Ce 16 décembre 2025, à Marseille, le Président de la République a scellé l’augmentation de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 à 500 euros sous prétexte de « frapper au portefeuille » les consommateurs de stupéfiants. Dès le lendemain, l’exécutif a enfoncé le clou lors d’une séance à l’Assemblée nationale consacrée à la lutte contre le narcotrafic.

Le débat, tenu en application de l’article 50-1 de la Constitution, a vu neuf ministres se relayer pour exalter une rhétorique guerrière, assumant l’exercice d’une violence systémique exercée par un appareil d’État. En instrumentalisant la loi comme outil de pression psychologique, le gouvernement ne cherche pas à protéger la santé des usagers de cannabis, mais à fracturer la société pour occulter son incapacité à gérer un marché noir qu’il a lui-même laissé dériver.

La réalité du terrain a violemment rattrapé la communication politique. Samedi soir, peu après le départ d’Emmanuel Macron de Marseille, c’est Wail, 22 ans, qui est abattu à la Kalachnikov dans la cité du Mail. La victime n’était ni plus ni moins que le neveu d’un bénévole de l’association Conscience. Le symbole est terrible : l’État parade pendant que la jeunesse tombe.

Depuis jeudi soir, nous attendions une voix, un soutien, un sursaut, dans l’espace médiatique en mesure de présenter la situation sous une perspective différente. En vain. C’est pourquoi nous souhaitions rompre ce silence face au vide politique total du traitement de l’information.

Commençons.


L’échec certifié par les chiffres officiels

Derrière les effets d’annonce, le Ministère de l’Intérieur acte la faillite du dispositif répressif. Comme nous l’avions souligné dans notre récente analyse du Rapport SSMSI 2025, les données techniques de l’administration elle-même confirment une impasse totale.

Le nombre record de verbalisations n’a eu aucun impact sur l’offre ou la demande.

Au contraire, alors que la police sature les commissariats avec 500 000 AFD par an — dont 97 % concernent le cannabis — le trafic de cocaïne a bondi de 176 % depuis 2016. À cet égard, l’analyse d’un membre du Collectif pour une Nouvelle Politique des Drogues (CNPD) sur cette séance parlementaire est limpide. L’État s’enferme dans une « gouvernance par les chiffres » qui prime sur la stratégie de santé publique, ignorant délibérément le naufrage opérationnel d’une politique vieille de cinquante ans.

Le silence coupable des alliés d’hier

Le vide est total. D’un côté, le silence de Manuel Bompard qui, sur France Info le 16 décembre 2025, se limite à une « légalisation encadrée » théorique sans un mot pour l’urgence des usagers frappés par l’AFD. De l’autre, les pirouettes d’Antoine Léaument occupé par la commission Wauquiez ou le mutisme de Ludovic Mendes.

Ce silence est d’autant plus accablant que ces deux députés sont les auteurs du Rapport d’information n° 974 présenté en février 2025, qui actait l’échec de la prohibition et préconisait une régulation stricte. Comment peuvent-ils se taire aujourd’hui alors que le Gouvernement piétine leurs propres conclusions rendues il y a à peine dix mois ? Caroline Janvier, fer de lance du rapport de 2021, s’est elle aussi évaporée.

Pendant que ces élus soignent leur image, le cartel de Sinaloa s’installe dans le Var et l’État préfère frapper au portefeuille les français les plus précaires.

La mécanique du racisme systémique territorial se renforce

Le contrôle ne frappe pas au hasard, il s’appuie sur un profilage ethno-racial. La généralisation de l’amende forfaitaire agit comme un filtre de ségrégation structurelle. Les données du Défenseur des droits confirment que les hommes perçus comme noirs ou maghrébins ont douze fois plus de risques de subir une fouille intrusive. Dans ce cadre, l’AFD devient une taxe autant sur le joint que sur l’apparence, ainsi qu’une sanction géographique criminalisant le simple fait d’exister dans certains quartiers.

Cette réalité statistique est d’autant plus insidieuse qu’elle s’efface dans les zones épargnées par la répression. En l’absence de mixité au sein des quartiers les plus préservés, le contrôle au faciès devient un phénomène lointain, presque théorique. Si l’on ne croise pas cette violence dans son périmètre quotidien, l’illusion d’une égalité de traitement devant la loi persiste. Ce silence statistique nourrit une forme de cécité involontaire : faute de témoins directs de ces discriminations, la solidarité s’étiole et l’oppression systémique se renforce dans l’ombre des quartiers populaires.

Les familles issues de milieux populaires sont les premières victimes

L’horreur culmine avec l’assasinat de Mehdi Kessaci. Tandis que le sommet de l’État vient se recueillir à Marseille pour les victimes du narcotrafic, il renforce parallèlement les lois qui nourrissent les réseaux criminels précarisant les familles.

Lors du débat au Palais Bourbon, le CNPD a rappelé que si la loi actuelle avait été appliquée plus tôt, des familles entières auraient pu être expulsées de leur logement suite aux drames liés au trafic. L’État pleure les victimes d’un côté et précarise les survivants de l’autre, pérennisant la criminalisation de la pauvreté et des minorités racisées, dans une logique d’exclusion acceptée.

L’illusion du refuge sur le marché légal du CBD

Beaucoup d’usagers pensaient trouver refuge dans le cadre légal du CBD, mais la réalité des contrôles de rue et de la route dissipe brutalement ce mirage. Pour un appareil policier sommé de produire du rendement statistique, la plante reste suspecte par nature, sans distinction de taux de THC lors de l’interpellation immédiate.

L’amende à 500 euros frappe alors l’usager de « bien-être » comme n’importe quel autre citoyen, le prenant au piège d’une procédure qui ne permet aucune défense. Personne n’est à l’abri : le stigmate ne choisit pas son camp, il s’abat dès que la plante est visible, transformant un acte légal en un délit automatique aux yeux d’une police en quête de chiffres faciles.

Loin des fantasmes sécuritaires, cette brutalité broie des citoyens intégrés comme Xavier, père de famille et dirigeant de PME dans la campagne bordelaise, dont la vie de travailleur bascule pour un simple usage de CBD au volant. C’est aussi le cas de Nath-Apolline, cette maman auto-entrepreneure dans le Morbihan, qui se voit interpellée devant son fils adolescent et écoper d’une suspension de permis durant près de deux ans.

Ces cas ne sont pas des exceptions, comme le soulignent nos avocats experts Me Nicolas Hachet ou Me Émilie Boyer. L’État ne traque plus le crime, il fabrique des parias sociaux au seul fait qu’ils aient fait le choix de consommer une substance bien moins nocive que l’alcool.

La destruction organisée de la vie sociale

Une nouvelle étape vers le cynisme a été franchie avec les récentes déclarations de Laurent Nuñez. En ne se disant « pas hostile » à l’idée de prévenir les employeurs en cas d’usage de stupéfiant et en suggérant d’aller jusqu’au retrait du permis de conduire, le ministre de l’Intérieur valide une stratégie de mort sociale.

Les consommateurs de cannabis peuvent perdre brusquement leur permis, les privant par la même occasion d’une vie professionnelle dans un pays où les transports publics se limitent en majorité aux grandes agglomérations. Il ne s’agit plus de sanctionner un acte, mais de démanteler les piliers de l’autonomie individuelle. Cette menace sur le gagne-pain et la mobilité vise à isoler l’individu par la peur de la désinsertion.

Pourtant, l’analyse de la psychologue du travail Lydie Recorbet est sans appel : il est temps de soigner le travail plutôt que de soigner des millions de travailleurs. Si la France maintient des records de consommation, c’est parce que son modèle social est à bout de souffle. L’appareil d’État préfère pathologiser l’usager et lui imposer une culpabilité individuelle plutôt que de réformer le système productiviste qui l’épuise.

L’abandon des patients sacrifiés au dogme prohibitionniste

Ce cynisme atteint son paroxysme avec le traitement réservé aux malades. L’expérimentation française du cannabis médical est aujourd’hui le symbole d’un abandon manifeste. Sur les 3 000 patients initialement prévus, à peine 1 200 sont effectivement intégrés, soit bien moins de la moitié des bénéficiaires prévus. Tandis que des milliers de citoyens attendent la généralisation d’un cadre de soins, ils se voient assimilés pénalement à des délinquants, menacés par des sanctions routières ou professionnelles.

L’État s’acharne sur le chanvre, plante du développement durable par excellence capable de révolutionner le textile et le bâtiment. Préférer le maintien du chaos criminel à la régulation d’une plante aux multiples applications industrielles est une faute écologique et sociologique majeure. Comme le souligne le CNPD, le gouvernement choisit d’ignorer l’obsolescence de la loi de 1970 pour empiler de nouveaux décrets répressifs, évitant ainsi de s’attaquer à la racine du problème. C’est une fuite en avant qui est dévastatrice pour la nation.

Un anachronisme au cœur de l’Occident

Ce naufrage sanitaire national devient proprement sidérant lorsqu’on observe le basculement géopolitique à l’œuvre chez nos plus proches alliés. Le 18 décembre 2025, les États-Unis ont officiellement tourné la page de cinquante ans de déni fédéral : un ordre exécutif a imposé le reclassement du cannabis en catégorie III, reconnaissant enfin ses vertus médicales à l’échelle d’un continent.

Tandis que Laurent Nuñez envisage d’anéantir la mobilité des usagers de stupéfiants français en suspendant leur permis de conduire, l’administration américaine déploie un programme Medicare pour rembourser jusqu’à 500 dollars de produits CBD par an aux seniors.

  • D’un côté de l’Atlantique, on brandit l’amende de 500 euros pour stigmatiser et isoler ;
  • De l’autre, on mobilise 500 dollars pour soigner et intégrer.

Quand on sait que c’est sous l’influence directe des États-Unis qu’a été dictée la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la France s’érige désormais en dernière citadelle d’un dogme délaissé par son propre architecte, totalement déconnectée de la réalité économique et scientifique mondiale.

L’auto-support comme seul espoir

Sortir de l’isolement devient désormais une stratégie de survie collective. La solitude des usagers — qu’ils soient patients, consommateurs de CBD ou de THC — constitue le socle de la répression. Tant que les citoyens conscients resteront dispersés, ils subiront la loi du plus fort. Seul un mouvement structuré, capable d’opposer la rigueur scientifique au mensonge politique, pourra contraindre l’État à la raison.

Rejoindre NORML France n’est plus seulement un acte de soutien, c’est la seule façon de ne plus être une victime désignée. La libération des usages du cannabis et la reconquête de la dignité citoyenne sont les deux faces d’un même combat vers plus de justice sociale.