Plusieurs fortes personnalités politiques internationales appellent à la fin de la criminalisation de l’usage et de la possession des drogues, ainsi qu’à la régulation légale et responsable des substances psychoactives.

 Les anciens présidents du Brésil, du Chili, de la Colombie, du Mexique, de la Pologne, du Portugal et de la Suisse se joignent à Kofi Annan, Richard Branson, George Shultz, Paul Volcker et d’autres pour faire des recommandations audacieuses et novatrices pour le changement du paradigme des politiques en matière de drogues en vue de la session de l’ONU sur les drogues de 2016.

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La Commission globale de politique en matière de drogues lance aujourd’hui (9 septembre 2014) son nouveau rapport Prendre le contrôle : sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à New York comptant avec les interventions, entre-autres, de l’ancien président du Brésil Fernando Henrique Cardoso, de l’ancien président du Mexique Ernesto Zedillo, de l’ancien président de Colombie César Gaviria et de l’ancienne présidente de la Confédération Suisse Ruth Dreifuss (voir la liste complète des membres en fin d’article).

Les membres de la Commission se sont ensuite rendus à l’ONU, ou ils ont rencontré le secrétaire général Ban Ki-Moon, ainsi que le vice-secrétaire général Jan Eliansson.

La Global Commission on Drug Policy émet, dans ce dernier rapport, sept recommandations principales qui peuvent être résumées comme suit:

  • Assurer avant tout la santé et la sécurité des collectivités requiert une réorientation fondamentale des priorités et des ressources en matière de politiques, qui permettrait d’abandonner les mesures punitives inefficaces au profit d’interventions sanitaires et sociales éprouvées.

  • Assurer un accès équitable aux médicaments essentiels, en particulier les analgésiques à base d’opiacés.

  • Cesser de criminaliser l’usage et la possession de drogues – et cesser de « traiter » de force des personnes dont la seule infraction est l’usage ou la possession de drogues.

  • Appliquer d’autres options que l’incarcération pour les acteurs non violents du bas de l’échelle du trafic de drogue, tels les fermiers et les passeurs, entre autres personnes engagées dans la production, le transport et la vente de substances illégales.

  • Viser en priorité une réduction du pouvoir des organisations criminelles et de la violence et l’insécurité engendrées par la concurrence entre elles ainsi qu’avec l’État.

  • Permettre et appuyer les essais dans des marchés légalement réglementés de drogues actuellement interdites, en commençant, sans s’y limiter, par le cannabis, la feuille de coca et certaines nouvelles substances psychoactives.

  • Profiter de l’occasion offerte par l’UNGASS de 2016 (Session Spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies, sur la question des stupéfiants), qui approche à grands pas, pour réformer le régime mondial des politiques en matière de drogues.

 

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Le rapport reflète une nouvelle évolution dans la pensée des membres de la commission, qui réitèrent leurs demandes de décriminalisation, d’alternatives à l’incarcération, de mettre davantage l’accent sur ​​les approches de santé publique et appellent dorénavant également à permettre la régulation des substances psychoactives. La Commission est le groupe le plus distingué de dirigeants de haut niveau à avoir appelé à des changements de si grande envergure.

En 2011, le premier rapport de la commission a innové à la fois dans la promotion et la mondialisation du débat sur la prohibition des drogues ainsi que sur ses alternatives. En disant que le temps était venu de « briser le tabou », la commission a condamné l’échec de la guerre aux drogues et a recommandé des réformes majeures du régime mondial de la prohibition.

Le travail de la Commission a créé les conditions nécessaires pour que non seulement d’anciens présidents puissent en parler, mais également pour que des dirigeants actuels puissent s’exprimer sur le sujet. L’appel lancé par la Commission a été rejoint par les présidents actuels Juan Manuel Santos en Colombie, Otto Perez Molina au Guatemala, et José Mujica en Uruguay, tout comme le président de l’époque Felipe Calderón au Mexique. Lors du Sommet des Amériques d’avril 2012, la réforme de la politique en matière de drogues fut pour la première fois un sujet de débat. En mai 2013, l’Organisation des États américains a produit un rapport, commandé par les chefs d’Etats de la région, qui comprenait la légalisation comme une alternative possible. En décembre dernier, l’Uruguay est allé encore plus loin en devenant le premier pays au monde à approuver la réglementation juridique de la production, la distribution et la vente de cannabis.

Ces développements ont instigués l’organisation de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies (UNGASS, United Nations General Assembly Special Session) sur les drogues qui aura lieu en 2016, et créés une opportunité pour instaurer les bases d’un nouveau régime de contrôle des drogues pour le 21eme siècle. Alors que l’UNGASS de 1998 a été dominée par des appels rhétoriques pour un «monde sans drogues» et a conclu avec des objectifs irréalistes en matière de production de drogues illicites, la commission globale espère que la prochaine réunion en 2016 examinera ses recommandations, mais sera surtout un espace pour remodeler les politiques en matière de drogues selon les principes des droits de l’homme, de la santé publique et des preuves scientifiques, et permettra ainsi aux Etats membres de prendre le contrôle.

« Les faits parlent d’eux-mêmes. Il est temps de changer de cap », a déclaré Kofi Annan, président de la Fondation Kofi Annan et responsable de la mise en place de la Commission Ouest-africaine sur les drogues (présidée par Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigeria), qui a présenté un large éventail de recommandations pour la réforme des politiques en matière de drogues plus tôt cette année. « Nous avons besoin de politiques en matière de drogues qui soient éclairées par des preuves de ce qui fonctionne réellement, plutôt que des politiques qui criminalisent l’usage de drogues tout en omettant de fournir un accès à la prévention ou au traitement. Cela a conduit non seulement à des prisons surpeuplées, mais aussi à de graves problématiques de santé et des problèmes sociaux ».

 

« En fin de compte, le régime mondial de lutte contre la drogue doit être réformé pour permettre la régulation légale et juridique », a déclaré l’ancien président du Brésil Fernando Henrique Cardoso. « Commençons par traiter la toxicomanie comme un problème de santé plutôt quun crime et par réduire la demande de drogues à travers des initiatives éducatives éprouvées. Mais laissons aussi, et encourageons, les pays à tester soigneusement des modèles de régulation responsable comme un moyen de saper le pouvoir du crime organisé, qui se développe sur le trafic des drogues ».

 

« Lorsque plusieurs pays européens ont pris conscience des dommages causés par les politiques de drogues répressives, ils ont adopté la réduction des risques et des stratégies innovantes de traitement comme l’échange de seringues, les traitements de substitution, la prescription d’héroïne et les lieux de consommation supervisée, ainsi que la dépénalisation de la consommation et de la possession pour usage personnel », a déclaré l’ancienne présidente suisse Ruth Dreifuss. « Ces mesures visant à sauver des vies et à améliorer la sécurité de tous ne représentent que la moitié du chemin pour une gestion responsable de la drogue dans nos sociétés. Réguler l’ensemble de la chaîne, de la production à la vente au détail des drogues, permet de démanteler les organisations criminelles, de sécuriser les normes de qualité et de protéger la vie, la santé et la sécurité des personnes ».

« Les approches des politiques en matière de drogues, basées sur la santé, sont prouvées comme étant beaucoup moins chères et plus efficaces que la criminalisation et l’incarcération », a déclaré l’ancien président du Mexique Ernesto Zedillo. « La dépénalisation de la consommation des drogues est certainement cruciale, mais ne suffit pas à elle seule. Des réformes juridiques et institutionnelles importantes, à la fois aux niveaux national et international, sont nécessaires pour permettre aux gouvernements et aux sociétés de mettre en place des politiques visant à réguler l’offre de drogues à des critères médicaux rigoureux, si nous souhaitons sérieusement démanteler la machine du crime organisé ».

« Nous ne pouvons pas continuer à prétendre que la guerre aux drogues fonctionne », a déclaré Richard Branson, fondateur du groupe Virgin. « Nous avons besoin que nos dirigeants s’intéressent aux alternatives, aux approches basées sur des faits scientifiques. Nous pouvons apprendre beaucoup des succès et des échecs de la régulation de l’alcool, du tabac ou des médicaments. Les risques associés à la consommation des drogues augmentent, parfois de façon spectaculaire, quand ils sont produits, vendus et consommés dans un environnement criminel non régulé. Le moyen le plus efficace pour faire avancer les objectifs de la santé et de la sécurité des personnes est d’obtenir des drogues sous contrôle grâce à une régulation légale et responsable ».

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Les membres de la commission :

  • Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU et président de la fondation Kofi Annan, Ghana
  • Louise Arbour, ancien haut-commissaire aux droits de l’Homme à l’ONU, Canada
  • Pavel Bém, ancien maire de Prague, Republique Tchèque
  • Richard Branson, entrepreneur, fondateur du groupe Virgin, co-fondateur de The Elders, Royaume-Uni
  • Fernando Henrique Cardoso, ancien président du Brésil
  • Maria Cattaui,  ancienne secrétaire générale de la Chambre de Commerce International, Suisse
  • Ruth Dreifuss, ancienne présidente de Suisse
  • César Gaviria, ancient président de Colombie
  • Asma Jahangir, militant pour les droits de l’Homme, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions sommaires, arbitraires et extra-judiciaires, Pakistan
  • Michel Kazatchkine, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU sur les questions du VIH/SIDA en Europe de l’Est et Asie Centrale, ancien directeur exécutif du Fonds global de lutte contre le SIDA, la tuberculose et la malaria, France
  • Aleksander Kwasniewski, ancien président de Pologne
  • Ricardo Lagos, ancien président du Chili
  • George Papandreou, ancien premier ministre de Grèce
  • Jorge Sampaio, ancien président du Portugal
  • George P. Shultz, ancien secrétaire d’État, États-Unis
  • Javier Solana, ancien Haut-représentant au affaires et à la sécurité extérieures de l’Union Européenne, Espagne
  • Thorvald Stoltenberg, ancien ministre des affaires étrangères et Haut commissaire de l’ONU aux réfugiés, Norvège
  • Mario Vargas Llosa, écrivain et intellectuel, Pérou
  • Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale américaine et du Conseil pour la reconstruction économique, États-Unis
  • John Whitehead, ancien secrétaire d’État, ancien co-président de Goldman Sachs & Co., et président fondateur du Musée et Mémorial du 11 septembre, États-Unis
  • Ernesto Zedillo, ancien président du Mexique