En Grèce comme au Portugal, les efforts sanitaires et sociaux entrepris pour venir en aide et accompagner les usager-e-s de stupéfiants ont dû subir, ces dernières années, des coupes énormes sous l’effet des mesures d’austérité imposées par la troïka, avec des conséquences évidemment déplorables.

En collaboration avec le think-tank FAAAT.

Alors que l’UNGASS approche, nous avons voulu vous présenter le dernier rapport de l’association portugaise APDES, intitulé “L’Austerité et le modèle portugais de politiques des drogues”, mettant en valeur la façon dont les mesures de forte contrainte budgétaire imposées par la Troïka au Portugal entre 2011 et 2015 ont influé sur les politiques relatives aux drogues dans le pays, malgré la volonté des autorités de continuer dans la voie initiée dès 2001 avec la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues et la réallocation des ressources aux services sociaux et de santé. Ces politiques ont en effet permis, en 15 ans, de faire baisser l’usage récent et actuel (en particulier chez les 15-24 ans), de permettre une expansion considérable de l’accès au traitement et aux soins, de faire diminuer fortement les décès liés aux drogues, en particulier par injection, etc.

L’étude s’appuie sur la perception de quatre groupes d’acteurs principaux de la problématique ; les usagers et usagères, les chercheurs, les professionnels et les autorités. Laissons les auteur-e-s du rapport parler eux-mêmes de leur projet :

L’objectif principal du projet était de veiller aux évolution des phénomènes liés aux drogues — au niveau de la vie des personnes usagères comme des services publics de soin liés — au cours de la mise en place des mesures d’austérité au Portugal.

Le modèle portugais de politique relatives aux drogues est constamment soumis à un regard et un examen international ; il est fréquemment pointé comme un possible exemple à suivre, au vu d’indicateurs de réussite prometteurs. Cependant, son approche de santé caractérisée par une nature complexe des services et programmes pourrait être en danger en raison du cadre restrictif des politiques publiques actuelles.

Dans ce cas d’espèce, c’est le modèle portugais dans son ensemble qui est en danger : en perdant ses traits propres et idiosyncrasiques, il se pourrait que le modèle devienne inadéquat ou inopérant.

Le projet [de ce rapport] s’est tenu dans un moment critique et décisive, au cours duquel il était possible de comprendre en temps réel la façon dont les politiques compatissantes répondent au processus d’amoindrissement des ressources auquel ils sont confrontés.

Les conclusions du rapport sont sans appel : le rapport pointe en effet qu’entre 2011 et 2015, les programmes et mesures de réduction des risques et des dommages, d’accompagnement, de soutien et de réintégration sociale des usager-e-s de stupéfiants ont été fortement ébranlés par les mesures d’austérité économique ; mais il est également mis en valeur que ces programmes sapés représentaient pourtant un aspect fondamental du tissu apte à protéger ceux qui, justement, sont le plus exposés aux conséquences de la crise, se retrouvant dans des situations de vie éprouvantes et des conditions de vie rudes.

Les programmes de réduction des risques et d’attention aux personnes faisant usage de drogues ont donc été parmi les premières victimes des coupes économiques en périodes d’austérité, alors même que leur utilité sociale tend à augmenter en cas de situation économique difficile.

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Cela ne peut que nous rappeler un positionnement intéressant sur la question, qui mettait en avant le besoin de ne pas laisser de côté les politiques des drogues face à la crise, appelant à un investissement des États, en particulier en travaillant en lien avec les associations et organisations de la société civile.

Il s’agit de la Déclaration d’Athènes sur la protection de la santé publique par la prestation de services essentiels dans le cadre des politiques en matière de drogues dans un contexte d’austérité, publiée en 2013 par le Groupe Pompidou, un groupe de recherche et d’analyse politique des problématiques de drogues au niveau pan-européen.

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Nous, représentants des États participant à la 73e réunion des Correspondants permanents du Groupe Pompidou,

Notant que la crise financière et économique mondiale en Europe et les mesures d’austérité qui en résultent ont déjà entraîné des difficultés, qui pourraient prochainement s’aggraver, concernant la santé des individus et de la population en général, ainsi que la cohésion de nos sociétés ;

Notant avec une vive inquiétude le changement des modes de consommation de drogues dans un contexte de forte austérité – par exemple, le risque de plus grande précocité de la première consommation, la prévalence croissante de la consommation de drogues injectables, des rechutes, la prise de risque, ainsi que le risque d’overdose, en particulier parmi les groupes vulnérables –, l’incidence grandissante de la polyconsommation de drogues (associant substances illégales et légales) et les conséquences de ces comportements sur la santé publique et sur la criminalité ;

Préoccupés par les effets de la crise économique qui pourraient aboutir à des attitudes discriminatoires de la société envers la consommation de drogues et les personnes qui utilisent des drogues et qui compromettent la réduction des risques, les traitements contre la drogue, le potentiel de réinsertion sociale et de guérison des toxicomanes ;

Reconnaissant la nécessité de mieux comprendre les effets des crises économiques sur la consommation de drogues et sur les politiques en matière de drogues, notamment :

  • l’impact asymétrique de la crise sur certains groupes de population et sur certaines sociétés ;
  • l’impact de la crise sur l’usage de drogues, à savoir sur les modes de consommation, ainsi que les risques et dommages, y compris les assuétudes, l’overdose, le VIH , le VHC et d’autres maladies à diffusion hématogène ;
  • l’incidence des mesures d’austérité et des efforts de restructuration sur les budgets de santé et sur les dépenses publiques liées à la drogue ;
  • les conséquences des restrictions dues à la crise sur les budgets des services chargés de l’application de la loi et sur les efforts de réduction de l’offre de drogue, ce qui pourrait se traduire par une augmentation de la disponibilité des drogues ;
  • l’incidence de la réduction des ressources pour les mesures de réduction de la demande, qui peut affecter la disponibilité de politiques et mesures de prévention des risques et de réduction des dommages ainsi que la prise en charge des traitements, des soins, et des services de réhabilitation et de réinsertion ;

Rappelant les obligations faites aux États par les conventions du Conseil de l’Europe et des Nations Unies de protéger les droits et les libertés fondamentaux, en particulier le droit à la vie et la dignité humaine, le droit à la protection de la santé, le droit pour tous à un accès équitable à des services de santé de qualité, l’interdiction de toute forme de discrimination ainsi que le droit des enfants d’être protégés contre les stupéfiants et les substances psychotropes ;

Rappelant les obligations faites aux États par l’article 2 du Pacte international relatif aux droits Économiques, Sociaux et Culturels, et par l’article 4 de la Convention des droits de l’enfant des Nations Unies, de s’engager à agir, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice du droit qu’à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre.

Gardant à l’esprit la Résolution 1884 (2012), intitulée Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux, et la Résolution 1946 (2013), intitulée L’égalité de l’accès aux soins de santé, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ;

1. Réaffirmons notre engagement à l’égard des principes suivants même en temps de grave pénurie de ressources :

  • la mise en application des politiques en matière de drogues doit être fondée sur des normes fondamentales d’équité et de qualité et sur le plus grand respect des droits de l’homme ;
  • l’approche équilibrée des politiques en matière de drogues doit aussi se refléter dans les budgets alloués aux mesures de réduction de l’offre et de réduction de la demande ;
  • l’entraide et la coopération aux niveaux national et international sont indispensables à la mise en œuvre des politiques en matière de drogues ;
  • une action immédiate devrait être engagée et renforcée en coopération avec les ONG et la société civile pour assurer qu’une prise en charge intégrée (depuis la prévention jusqu’à la guérison) soit accessible aux populations vulnérables, protégeant ainsi les personnes et la société dans son ensemble.

2. Là où c’est nécessaire, appelons tous les acteurs des politiques en matière de drogues à lancer et à défendre une action politique immédiate pour atténuer l’incidence des crises économiques, tout particulièrement sur les groupes les plus vulnérables, et pour garantir le déploiement, l’accessibilité et la qualité des services essentiels, et ce en dépit des restrictions budgétaires.

3. Déclarons notre détermination à continuer de fournir ces services intégrés et complets dans le cadre de nos politiques nationales en matière de drogues et à combattre tout type de discrimination. Pour ce faire, il convient de prendre les mesures suivantes :

  • Là où c’est nécessaire, engager d’urgence une action sur la base d’indicateurs montrant les nouvelles tendances et conséquences en matière de drogues. Dans certains pays, les éléments dont on dispose étant déjà suffisants pour justifier d’agir afin de prévenir une grave dégradation des indicateurs de santé individuelle et publique ainsi que la perte de vies humaines qui surviendrait ;
  • appliquer de bonnes pratiques fondées sur des connaissances validées pour optimiser le rapport coût-efficacité de la mise en œuvre des politiques afin de parer aux restrictions budgétaires pressantes ; il convient d’encourager et d’étudier des solutions innovantes pour fournir des services essentiels moyennant des coûts abordables ;
  • déployer les politiques en matière de drogues au niveau national en coopération avec les ONG et la société civile, afin de favoriser une meilleure intégration des services, de réaliser des économies d’échelle et d’améliorer le rapport coût-efficacité.

4. Engageons le Groupe Pompidou à travailler sur cette question et à veiller à ce qu’elle demeure inscrite à son programme de travail aussi longtemps que nécessaire.

5. Appelons d’autres organisations internationales et des États non membres à soutenir le Groupe Pompidou dans ses efforts pour atténuer les conséquences des crises économiques et des mesures d’austérité qui en résultent, notamment en s’associant au Groupe pour mettre en place des mesures de protection contre la stigmatisation et la discrimination des personnes qui utilisent des drogues.
 
 
 

En collaboration avec le think-tank FAAAT.