Nous reproduisons ci-dessous la synthèse en français du rapport 2016 sur les marchés européens des drogues, de l’Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies et EUROPOL. Cette synthèse offre un aperçu stratégique des principales conclusions du Rapport sur les marchés des drogues dans l’UE 2016, qui rassemble les connaissances de l’OEDT et l’EUROPOL, leur compréhension et leur approche du fonctionnement et de la structure du marché des drogues dans l’UE. Il s’appuie sur les travaux réalisés lors du précédent rapport sur les marchés des drogues de 2013, et cherche la pertinence vis à vis des décisionnaires politiques. L’association de l’expertise et des connaissances des réseaux criminels d’Europol et de la vue d’ensemble de la situation des drogues de l’OEDT aide à distinguer les signaux importants, au delà du « bruit de fond permanent ».
Basé à Lisbonne, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT, ou EMCDDA en anglais) est l’une des agences décentralisées de l’Union européenne. C’est la source principale et l’autorité confirmée dans le domaine des questions liées aux stupéfiants en Europe. Depuis plus de 20 ans, l’OEDT collecte, analyse et diffuse des informations scientifiques sur les drogues, les conduites addictives et sur leurs conséquences, offrant à ses publics un aperçu du phénomène des drogues au niveau européen sur la base de données factuelles.
Quant à EUROPOL, basée à La Haye, elle est l’agence répressive de l’Union européenne dont la mission consiste à aider les États membres à prévenir et à lutter contre toutes les formes de criminalité internationale et organisée, et de terrorisme. Désormais, EUROPOL se fixe comme objectif « la recherche de nouvelles opportunités visant à simplifier la coopération et la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme »…
Pour lire le rapport en entier, ou pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de l’OEDT.
Synthèse du Rapport sur les marchés des drogues dans l’UE – 2016
Cannabis
Le marché de la consommation en Europe
Selon les estimations, plus de 80 millions d’adultes ont déjà consommé du cannabis, dont plus de 22 millions au cours de l’année écoulée — ce qui en fait de loin la drogue illicite la plus consommée dans l’UE. La valeur estimée du marché du cannabis est proportionnellement élevée, s’élevant à plus de 9 milliards d’euros. Il semble qu’environ 1 % des adultes européens consomment du cannabis quotidiennement ou quasi quotidiennement, et c’est ce groupe qui suscite le plus de préoccupations quant au risque de problèmes sociaux et de santé connexes. Des augmentations et des diminutions sont observées dans les tendances nationales relatives à la consommation du cannabis relevées par des enquêtes récentes. Cependant, le cannabis est désormais la drogue la plus souvent signalée comme étant la principale raison d’entamer un premier traitement pour usage de drogue et la deuxième substance la plus souvent citée par tous les patients en traitement.
Le cannabis est disponible en Europe sous deux formes, l’herbe et la résine, et, dans les deux cas, est généralement fumé avec du tabac, avec les éventuels impacts supplémentaires sur la santé que cela implique. Bien que les prix varient selon les pays, tout comme la qualité perçue du produit, les prix au détail signalés pour l’herbe et la résine de cannabis sont désormais assez similaires, généralement entre 7 et 12 euros par gramme. Alors que ces prix n’ont augmenté que légèrement au cours des dix dernières années, durant la même période, la teneur moyenne de tétrahydrocannabinol (THC) a presque doublé.
Innovation des produits et du marché
La production croissante de cannabis dans l’UE au cours des dix dernières années a entraîné un changement au niveau du marché, les produits à base d’herbe cultivée dans l’UE devenant plus importants et remplaçant la résine importée dans de nombreux pays. Cela dit, la résine importée reste très consommée et certaines herbes de cannabis continuent d’entrer dans l’Union à partir d’autres pays d’origine. La production européenne inclut un ensemble diversifié de pratiques, de la culture à petite échelle pour une consommation personnelle à des plantations de grande taille. Bien que certaines cultures à grande échelle se fassent à l’extérieur, les sites de culture intensive sont souvent situés en intérieur (indoor) voire sous terre et peuvent constituer un risque important d’incendie.
Les techniques de production intensives et sophistiquées utilisées en Europe, ainsi que la disponibilité de variétés de cannabis à teneur élevée, sont probablement l’un des moteurs de l’augmentation de la teneur des produits à base de résine et d’herbe observée ces dernières années. Il semble que de nombreux consommateurs de cannabis assimilent la teneur à la qualité, ce qui crée une demande et une surenchère pour les produits à forte teneur. La concurrence sur le marché est suffisamment vive pour que ce phénomène représente une incitation pour les producteurs marocains de résine, qui ont introduit de nouvelles variétés hybrides de la plante à haut rendement et à forte teneur.
Bien que les données relatives aux autres formes de cannabis disponibles sur le marché européen soient limitées, des indices d’autre provenances, et en particulier des États-Unis, suggèrent qu’il existe une marge de manœuvre considérable pour l’innovation future, notamment en ce qui concerne les produits comestibles, les huiles ou le cannabis destiné à être utilisé dans des inhalateurs. Traditionnellement, de faibles quantités d’huile de cannabis sont disponibles de manière sporadique sur le marché de l’UE, mais de récentes mentions de production nationale impliquant l’utilisation de gaz butane provenant des États-Unis sont inquiétants, tant du point de vue de la santé que de la sécurité publiques.
De manière plus générale, l’existence d’un grand marché commercial de cannabis licite aux États-Unis entraînerait probablement plus d’innovation en matière de produits, avec des répercussions possibles dans l’UE. Cependant, la production sur le territoire européen est déjà encouragée par des points de vente en ligne et physiques commercialisant des produits tels que des dispositifs d’éclairage, des graines de plantes à forte teneur et des kits de production de résine. De la résine à très forte teneur produite dans l’UE a été décelée récemment, et la perspective d’une production commerciale de résine de cannabis très puissante au sein de l’UE est désormais réelle. Un lien entre certains « grow-shops » et des groupes criminels impliqués dans le trafic et la vente de cannabis a récemment entraîné l’adoption de mesures ciblant ce type d’activités en République tchèque et aux Pays-Bas. Ces mesures pourraient toutefois entraîner un déplacement des activités vers les pays voisins et le marché en ligne.
Trafic de cannabis et criminalité organisée
L’image publique quelque peu inoffensive du marché du cannabis héritée des entrepreneurs hippies des années 60 contraste fortement avec la réalité moderne. Les groupes criminels organisés (GCO) jouent désormais un rôle majeur dans une grande industrie fort lucrative où la violence est présente et qui est connectée à d’autres formes de criminalité. Par ailleurs, l’envergure du marché du cannabis en fait un enjeu important pour les activités criminelles à tous les niveaux. Par exemple, les gangs de rue sont souvent impliqués dans la vente au détail, et parfois dans la production, et cela a donné lieu à des conflits entre ces gangs dans certains États membres de l’UE. Les répercussions négatives du grand marché illicite du cannabis sur les communautés locales et les ressources des services répressifs, ainsi que les coûts qui en résultent, sont souvent négligés.
Les GCO marocains, qui exploitent les liens avec les communautés marocaines établies en Europe et travaillent en partenariat avec les groupes européens, jouent de longue date un rôle dans l’importation de grandes quantités de résine de cannabis. L’Espagne, les Pays-Bas et, dans une moindre mesure, la Belgique sont des points d’importation et de distribution majeurs pour le marché de l’UE dans son ensemble. Ces activités continuent d’engendrer des violences entre gangs dans certains pays. Il est toutefois probable que ce soit la croissance de la production nationale d’herbe de cannabis qui ait donné lieu à la plupart des violences entre groupes. De sites indoor de production à grande échelle ont été liés à des crimes violents entre gangs rivaux et au vol d’électricité, et sont également associés à des activités de traite des êtres humains. Des migrants et des victimes de la traite d’êtres humains, ainsi que d’autres personnes vulnérables, ont été employés ou forcés à travailler sur les sites de production. Bien que de nombreux groupes criminels soient impliqués, les GCO néerlandais et vietnamiens se sont taillée une réputation internationale en la matière. Certains de ces groupes ont établi leurs propres sites de production de cannabis en dehors de leur pays d’origine, alors que d’autres fournissent leur savoir-faire et des équipements à des groupes dans d’autres pays, facilitant ainsi la diffusion de la production de cannabis dans de nouveaux territoires.
En termes d’évolution du marché, l’Espagne, qui est traditionnellement le principal point d’entrée de la résine produite au Maroc, a récemment fait état d’un nombre croissant de saisies d’herbe, ce qui suggère une croissance de la production intérieure locale. Les saisies d’herbe connaissent également une augmentation en Italie et en Grèce. Par ailleurs, en 2013, la Turquie a signalé avoir saisi 180 tonnes d’herbe de cannabis, soit plus que tous les États membres de l’UE réunis, bien que les implications de ces saisies pour le marché de l’UE ne soient pas claires. Une autre évolution récente concerne l’apparition limitée de résine afghane dans certaines parties de l’UE, des groupes albanais étant associés à ce produit. L’Albanie est également un pays d’origine notable en ce qui concerne l’herbe faisant l’objet d’un trafic dans l’UE. Certaines interceptions récentes de grosses cargaisons de résine se déplaçant vers l’est le long de la côte du nord de l’Afrique sont également préoccupantes car elles pourraient indiquer l’émergence de nouvelles voies de trafic à travers les pays du sud de l’Europe et les Balkans occidentaux qui présentent des liens potentiels avec le trafic de migrants, ou vers des régions instables de l’est de la Méditerranée.