Augmentation des tests salivaires, renforcement des sanctions déjà lourdes pour les usagers de cannabis. Beaucoup d’information et de désinformation circulent sur l’usage du cannabis et de la conduite. Prenons de la hauteur, et regardons objectivement de quelles données nous disposons concernant le cannabis et la sécurité routière : accidentologie, risques réels et bonnes pratiques. C’est parti.

État de la mortalité sur la route avec le cannabis

Avant d’aller plus loin, regardons quel est l’état actuel de l’accidentologie liée au cannabis aujourd’hui, tenant compte des dernières données consolidées par l’ONISR, celles de 2021.

Prévalences et OR bruts de responsabilité liés à la conduite sous influence

Prévalences et OR bruts de responsabilité liés à la conduite sous influence (n=4059 conducteurs impliqués dans un accident mortel ayant fait l’objet d’une procédure réglementaire de recherche d’alcool et de stupéfiants et d’une détermination de la responsabilité experte) (données Voiesur 2011)  Source : ONISR

Cette année-là, il y a eu 3 219 personnes tuées sur les routes en France métropolitaine et Outre-Mer, et parmi elles, 436 dans un accident impliquant un conducteur testé positif à l’usage de stupéfiant, soit 14,8% des accidents mortels. Nous n’avons pas, sur cette année, les données précises par stupéfiants.

Les derniers résultats exploitables que nous avons datent de 2016 avec l’étude “Stupéfiants et Accidents Mortels” que nous avons déjà analysé sur notre portail “Cannabis et conduite”.

Grâce à elle, nous avons des données plus précises sur la part du cannabis dans les accidents mortels ainsi que d’en apprendre plus sur les facteurs de risque.

Cette étude se base sur l’analyse de 4 059 conducteurs impliqués dans un accident mortel de la route (les chiffres retenus dans l’étude sont ceux de l’année 2011). Parmi eux, 325 avaient un taux de THC dans le sang supérieur à 1 ng/ml. Dans près d’un cas sur deux, l’alcool est aussi impliqué.

Consommation Alcool et Cannabis parmi les conducteurs responsables et non-responsables. Source : ONISR

Effectifs et prévalences des consommations uniques ou conjointes chez les responsables et les non responsables (n=4047*, données Voiesur 2011) source : ONISR

On apprend que lorsque le conducteur est testé positif seulement à l’alcool, dans 96% des cas, il est responsable de l’accident, alors que près de 30% des conducteurs testés positif au cannabis seul, ne sont pas responsables de l’accident dans lequel ils sont impliqués.

Ainsi, les conducteurs testés positifs au cannabis seul et considérés responsables de l’accident représentent 2,9% des conducteurs impliqués dans un accident mortel. Pour l’alcool, c’est 14,8%.

Les auteurs concluent que le risque attribuable (RA) du cannabis est estimé à 4,2%. Ce risque correspond à la proportion d’accidents mortels qui seraient évitée en l’absence d’exposition. Pour donner un ordre de grandeur, le RA de l’alcool représente 28%.

Le cannabis : un sur-risque de 1,65

Nous retrouvons également dans cette étude le calcul des rapports de chance (OR – Odd’s rate) concernant la présence de THC. Ce calcul permet de déterminer le risque supplémentaire lié à un facteur donné. La présence de THC dans le sang augmente le risque d’accident de 1,65 : l’usage du téléphone, lui, multiplie par 4 le risque d’accident mortel et l’alcool, près de 18.

Sur-risque de responsabilité du conducteur liés à une conduite sous influence (seuils réglementaires) : OR ajustés sur l'ensemble des co-facteurs et prévalantes (n=4047**, données Voisseur 2011, accidents mortels)

Sur-risque de responsabilité du conducteur liés à une conduite sous influence (seuils réglementaires) : OR ajustés sur l’ensemble des co-facteurs et prévalantes (n=4047**, données Voisseur 2011, accidents mortels)

En 2005, la précédente étude SAM avait également calculé le sur-risque d’un accident mortel pour un taux d’alcoolémie supérieur à 0 mais inférieur à 0,5 : ce sur-risque a été calculé à 2,7.

Sur-risque d’être responsable d’un accident mortel (odds ratio et son intervalle de confiance à 95%) ajusté sur le cannabis, l’âge, le type de véhicule et le moment de l’accident suivant les concentrations sanguines d’alcool

En d’autres termes, la loi par la pratique du seuil du taux d’alcoolémie, estime tolérable un sur-risque de 2 pour une consommation d’alcool. Là où pour un usage de cannabis, un sur-risque de 1,65 est considéré – au vu des sanctions – comme inacceptable.

En 2007, une méta-analyse a conclu que si on rapproche le risque acceptable lié à la consommation de cannabis à celui lié à la consommation d’alcool, le taux retenu est compris entre 7-10 ng/ml de sang.

Tous ces éléments ne signifient pas qu’il est sans risque ou qu’il est acceptable de prendre la route après avoir consommé du cannabis, il montre surtout qu’il n’y a pas de lien entre présence de THC dans le sang (ou a fortiori la salive) et que ce n’est pas un critère suffisant pour déduire une incompatibilité à la conduite : au vu des résultats, le fait d’être positif lors des contrôles n’entraîne pas un facteur de risque aussi important qu’avec une quantité légale d’alcool dans le sang. La part du cannabis dans les accidents mortels est donc à relativiser.

Il existe un certain nombre d’études qui ont analysé les effets du cannabis sur la conduite, et ont posé la question entre présence de THC dans sang, présence de THC-COOH dans la salive et les aptitudes à conduire. Tour d’horizon.

Évolution du taux de THC dans le sang?

La première chose à se demander, c’est que se passe-t-il dans votre corps quand vous consommez du THC. Pour répondre à cette question, nous nous basons sur cette étude de 2003 “Interprétation des concentrations sanguines en cannabinoïdes : données actuelles” publiée dans Annales de Toxicologie Analytique. 

Evolutions comparés des concentrations sanguines en THC après consommation d'un "joint" contenant 1,80% de THC (carrés) ou 3,60% de THC (triangles). Source : Mura et al. 2002

Évolutions comparées des concentrations sanguines en THC après consommation d’un « joint » contenant 1,80% de THC (carrés) ou 3,60% de THC (triangles). Source : Mura et al. 2002

Elle indique que lors de la consommation d’un joint de cannabis, 15 à 50% du THC présent dans la fumée va être absorbé très rapidement par les voies respiratoires et passer dans le sang : en moins de 10 min les concentrations maximales de THC dans le sang sont identifiées. En réalité, le THC va rapidement se fixer sur les tissus graisseux réduisant de fait la concentration du THC dans le sang.

“Deux heures après le début de l’inhalation d’un «joint» contenant 1,75 % de THC, les concentrations sanguines sont inférieures à 5 ng/ml (14) et restent détectables pendant 8 à 12 heures.  À ce stade, aucune corrélation dose-concentration sanguine en THC ne peut plus être observée (…).”

De fait, la baisse rapide du taux de THC dans le sang ne coïncide pas avec les effets ressentis, aussi bien au début – on peut être en ivresse cannabique alors que le taux de THC diminue – qu’à la fin – les effets du cannabis sont passé, mais du THC reste dans le sang.

L’étude conclut, comme plusieurs autres études après eux :

“Les concentrations sanguines en cannabinoïdes ne peuvent pas être utilisées pour préjuger des effets psychoactifs chez le consommateur. Cela a été confirmé récemment par une étude réalisée en France chez 900 conducteurs impliqués dans un accident corporel de la voie publique et dont les résultats ont été comparés avec 900 sujets témoins.”

Des effets jusqu’à 6h après la consommation

Plusieurs travaux ont tenté de définir la durée des effets ressentis lors de la consommation de cannabis et leur impact sur les aptitudes des usagers. Selon les études, les effets physiologiques et comportementaux disparaissent dans les 3h à 6h après exposition.

Cette étude réalisée grandeur nature sur un trajet d’une heure, ne détecte pas de changement dans les aptitudes à conduire 4 à 5h après la prise de cannabis, pour des usagers occasionnels (14 mg de THC consommé). Celle-ci détermine une incidence se terminant au bout de 4h30min pour des consommateurs réguliers.

“Si je roule, je ne prends pas la route”

Ne prenez pas la route si vous avez consommé du cannabis. Sa consommation va entraîner des effets incompatibles avec la conduite d’un véhicule. Au regard des études sur le sujet, pour une dose inférieure à 20 mg de THC, nous vous conseillons d’attendre entre 4 et 6 heures avant de reprendre le volant selon que vous êtes un usager régulier ou occasionnel, même si vous vous sentez en capacité de conduire. Attention, en cas d’ingestion ou en cas d’augmentation de la dose consommée, ne prenez pas la route dans les 8 heures après la dernière prise de cannabis.

Si vous décidez de consommer du cannabis, ne consommez pas d’alcool.

 

Renforcement des tests salivaires, renforcement des injustices.

La première question à se poser c’est de savoir comment fonctionnent les tests salivaires et qu’est-ce qu’ils détectent ?

Il y a deux types de tests salivaires actuellement utilisés par les forces de l’ordre. Les premières générations de tests qui étaient jusqu’alors utilisés lors des contrôles routiers sont en réalité adaptés par les fabricants à partir de tests urinaires : ceux-là détectent en priorité le THC-COOH, un métabolite du THC (Voir encart).

Les seconds tests, plus récents, détectent le THC. Quelques exemples de tests sur internet permettent d’avoir quelques informations, et l’arrêté déterminant l’application des tests de détection d’usage de stupéfiant en fixe le seuil de détection minimum requis.

Maintenant que nous savons ça, nous avons cherché à savoir est-ce que les tests détectent le THC présent dans la salive après une consommation ou s’il détectent les cannabinoïdes présents dans la bouche après inhalation de la fumée issue de la combustion ou de la vaporisation de cannabis.

Le THC : combien de temps reste-t-il dans le corps ?

Après la consommation de cannabis, le THC est rapidement absorbé par le système sanguin et se propage dans tout le corps, y compris dans la salive. La quantité et la durée de détection du THC dans la salive dépendent en premier lieu de la fréquence de consommation et de la quantité consommée, ainsi que de la méthode d’administration du cannabis.

Ensuite, il y a d’autres facteurs qui peuvent influencer la durée de la détection du THC dans la salive, tels que le taux métabolique individuel, le niveau d’hydratation, le pH de la salive et le type de cannabis consommé. Tous ces facteurs peuvent affecter la vitesse à laquelle le THC et ses métabolites sont éliminés du corps.

Plusieurs facteurs peuvent influencer la durée de détection du THC dans la salive, tels que :

  • La fréquence et la quantité de consommation : les consommateurs réguliers de cannabis peuvent avoir des niveaux plus élevés de THC et de ses métabolites dans la salive, ce qui peut prolonger la durée de détection.
  • La méthode d’administration : les niveaux de THC dans la salive peuvent varier en fonction de la méthode d’administration du cannabis. Par exemple, la consommation de cannabis fumé peut entraîner des niveaux plus élevés de THC dans la salive que la consommation de cannabis comestible, du moins dans un premier temps.
  • Le taux métabolique individuel : le taux métabolique individuel peut affecter la vitesse à laquelle le THC et ses métabolites sont éliminés du corps. Les personnes ayant un métabolisme plus lent peuvent avoir des niveaux plus élevés de THC dans la salive pendant une période plus longue.
  • Le niveau d’hydratation : le niveau d’hydratation peut affecter la concentration de THC dans la salive. Les niveaux de THC peuvent être plus élevés dans la salive des personnes déshydratées.
  • Le pH de la salive : le pH de la salive peut affecter la détection du THC dans les tests salivaires. Les tests salivaires peuvent être plus sensibles à des niveaux de pH spécifiques, ce qui peut affecter la précision des résultats.

Il est important de noter que ces facteurs peuvent varier d’une personne à l’autre et peuvent affecter la durée de détection du THC dans la salive de manière différente. Une raison suffisante en soi pour dire que la détection du THC dans la salive ne peut être utilisée que comme indication générale de la consommation de cannabis et ne peut pas être utilisée pour déterminer l’impact de la consommation sur la capacité de conduire.

Par ailleurs, certains tests salivaires sont plus sensibles que d’autres, et certains peuvent détecter des niveaux très faibles de THC dans la salive. Ces tests utilisent des anticorps spécifiques pour cibler les composés de la plante. Les plus courants fonctionnent grâce à la technique d’immunodosage, qui utilise des anticorps pour détecter la présence de THC ou de ses métabolites dans la salive.

ÉTUDES CLÉS (traduit de NORML Canada)

  • Niedbala et al (2001) (Orasure Technologies,PA) : Des échantillons de salive ont été testés positifs après avoir fumé de cannabis (N=10) consécutivement pendant des périodes moyennes de 13 à 15 heures (selon la méthode de test) après avoir fumé un joint contenant 20 à 25 mg de THC. Le temps moyen de détection du THC pour le dernier OF positif après avoir fumé était de 31 à 34 heures. Certains échantillons étaient positifs à 72 heures à des niveaux ≤1,2 ng.
  • Odell et al (Australie) : Ont testé 21 gros consommateurs diagnostiqués comme « dépendants » du cannabis pendant 7 jours consécutifs. Le THC était détectable dans l’OF jusqu’à 78 heures. Le temps de détection moyen était de l’ordre de 24 heures.
  • Dayong Lee et al (Johns Hopkins) : Ils ont examiné 28 fumeurs réguliers pendant une période d’abstinence contrôlée de 4 à 33 jours. Les taux moyens de détection du THC sont passés de 89,3 % à l’admission à 17,9 % après 48 heures. Bien que 11 sujets aient cessé de fumer dès le deuxième jour, deux sujets ont été testés positifs après 28 jours et un autre après 18 jours, ce qui soulève des doutes quant à la possibilité qu’ils aient triché sur l’abstinence surveillée.
  • Newmeyer et al (NIDA) : Ils ont testé 14 gros consommateurs et 10 consommateurs occasionnels avec le dispositif Oral-Eze® pour détecter la présence de plusieurs cannabinoïdes sur une période de 30 heures. Le THC a été détecté à des niveaux ≥ 0,5 ng chez tous les fumeurs après 13,5 heures et chez 62 % des utilisateurs fréquents et 40 % des utilisateurs occasionnels après 28 heures. Les joints, qui provenaient du NIDA, contenaient des traces mesurables de CBD et de CBN, qui ont été détectées pendant 4 à 10 heures. Le métabolite THC-COOH était détectable tout au long de la période chez les consommateurs chroniques, mais s’est estompé chez les consommateurs occasionnels après 8 heures.
  • Ramaekers et al (Pays-Bas) : 20 sujets ont été soumis à des doses moyennes, fortes et à un placebo. Leurs performances sur trois tests de motricité et d’aptitudes cognitives ont été mesurées à intervalles réguliers pendant 6 heures, ainsi que les niveaux de THC dans le plasma et l’OF. Les performances ont été affectées négativement par des niveaux élevés de THC, mais les corrélations associées étaient faibles ~ 0,15-0,40. CITATION du résumé : « Les résultats ont montré une relation forte et linéaire entre le THC dans le sérum et le fluide oral. Les relations linéaires entre l’ampleur de l’altération de la performance et le THC dans le fluide oral et le sérum étaient toutefois faibles. »

Edibles et consommation de produits infusés

Les tests de salive semblent être relativement insensibles au cannabis ingéré par voie orale. Milman et al. ont administré 57 doses de 20 mg de Marinol à dix sujets sur une période de 9 jours. Le THC n’a été détecté que dans 20,7 % des échantillons de salive, les concentrations les plus élevées se trouvant près de l’admission et provenant du cannabis fumé précédemment auto-administré. Niedbala et al. n’ont trouvé que de faibles niveaux de THC chez trois sujets ayant consommé un brownie au cannabis, avec des maxima de 2,2 ng, 7,1 ng et 5,6 ng survenant 1 à 2 heures après l’ingestion.

L’exposition passive à la fumée de cannabis a produit des résultats positifs transitoires dans le liquide buccal pendant 30 à 45 minutes, avec un niveau maximal de 7,2 ng/ml (Niedbala 2005). De Castro et al. ont rapporté des résultats positifs suite à une exposition passive à des niveaux ≤ 24,6 ng une heure après le test. Cela pourrait être significatif dans certains cas de conduite en état d’ivresse.

Les bains de bouche

Ils n’ont qu’un effet marginal sur le THC oral. Dans une étude réalisée par Castro et al. 11 consommateurs chroniques ont été testés après s’être rincé la bouche avec de l’eau, du lait ou un bain de bouche Kleaner®. Des réductions statistiquement significatives du taux de THC dans la salive ont été constatées dans quelques cas où les sujets ont utilisé de l’eau, mais pas suffisamment pour déterminer si leur taux était inférieur ou supérieur au seuil utilisé par la police espagnole (25 ng/ml). Les effets du bain de bouche n’ont été perceptibles que dans la première heure suivant l’exposition, ce qui suggère qu’il a éliminé une partie du THC résiduel laissé dans la cavité buccale par le tabagisme, mais pas le THC exsudé ultérieurement dans la cavité par le corps.

Des métabolites qui restent longtemps, des seuils de détection très bas

Le seuil de détection des cannabinoïdes des tests salivaires étant particulièrement bas, il suffit qu’une infime quantité de THC reste dans la bouche de l’usager pour faire réagir le test. De même les métabolites résiduelles du THC comme le THC-COOH peuvent rendre un test positif alors que les quantités sont négligeables (même si ce dernier est en réalité très rarement et dans d’infimes quantités, présent dans la salive).

Ajoutons à cela la grande quantité de faux positifs lors des contrôles : de nombreux exemples existent de conducteurs non consommateurs qui ont eu affaire à la justice suite à des tests salivaires positifs alors que les analyses sanguines étaient bien elles négatives. Cela génère des situations pièges pour les usagers responsables de cannabis : s’ils sont victimes d’un faux positif, aucun test sanguin ne permettra de lever le doute sur leur état réel lors du contrôle. Les cannabinoïdes persistent longtemps dans le sang, à l’instar du THC-COOH qui peut rester jusqu’à 168 heures. Cette étude précise même que le THC COOH a été détecté dans le sang jusqu’à 7 jours après la consommation d’un joint contenant approximativement 38 mg de THC. 

Un conducteur peut donc être lourdement sanctionné pour avoir consommé 7 jours avant de prendre le volant. Et cette consommation, vu le nombre de pays réformant leurs lois sur le cannabis, peut avoir été faite en toute légalité.

THC, 11-OH-THC et THC-COOH :

Revenons-en au parcours du Δ-9-tétrahydrocannabinol (delta-9-THC ou THC) dans le corps humain après consommation : que devient-il ? Par l’action du corps humain, le THC va se métaboliser en 11-hydroxy-Δ-9-THC (11-OH-THC), qui se dégradera lui-même en 11-nor-9-carboxy-Δ9-tétrahydrocannabinol (11-COOH-THC ou THC-COOH).

Le métabolisme humain (via l’action du foie) transforme donc le delta-9-THC en 11-OH-THC. Ce 11-hydroxy-THC n’est ni un endocannabinoïde, ni un phytocannabinoïde, c’est en réalité une métabolite primaire du delta-9-THC. Son effet psychotrope est environ 50x plus intense que celui du THC. Cependant sa présence reste assez limitée dans le sang suite à son inhalation et son passage par les poumons (via combustion ou vaporisation). En revanche, lors de l’ingestion de THC, le 11-hydroxy-THC sera beaucoup plus présent dans le sang et de ce fait son action psychoactive beaucoup plus puissante car il traversera de façon bien plus importante la barrière hémato-encéphalique et donc l’accès au cerveau où se situent les récepteurs endocannabinoïdes responsables des effets psychotropes.

Le 11-hydroxy-THC continue ensuite sa dégradation en 11-Nor-9-carboxy-THC ou THC-COOH, un métabolite inerte et non-psychoactif qui se stocke dans les couches graisseuses du corps. C’est pour cela que c’est ce métabolite qui est souvent recherché dans les analyses d’urine et de sang pour constater une consommation de cannabis récente ou passée.

Concernant l’inhalation de cannabis : Les deux principales substances psychoactives (THC et 11-OH-THC), sont presque entièrement métabolisées en quelques heures après l’inhalation de la fumée. Selon la dose inhalée, des traces de ces molécules sont toujours détectables dans le sang de 7 à 27 heures, tandis que la métabolite résiduelle (11-COOH-THC) est détectable dans le sang jusqu’à 7 jours après une seule consommation.

Source : Le cannabis comestible : un effet de plus longue durée et moins prévisible qu’avec l’inhalation – Observatoire de la prévention

 

Mais du coup, les tests salivaires permettent-ils d’identifier un conducteur sous emprise ?

(Spoiler : la réponse est non).

Sans compter les défaillances des tests précis cités plus haut, ceux-là peuvent en réalité punir de la même manière un conducteur conduisant sous une emprise incompatible avec la conduite, alors qu’un conducteur responsable, qui consomme à distance de ses trajets routiers, aura un seuil de détection tout particulièrement bas.

De la même manière, les usagers de cannabis à dominance CBD sont aussi touchés par ces injustices. L’accumulation du THC, au fil des usages, ainsi que l’accumulation de THC-COOH, sera détectable lors d’un test salivaire : dans ce cas, le produit est légal, sans aucune incidence sur les aptitudes à conduire. Et pourtant, les usagers sont aussi lourdement punis.

Les taux de THC ne permettent pas de détecter le fait qu’un consommateur de cannabis soit dans état d’ivresse incompatible avec la conduite. 

Les tests salivaires n’ont pour objectif que de détecter un usage passé. Et cela correspond bien à la loi, qui ne punit pas “la conduite sous emprise de stupéfiants” mais “la conduite après avoir fait usage de stupéfiant”. Les traces suffisent à détecter l’usage, même lointain. Ne comptez pas sur les autorités pour chercher plus loin..

Et la quantité de THC dans le sang n’est pas non plus un critère suffisamment pertinent, car du fait de son accumulation dans les graisses, il demeure également détectable dans le sang, longtemps après l’usage, pour les consommateurs réguliers particulièrement.

“24 heures après la consommation de cannabis, les concentrations de THC sont revenues à zéro chez les usagers occasionnels (OC). Cependant, chez les consommateurs réguliers (CC), le THC était toujours détectable, et il a été démontré que cette faible concentration persistante de THC était due au stockage et à la lente libération du THC du tissu adipeux. Une légère augmentation du THC a été notée après la consommation du placebo, qui consistait en du chanvre mélangé à une petite quantité de vieilles feuilles de cannabis (…). Une nouvelle analyse du placebo a montré la présence de traces (0,2 mg) de THC.”

“Au vu de l’extrême variation inter-individuelle, de l’absence de rapport linéaire entre emprise et dosage sanguin du THC et de la cinétique rapide et complexe du THC (inférieur à 10 ng THC/ml, 1 heure après l’usage), aucun test de dépistage du THC n’est actuellement en mesure de déterminer une emprise incompatible avec la conduite, pas plus d’ailleurs qu’un dosage sanguin du THC.”

Portail « Cannabis et conduite », NORML France 

Malgré le caractère injuste de ces contrôles, ceux-là n’ont cessé d’augmenter.

En 10 ans, les contrôles salivaires n’ont cessé d’augmenter en France, avec une augmentation de plus 300% des infractions pour conduite “après avoir fait usage” de stupéfiants. 

Et alors qu’un tiers des accidents mortels implique l’alcool, la part de la verbalisation de la conduite après avoir fait usage de stupéfiant est plus importante (de peu mais tout de même) que la verbalisation de la conduite sous emprise : 15,5% pour les stupéfiants et 15,4% pour l’alcool.

Aujourd’hui, on continue à renforcer la répression sur les usagers de cannabis, en augmentant le dépistage routier avec des tests dont l’efficacité a été de nombreuses fois remise en cause. Des personnes innocentes et responsables se retrouvent lourdement sanctionnées sans représenter de danger pour la société.

Pour des contrôles plus justes, nos propositions

“A la lumière de ces données, le dépistage du chanvre en contrôle de routine ne semble pas représenter clairement un enjeu de sécurité routière, contrairement au dépistage de l’alcoolémie. Étant donné que le sur-risque lié à l’usage de cannabis est inférieur ou égal à celui de certains médicaments pour lesquels la conduite après usage n’est pas pénalisée, il semble peu rationnel de mener un dépistage de masse des stupéfiants.”

Portail « Cannabis et conduite », NORML France 

Comme de nombreuses associations, à l’instar du Collectif PCP, nous réclamons la mise en place de tests psychométriques, dits, tests comportementaux, permettant de détecter l’incapacité des usagers à conduire. Ce dispositif consiste en un ensemble de tests réalisés lors d’un contrôle routier qui permet aux forces de l’ordre d’identifier un conducteur en incapacité de conduire.

NOS 5 PROPOSITIONS

  1. Abandonner les tests biologiques et former les forces de l’ordre à la réalisation de tests psychométriques pour déterminer les cas d’emprise de stupéfiants incompatibles avec la conduite ;
  2. Dépénaliser la conduite d’un véhicule à moteur après avoir fait usage de stupéfiants pour tous les produits dont l’usage entraîne un sur-risque moyen tout taux confondu inférieur à 2.
  3. Contraventionnaliser la conduite d’un véhicule à moteur sous une emprise de stupéfiants incompatible avec la conduite (sur la base des tests psychométriques).
  4. Débuter la mise en place du dispositif par des expérimentations régionales afin d’évaluer l’impact réel d’une telle politique sur la sécurité routière dans des études cas-témoin.
  5. Mener des études expérimentales à différents dosages de THC et CBD et chez différents types d’usagers, afin de tenter de mieux comprendre l’impact de l’usage aigu du cannabis sur les capacités de conduite ainsi que des études prospectives multicentriques (cohorte d’usagers réguliers, d’usagers occasionnels et groupe contrôle) pour déterminer l’impact de l’usage du cannabis dans les accidents de la voie publique avec plus de précision.

Cela permettra de lever l’injustice dont sont victimes les usagers de cannabis en faisant la différence entre des conducteurs sous emprise et les usagers responsables qui conduisent à distance de leur consommation.

 

Pour aller plus loin : 

 

Différents types de Tests salivaires :