander quel message transmettent-ils à leurs enfants à ce sujet ? Ces derniers sont en effet dans un dilemme permanent : comment éduquer à un comportement qui est interdit par la loi ? Bien qu’ayant probablement des perceptions plus proches des réalités, ce savoir n’est pas toujours mis à profit : certains parents évitent le sujet et mentent sur leur usage, afin de ne pas légitimer une conduite illégale auprès de leurs enfants.
Une loi qui freine les soins, la prévention et la réduction des risques
L’interdit véhicule de nombreux freins au dépistage de l’usage et aux soins addictologiques. Il peut entrainer une gêne conséquente à évoquer un comportement illégal passible de prison, aussi bien pour le patient que pour le soignant. Il crée des écarts conséquents de perceptions sur les produits, à l’origine d’une incompréhension réciproque et nourrit une attitude discriminante envers les usagers. Il nuit à l’instauration d’une relation de confiance avec le patient qui peut rapidement développer des contre-résistances s’il se sent jugé. Aussi, les injonctions thérapeutiques semblent antinomiques avec la prise en charge des usagers de produit non demandeurs de soins, induisant une pratique médicale hors normes et une rupture de la stratégie thérapeutique basée sur l’écoute et l’empathie, dans une démarche libre et éclairée du patient. Plus largement, la criminalisation des usagers est identifiée par un large consensus scientifique comme un frein à la prévention, comme l’illustre le livre blanc de la Fédération Française d’Addictologie (FFA) qui propose dans ses objectifs prioritaires une modification de la loi de 1970.
La loi de 1970 est un frein puissant à la réduction des risques : quelle place peut être accordée à la réduction des risques liés à l’usage de produits interdits dans notre société. Les seringues ont été interdites à la vente libre de 1972 à 1989, laissant des milliers de jeunes usagers injecteurs de drogue se contaminer par le VIH/sida. Les traitements de substitution sont arrivées en France 30 ans après leur commercialisation aux États-Unis, laissant de nombreux usagers succomber d’overdose. Il a fallu attendre l’adoption de la loi Santé du 26 janvier 2016 pour que la réduction des risques intègre enfin tous les produits et tous les usages: conseiller la vaporisation aux usagers de chanvre ne devrait donc plus être considéré comme de l’incitation par la loi.
Une loi qui censure et oriente les médias
L’article de loi L3421-4 du code de santé publique censure systématiquement les médias sur la question des drogues. La communication doit être axée exclusivement sur les dommages, ce qui explique en parti son caractère alarmiste et caricatural. Ce type de message apparait contre-productif car il ne reflète pas la réalité des usages et qu’il est source de clivages, de tensions et de polémiques: il nourrit des perceptions diamétralement opposées et inquiète inutilement les parents et professionnels de santé peu informés sur le sujet.
En outre, la répression de l’usage oriente largement le discours médiatique vers la politique pénale qui prend systématiquement le pas sur la politique sanitaire et occulte bien souvent la dimension préventive et la spécificité de la prévention à l’adolescence. La consommation de drogues n’est donc pas vraiment envisagée par les médias comme un trouble de l’adolescence, ces derniers tendant à réduire l’enjeu de cette conduite à une problématique juridique.
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Une loi inadaptée à l’évolution des moeurs
L’absence d’éducation parentale et sociétale, fortement liée à l’interdit légal, pourrait expliquer en partie la majoration de la prévalence de l’usage à 17 ans, observée depuis 1990 en France. Toutefois, ce phénomène s’inscrit plus largement dans une évolution sociétale qui dépasse nos frontières, dominée par la compétitivité, l’instantanéité, la recherche du plaisir et un esprit critique aiguisé, une société plus addictogène, plus propice à tirer des bénéfices de l’usage des produits et à comprendre les véritables enjeux de la politique des drogues. Nous vivons actuellement une période de transition sur la question du cannabis et les citoyens sont en train de se réapproprier progressivement le savoir ancestral sur cette plante.
« La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information. »
Albert Einstein
Plusieurs facteurs y contribuent :
- Les travaux scientifiques commencent à s’accumuler à travers le monde (plus de 22 000 études sur les cannabinoïdes sur Pubmed).
- Les initiatives de régulation menées à l’étranger sont positives
- L’avènement d’internet permet un partage difficilement censurable de ces informations.
- La banalisation de l’usage et de sa culture en population générale permet à un plus grand nombre de confronter le mythe à la réalité, de manière directe ou indirecte.
Ces éléments contribuent à une évolution des perceptions sur le chanvre. Ce phénomène, nettement visible à travers le cinéma et les médias, est le témoin de l’inscription culturelle du chanvre dans notre société. Il traduit également l’échec patent de l’interdit pour véhiculer le dogme de l’abstinence en population adulte et assurer sa fonction de repère moral auprès de la jeunesse.
« La conception d’un individu dangereux, asservi à son produit a globalement disparu des discours médiatiques, les quotidiens donnant à lire une consommation différenciée des substances psychoactives. Toutefois, la mise en récit de cet usage montre que deux représentations clairement opposées structurent actuellement ces discours : celle d’une conduite maîtrisée et rationnelle (pour Libération ou l’Humanité) ou celle d’un comportement toxicomaniaque (pour la Croix ou le Figaro) «
Arnoult A. Adolescents et drogues : une analyse des discours de la presse quotidienne nationale – Cairn.info. cairn. 2012
Ces éléments tendent actuellement à une information plus objective, pénétrant progressivement dans la population générale, ce qui permet aux parents d’aborder davantage et plus sereinement la question avec leurs enfants. Il en va de même pour les professionnels de santé, qui tendent à se réapproprier cette mission au sein de l’addictologie moderne.
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Une loi dommageable pour la société
En plus d’être inefficace ou contre-productive en termes de prévalence de l’usage, cette politique apparait dommageable pour la société à bien des égards, mettant à mal la sécurité de l’ensemble de nos concitoyens, que cela soit sur le plan sanitaire, social, économique ou politique.
Une loi à l’origine de dommages sanitaires
Concernant les nombreux patients désirant recevoir des soins à base de chanvre, les académies et les ordres de médecine et de pharmacie nient les bénéfices thérapeutiques avérés scientifiquement et s’opposent au principe fondamental de la liberté de se soigner avec des plantes, préférant laisser les patients dans l’illégalité gérer seul leur souffrance ou leur handicap. Le rapport bénéfice-risque favorable de ce produit n’est plus à prouver dans plusieurs indications et l’interdiction de son usage réduit donc potentiellement le confort de vie de millions d’individus.
Concernant les cinq millions d’usagers de chanvre en France, l’État renonce à son obligation de contrôle sanitaire des produits et n’informe pas les usagers sur les dangers réels des produits qui circulent sur le marché, jugés probablement insuffisamment alarmistes ou trop inconvenants.
Des fleurs adultérées avec des microbilles de verre circulent très régulièrement sur l’ensemble du territoire français depuis 2005 : le centre antipoison de Nancy a été prévenu dès 2006 et le rapport expliquait que les billes étaient sphériques, peu abrasives pour les muqueuses et in fine peu dommageables pour l’usager. Pourtant, de nombreux cas ont été signalés et 8 jeunes adultes ont été hospitalisés pour des hémoptysies suite à la consommation de ces produits adultérés, selon un rapport de la DGS de 2008. Seuls les urgentistes et les O.R.L. ont reçu un communiqué à ce sujet et très peu de médias ont relayé l’affaire jusqu’à présent.
CIRC Nord Est , Association d’usager (1997- 2013)
Le plan de la M.I.L.D.E.C.A. 2013-2017 enfonce le clou en recommandant de manière déconcertante et non avenue « de couper court aux idées reçues sur les vertus bio du cannabis issu des cultures domestiques françaises » alors que ces propos vont à l’encontre de la santé publique et de la réduction des dommages, qu’elle prône pourtant dans ce même rapport, quelques pages avant.
Une loi qui génère de l’insécurité publique
Sur notre territoire, la répression du trafic permet de démanteler régulièrement des réseaux, mais ceux-ci sont très rapidement remplacés. Ces coups de filets spectaculaires génèrent localement des tensions importantes à l’origine d’émeutes ou de violences, lors du redécoupage des territoires de vente qui en découle. On assiste désormais à des règlements de compte mortels, devenus habituels à Marseille ou dans d’autres cités vivant du trafic, comme le souligne Stéphane Gatignon, Maire de Sevran en Ile de France ou Patrick Menucci, député des Bouches du Rhône. Sans compter les morts et les blessés par des balles perdues ou lors de courses poursuites de go-fast par les autorités, alors que la plupart du temps, il s’agit d’une mule qui ne tire pas grand profit de l’opération.
Cette politique a généré de nombreuses zones de non-droit, où les habitants ne sentent plus en sécurité dans leurs propres quartiers: usagers et riverains subissent l’occupation de territoires par des gangs violents et les interventions musclées des forces de l’ordre transforment certains quartiers en zone de guérillas urbaines, totalement inadmissible pour la sécurité et la tranquillité des habitants.
Une loi qui menace nos démocraties
La dérégulation d’un marché est criminogène car elle permet notamment à toute une masse de capitaux issus de l’économie illicite de trouver de nouveaux champs d’investissement, au-delà des phénomènes classiques de trucage, de malversation et de détournement des réglementations subsistantes, comme les crédits subprimes par exemple. Aussi, dans un contexte de demande forte de stupéfiants, ce marché a connu une augmentation exponentielle ces dernières décennies, favorisé par la dérégulation de la finance mondiale. Cela a littéralement dopé l’économie légale, conférant aux trafiquants une manne financière exorbitante, associée à une sphère d’affluence sans précédent, ainsi qu’à la corruption des plus haut fonctionnaires d’état, à l’échelle planétaire.
A partir de 1980, les réseaux des trafiquants, anciennement structurés par les mafias locales, ont laissé progressivement place à un réseau tentaculaire dématérialisé, plus flexible, plus réactif et plus discret. Les règles et les méthodes qui régissent l’activité de certains grossistes se confondent avec celles des grandes multinationales, qui se jouent du droit international pour réaliser toujours plus de bénéfices et les frontières entre le commerce licite et illicite sont de plus en plus floues. Les scandales financiers de ces dernières années tendent en effet à confirmer l’usage par les acteurs du monde bancaire et financier de méthodes criminelles, alors que de leur côté, les trafiquants investissent dans des entreprises légales, comme l’immobilier, les télécommunications ou les énergies renouvelables.
« De nombreuses banques ont été sauvées de la crise financière grâce à l’argent provenant du narcotrafic. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime dispose d’éléments en ce sens. Des renseignements font penser que des crédits interbancaires ont été financés grâce à des fonds issus du trafic de drogues et d’autres activités illégales. Durant la seconde moitié de 2008, le manque de liquidités a été le principal problème du système bancaire, et le capital disponible est devenu un facteur fondamental. Dans de nombreux cas, l’argent de la drogue est le seul capital d’investissement disponible. »
Antonio Mario Costa, ex-directeur de l’O.N.U.D.C.
La crise financière est d’ailleurs une véritable aubaine pour tous ces trafiquants car elle offre des opportunités nouvelles de blanchiment de leurs liquidités par le biais des prêts usuraires et des prises de participations dans certaines institutions financières affaiblies. Cependant, Jean-François Gayraud montre bien que l’apport d’argent frais ne se limite pas aux banques. Il apparaît donc que le crime organisé est sorti plus que jamais renforcé de la crise mondiale, dans un contexte où les leçons de la grande dérégulation des années 1980 ne semblent pas avoir été tirées.
Une loi extrêmement coûteuse
L’analyse des coûts de la loi de 1970 met en évidence une augmentation considérable des budgets alloués à la répression depuis 40 ans. Les dirigeants politiques parviennent à débloquer toujours plus de crédits pour les affecter à des moyens matériels et humains destinés à faire appliquer la loi sur les stupéfiants, malgré l’absence totale de résultats concluants sur le plan de la santé publique. L’allocation de tels crédits, supportés par l’ensemble des contribuables, devient totalement disproportionnée: en 2010, ce coût légal est 5 fois plus élevé que le coût sanitaire lié à l’usage du cannabis. En comparaison, le cout légal de l’alcool ne représente que 1% de son cout sanitaire et la consommation d’alcool a été divisé par 2 dans la population générale depuis 1960. Alors que les écoles et les maternités en zones rurales ferment leur portes, faute de moyens, comment justifier de telles dépenses au nom de de santé publique au vu des résultats de cette politique depuis 40 ans ?
Afin de mettre un terme à ce gaspillage des ressources publiques, une redirection de ces fonds vers le ministère de la santé permettrait d’obtenir de biens meilleurs résultats, comme pour l’alcool. Ces éléments sont connus depuis plus d’une décennie, mais cette vision pragmatique ne semble toujours pas pénétrer dans l’opinion publique, certains estimant que l’État ne se donne pas encore réellement les moyens de lutter contre l’usage et le trafic de stupéfiants.
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Une loi inique pour les individus
Bien que contre intuitif, c’est bien officiellement au nom de la santé publique que la répression persécute les usagers de stupéfiants en distribuant de lourdes peines arbitrairement ou de manière discriminatoire. Cette répression engendre des dommages infiniment supérieurs aux dommages engendrés par le produit, comme l’a déclaré Jimmy Carter en 1978 lors de sa campagne d’investiture à la Maison Blanche. Certains états, profitant du soutien de l’O.N.U., condamnent les usagers à mort ou à une peine de prison à perpétuité. Au Philippines, Rodriguo Duterte, au pouvoir depuis le 10 mai 2016, exhorte la population au meurtre des usagers de drogues, entrainant une vague d’exécutions extrajudiciaires sans précédents dénoncée par le Tribunal Pénal International (plus de 3000 morts en 6 mois) .
La prohibition est un système criminogène à bien des égards et va à l’encontre des intérêts des citoyens. Au vu des connaissances scientifiques et sociologiques sur le cannabis, continuer une telle politique est incontestablement une faute très grave qui pourrait être qualifiée de crime contre l’humanité dans certains pays. Cette politique obscurantiste, comparable à une chasse aux sorcières moyenâgeuse, a déjà fait énormément de dommages aussi bien sur le plan individuel que sur le plan sociétal, en brisant des centaines de millions de vies à travers le monde en un demi-siècle. Aux États-Unis, les peines de prison cumulées pour des affaires de cannabis représentent 14 millions d’années avec un coût carcéral de 450 milliards de dollars.
Une loi stigmatisant les usagers
Les premières victimes de cette politique sont évidemment les usagers qui sont fortement précarisés par les lois répressives sur les stupéfiants. La répression nécessaire au maintien de la prohibition criminalise directement 10 % de la population adulte. En France, plus de 2 millions d’interpellations pour ILS ont été enregistrées depuis 1970 (dont un million durant la dernière décennie) et près d’un usager sur 3 aurait déjà eu affaire à la police pour détention de cannabis au cours de sa vie. Depuis dix ans, plus de 100 000 peines de prison ferme ont été prononcées en France pour des ILS portant sur du cannabis, la grande majorité pour usage-revente (économie de survivance, voire de confort).
Une interpellation pour usage simple peut avoir de graves répercussions, comme l’inscription au casier judiciaire et la perte de chance associée, une lourde amende, une peine de prison, autant de facteurs précipitants vers l’exclusion sociale. Dans la plupart des cas, les proches soutiennent l’usager: ils ne comprennent pas la gravité des faits reprochés et sont des victimes collatérales de cette politique.
La révélation des faits d’usage peut nuire gravement à la réputation et la société peut aussi discriminer les usagers de cannabis. La précarisation des consommateurs de chanvre est aujourd’hui étendue depuis que le dépistage de l’usage est pratique courante, aussi bien sur les routes que dans le monde du travail : un patron peut désormais licencier son employé suite à un dépistage urinaire positif ou un individu peut révéler les faits d’usage de son conjoint pour obtenir la garde des enfants en cas de divorce, cas fréquent aux conséquences particulièrement néfastes pour l’usager considéré irresponsable, comme pour les enfants, indirectement.
Une loi arbitraire et discriminatoire
L’analyse des coûts de l’interdiction met en évidence que les mesures répressives se concentrent sur les plus pauvres, ce qui pourrait à la fois constituer un argument en faveur de la légalisation, au nom de la justice sociale, et expliquer la difficulté à mener la réforme du fait du faible poids politique des individus les plus touchés. Les populations les moins insérées socialement, comme les jeunes, les immigrés et les chômeurs, sont particulièrement discriminées par cette politique, renforçant ce cliché auprès de l’opinion publique. Que reproche-t-on finalement à ces individus qui cultivent du chanvre pour pouvoir payer leurs impôts et leurs factures, par ces temps de crise populaire ? La précarisation est probablement un facteur de vulnérabilité pour entrer dans ce marché totalement dérégulé par la prohibition, bien que cette condition ne soit ni nécessaire, ni suffisante,
Nous ne disposons pas de statistiques sur l’origine ethnique des interpellés en France, mais aux États-Unis et au Royaume-Uni, ces dernières sont édifiantes et montrent une surreprésentation importante des minorités ethniques, révélant les vecteurs xénophobes de la prohibition, toujours latents. Une étude récente compare les données policières et les données déclaratives et conclut que « les enquêtes en population générale illustrent la grande diversité des usagers de cannabis (et des usages). Les résultats suggèrent que les consommateurs les plus exposés à l’interpellation présentent des caractéristiques qui sont loin d’épuiser cette diversité. Il apparaît aussi « qu’une majorité d’usagers, qui a priori risquent peu d’être interpellés, est à bien des égards très proche de la population des non-usagers, en termes de profil sociodémographique et comportemental ». Ces résultats, qui étayent le constat d’une normalisation des usages de cannabis, contredit le discours des autorités qui tend à présenter les usagers de cannabis dans leur ensemble comme une population à problèmes, regroupant des marginaux censés accumuler les conduites délictueuses.
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Une réforme urgente pour la société
La politique des drogues actuelle porte atteinte aux principes fondamentaux de liberté et d’égalité entre les citoyens et s’apparente à une loi d’exception par rapport aux droit positif. Cette politique est soutenue par l’opinion publique au nom de la lutte contre les addictions, prétendument d’une dangerosité inacceptable ou simplement de la morale. Pourtant, cette politique n’est absolument pas éthique et méprise de facto la santé, la sécurité et les finances publiques, tout en dynamisant l’économie parallèle et en menaçant nos démocraties.
Les plus hauts représentants d’États, au sein de la Commission globale sur les drogues, s’élèvent contre cette politique de prohibition obscurantiste, qui ignore aveuglément les dommages qu’elle engendre et les bénéfices dont elle se prive.
« Les lois devraient être révisées sur les principes fondamentaux du droit et des valeurs de l’Union Européenne: le respect de la dignité humaine, la liberté, l’égalité, la solidarité, la démocratie et la primauté du droit et des droits de l’homme. Elle doit viser à protéger et à améliorer le bien-être de la société et de l’individu, afin de protéger la santé publique et d’offrir un niveau élevé de sécurité pour le grand public.»
J-M Costes, fondateur et ex-directeur de l’ODFT
La criminalisation du cannabis ne sert à rien. La loi n’influence pas la décision de consommer ou pas. La répression professionnalise le trafic sans le résorber. La réponse pénale est inhumaine pour les usagers thérapeutiques. Elle est inefficace pour inciter à une gestion socialement acceptable de la consommation récréative et protéger les mineurs. Par contre, cette politique a des conséquences très négatives pour la société. Les organisations criminelles prospèrent sur ce marché noir, régentent de nombreux territoires et gangrènent l’économie et la vie quotidienne. La prohibition du cannabis est une source majeure d’insécurité.
Pour conclure, voici la synthèse du rapport présenté au Bundestag à l’automne 2013 signé par 106 professeurs de droit pénal en Allemagne qui résume avec brio la situation actuelle. Ces experts juridiques justifient l’appel pour une réforme urgente des lois sur les drogues par l’échec du contrôle répressif de l’offre et de la demande des drogues dans le monde et l’excès actuel de criminalisation de la population. Ces éléments sont basés sur 5 constats :
- La prohibition échoue systématiquement dans son objectif de prévention de la consommation nocive de certaines substances. De fait, toutes les études scientifiques pertinentes démontrent qu’il est impossible que la prohibition atteigne cet objectif.
- Avec la prohibition des drogues, l’État abandonne son contrôle sur la disponibilité et la pureté des drogues. Le problème n’est pas les effets des drogues mais plutôt la politique répressive en matière de drogues.
- La prohibition est préjudiciable à la société : elle favorise le crime organisé et le marché noir. De même, elle réduit les droits civils et corrompt l’État de Droit. La concentration massive de pouvoir dans les cartels et les mafias augmente le risque d’échec de la société civile.
- La prohibition représente un coût disproportionné : les citoyens sont victimes de la délinquance relative aux drogues, chaque année des milliards de dollars sont dépensés pour l’application de la loi. Ils seraient mieux utilisés dans la prévention et la protection de la santé.
- La prohibition porte préjudice aux consommateurs : ils sont discriminés, poursuivis et projetés vers des occupations criminelles. Il n’y a pas de protection des consommateurs ni des mineurs. On favorise des façons de consommer risquées et les consommateurs sont exposés à des maladies dangereuses (V.I.H., Hépatite C).
Sources :
- Les drogues dans l’histoire : entre remède et poison / ROSENZWEIG M., Paris : De Boeck , 1999, 198 p.
- Arnoult A. Adolescents et drogues : une analyse des discours de la presse quotidienne nationale – Cairn.info. cairn. 2012 Mar;(56):152.
- Punition et soin – Cairn.info [Internet]. [cited 2014 Jun 15]. Available from: https://www.cairn.info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-sud-nord-2005-1-page-175.htm
- L’addictologie : croyance ou révolution ? – Cairn.info [Internet]. [cited 2014 Jun 15]. Available from: https://www.cairn.info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-psychotropes-2006-3-page-21.htm
- Peretti-Watel P, Beck F, Legleye S. Usagers interpellés, usagers déclarés : les deux visages du fumeur de cannabis. Déviance Société. 2004 Sep 1;Vol. 28(3):335–52.
- Parker HJ, Aldridge J, Measham F. Illegal Leisure: The Normalization of Adolescent Recreational Drug Use. Routledge; 1998. 202 p.
Article indispensable, à lire absolument et à diffuser largement. Merci pour ce beau résumé.