Pour fêter ses 20 ans, le journal d’ASUD est invité par Rue 89 pour discuter de dopes, de politique, de trafic, de réduction des risques, de plaisir et de dépendance.
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Ces derniers jours, c’est la fête au cannabis dans les grandes émissions d’information de la télévision française. Trois longs reportages (dont Zone interdite et Enquête exclusive dimanche, sur M6) pour dénoncer les ravages de la consommation massive et pluriquotidienne des adolescents d’un cannabis soi-disant surpuissant, cultivé par les usagers eux même pour leur consommation ou un cercle restreint de proches mais aussi en quantité industrielle par des organisations criminelles internationales.
Le constat est incontestable :
- les ados français fument du cannabis très jeune (initiation autour de 15 ans) ;
- massivement (près de 50% d’expérimentateur pour environ 30% d’usagers réguliers, plus de dix fois dans le mois) ;
- et parfois à des doses quotidienne élevées (entre quatre et dix joints par jour).
Le taux moyen en principes actifs (principalement le THC) des échantillons analysés dans les saisies de police est lui aussi en augmentation (il se rapproche des 16% enregistré aux Pays-Bas).
Une répression stérile
Voilà le résultat de plus de dix ans de tolérance zéro, de répression stérile, de campagnes d’information alarmistes, d’efforts désordonnés de prévention et de traitement, de l’absence de réduction des risques et d’éducation à l’usage modéré de cannabis. Voilà le bilan désastreux de la prohibition du cannabis.
La violence liée à la production arrive dans nos pays avec le raccourcissement de la route entre le producteur et le consommateur. La disponibilité du produit n’a jamais été aussi grande. L’illégalité ne permet pas de proposer des produits contrôlés avec un affichage informant l’usager comme pour tous les autres produits aussi massivement consommés. La répression n’arrête pas l’usage, elle coûte beaucoup d’argent, là ou une régulation pourrait en rapporter davantage. Les moyens de prévention sont insuffisants et mal utilisés.
Le constat global est d’autant plus alarmant que notre gouvernement semble s’inscrire dans la continuité de ce désastre, à quelques arrangements cosmétiques près, principalement le chouchou des Français, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls.
Méthode coercitive et test urinaire
Plutôt que d’insister sur la nécessité de dialogue autour de la consommation avec des arguments pragmatiques, de responsabilisation de l’ado par exemple avec contrat d’usage modéré pouvant associer les autres consommations de psychotropes légaux et illicites de toute la famille, de regarder autour du cannabis qui peut masquer des problèmes bien plus graves, les deux reportages de France 2 et M6 ont préféré exposer largement un modèle autoritaire et fliqué de gestion familiale et scolaire fondé sur l’abstinence totale.
On sent bien l’objectif de faire accepter par la population des tests urinaires de contrôle des élèves pour limiter l’usage devant les établissements, plus de police aussi. C’est un vieux débat, notre budget de crise ne permet pas d’établir un plan national efficace, au grand dam des fabricants de test, des laboratoires d’analyses et de certains syndicats policiers.
Reste la solution individuelle, inciter les parents à jouer à l’Agence anti-dopage en menaçant de virer le fautif du domicile familial sans assistance, ou encore à dénoncer l’enfant gaulé en possession de weed à la gendarmerie. Ambiance assurée à la maison.
Rien de vraiment nouveau
Les études les plus crédibles évaluent entre 10% (premier rapport de la Commission mondiale sur la politique des drogues (GCDP)) et 20% (Rapport Reynaud 2013 [PDF]) le pourcentage d’usagers problématique de cannabis, y compris dans la tranche d’âge la plus jeune. A la vision des reportages, on pourrait croire que tous les ados sont des « potheads » (fumeurs abusifs de marijuana) et que le cannabis ruine notre jeunesse donc notre pays.
Pourtant, comme beaucoup de fumeurs de pétards des années 70-80 qui confirmeront mes propos, j’étais en classe avec leurs parents, nous étions déjà très nombreux à fumer régulièrement, parfois de la pure merde coupée au henné ou à la paraffine mais aussi de la pure huile de résine, du très puissant temple Ball ou du Libanais rouge. Ces produits assez courants atteignaient largement les 16% en THC de la weed d’aujourd’hui, juste avec dedans beaucoup plus de cannabidiol (CBD) donc moins d’angoisse, d’excitation, de parano.
Entre 10% et 20% des classes fumaient déjà tous les jours, dont la moitié du matin au soir. La France est toujours une grande puissance mondiale, heureusement que nos voisins fument aussi du cannabis !
C’est la guerre à la drogue qui a poussé à la culture indoor et à la course au THC. Un marché régulé offrirait plus de choix et de contrôle. Du cidre à 2° et du rhum à 55° sont en vente libre. L’usager modéré adapte sa consommation à la puissance du produit, l’alcoolique destructeur picole le rhum au goulot. C’est pareil pour le cannabis. Les néophytes prendraient moins de risque de surdosage avec un produit étiqueté provenant d’un magasin agrée, même un mineur qui l’aurait obtenu d’un majeur habilité à l’acheter.
Un seul expert scientifique assez contestable
Omniprésent dans les médias, le Professeur Jean Constentin reprend le flambeau de Gabriel Nahas dans le rôle du prédicateur apocalyptique en blouse blanche. Ces expériences sur les souris sont édifiantes mais nous ne sommes pas tout à fait des rongeurs. Il n’appuie pas ces thèses excessives sur l’intégralité d’études crédibles, il extrapole sur des parties de recherche pour dramatiser. Le cannabis est effectivement reconnu pour ralentir les décisions, brouiller l’apprentissage et la mémorisation, affecter la motivation.
C’est la méthodologie et surtout l’interprétation hyper-alarmiste des résultats qui tourne à la caricature. Je vais publier très prochainement un ouvrage sur la dépénalisation du cannabis avec Jean Constentin en contradicteur. En compagnie du Dr Alain Rigaud, président de la Fédération française d’addictologie, je lui répondrais plus longuement.
Heureusement que la soirée s’est terminée avec Bernard de la Villardière en train de fabriquer légalement de la magnifique résine au bubbleator et de regarder le résultat final avec gourmandise. Je suis presque certain qu’il dispose maintenant d’une recommandation médicale pas du tout de complaisance avec plusieurs cartes de membre des meilleurs dispensaires californiens de marijuana. C’est légal et il a l’âge d’avoir des douleurs que le cannabis peut soulager. Moi aussi, Je songe à déménager.
Laurent APPEL — Journaliste chez ASUD Journal