Chose promise, chose due. Avant même son arrivée au pouvoir en 2021, le gouvernement de coalition des “feux tricolores” avait prévu dans son programme de réformer les lois sur le cannabis. Après trois ans et différentes versions du projet de loi, l’Allemagne a donc officiellement légalisé l’usage de cannabis sur son territoire ce 1er avril 2024.

Non-conformité avec certaines lois européennes, tractations avec le gouvernement français, éclaircissements requis par les Landers sur l’application de la loi, le gouvernement allemand a pris le temps avec ses partenaires pour mettre en œuvre un processus unique à ce jour. En effet, suite à ces diverses négociations et pourparlers, l’Allemagne s’est portée sur un plan en deux étapes, dits “piliers”, premièrement, légaliser la consommation et la possession, puis légaliser le marché de la vente de cannabis.

À l’origine la coalition au pouvoir prévoyait d’inclure dans la loi la vente au détail de produits issus ou à base de cannabis, comme cela s’est fait dans divers états ayant légalisé aux États-Unis. Cependant, ce volet de la proposition de loi s’est vu finalement repoussé, mais pas abandonné. De fait, de précédents engagements légaux allemands à l’échelle internationale, européenne voire nationale complexifient la légalisation de l’usage chez les adultes.

Le gouvernement allemand travaille actuellement sur le “deuxième pilier”, supervisé par le ministère fédéral de l’agriculture (BMEL) qui se baserait sur le modèle Suisse afin de mettre en place un projet pilote de vente de cannabis pour l’usage réservé aux adultes. Les États fédéraux pourront ainsi être à l’initiative de projets pilotes d’une durée de cinq ans à des fins de recherche scientifique. Autant de raisons pour les entrepreneurs suisses de se réjouir… Alors pendant que l’Allemagne développe ce nouveau tissu industriel, quel bilan de cette avancée majeure pour la cause cannabique et surtout, quelles conclusions en tirer pour la France ?

Une loi avec deux objectifs clairs

L’Allemagne a adopté un projet hybride en deux étapes, ou « piliers reposant sur deux objectifs clairs et mesurables ». Pour retirer une partie de l’offre des mains du banditisme et donc l’affaiblir, l’Allemagne a légalisé l’autoproduction de cannabis ainsi que la création de cannabis social clubs. Avec cette première étape, le gouvernement allemand permet donc à ces citoyens d’avoir accès au cannabis sans recourir au marché noir. Le gouvernement reconnaît de ce fait l’existence d’un usage légal de cannabis dans la société.

Dans un second temps, l’Allemagne ouvrira le marché de la vente aux consommateurs, cette politique de santé publique permettra de mesurer grâce aux données recueillies l’évolution précise de la consommation. Le gouvernement allemand aura ainsi des leviers d’actions pour réajuster ses politiques de santé publiques. C’est actuellement avec les projets pilotes que cette seconde phase devrait débuter.

Comme l’avait promis le gouvernement allemand dans son programme, les citoyens germaniques bénéficient donc d’un nouveau contrat social qui aboutit à plus de justice pour les usagers du cannabis.

Quels enjeux immédiats pour les usagers allemands ?

Depuis le 1er avril 2024, chaque citoyen majeur allemand s’est vu octroyer le droit d’auto-produire sa propre consommation de cannabis dans la limite de 3 plants et de stocker 50 grammes de produit sec. De plus, les résidents allemands âgés de 18 ou plus pourront bientôt adhérer à des associations à but non lucratif appelés Cannabis Clubs.

Ces clubs, dont les premières ouvertures sont prévues courant juillet 2024, accueilleront un maximum de 500 membres chacun et produiront le cannabis dont les usagers auront besoin. Chaque membre pourra alors acquérir jusqu’à 25 grammes par jour pour un maximum de 50 grammes par mois pour sa consommation personnelle.

Les citoyens ayant moins de 21 ans ne pourront se procurer qu’un maximum de 30 grammes par mois et l’adhésion à de multiple Cannabis Social Clubs n’est pas autorisée. Rappelons ici que les étrangers ainsi que les touristes ne pourront pas adhérer à ces clubs de consommateurs et que tout adhérent doit être résident allemand et habiter dans la province de son club.

Bien qu’il soit extrêmement intéressant que l’Allemagne ait permis le développement d’une filière de distribution du cannabis sans but lucratif, on ne peut qu’être dubitatif quant aux limitations de quantités établies.

Une approche pragmatique centrée sur les prochaines élections

Le ministre allemand de la santé en charge de la réforme, M. Karl LAUTERBACH, a pointé du doigt une situation intenable. Selon lui, les lois de pays les plus peuplés d’Europe concernant l’usage de cannabis ont échoué: “Quoi que l’on fasse, nous ne pouvons continuer ainsi […] On peut pratiquer la politique de l’autruche mais nous ne résoudrons aucun problème de cette façon.” et ce malgré le fait qu’il fut un prohibitionniste convaincu.

Ne soyons pas naïf, les enjeux économiques et politiques sont énormes pour un marché estimé en milliard d’euros et l’intérêt électoral de cette réforme n’est pas à éluder.

Bien que l’argumentaire du ministre de la santé allemande M. Karl LAUTERBACH repose sur un constat simple, à savoir que les lois prohibitionnistes des pays européens ont échoué, il ne faut pas oublier que ces derniers temps le gouvernement allemand a fortement perdu en popularité en raison d’une crise économique majeure.

Ainsi l’intérêt politique est triple, premièrement, revigorer et mobiliser sa base électorale en vue des prochaines élections. Deuxièmement, confirmer l’image progressiste de la politique de la coalition au pouvoir qui se veut être le fer de lance d’une politique moderne faisant progresser les droits sociaux. Et enfin troisièmement, faire entrer l’argent de taxes si le projet de vente aux particuliers est adopté.

L’Allemagne, leader d’un futur marché du cannabis européen ?

Selon une étude de 2021 de l’université de Düsseldorf, l’Allemagne a un marché du cannabis potentiel évalué à 5 milliards d’euros. Mais les bénéfices d’une régulation ne s’arrêtent pas là. Avec près de 27 000 créations d’emplois, le marché régulé est très intéressant en termes de retombées sociales et économiques. L’Allemagne, leader économique de l’Europe notamment grâce à ses exportations, a fait le choix de la légalisation du cannabis, à n’en pas douter, afin d’assurer la mise en place d’une filière forte, prête à exporter dès que les autres pays d’Europe lui auront emboîté le pas. Rappelons que, les Pays-Bas ainsi que la République Tchèque sont également en train de légiférer pour réguler le marché du cannabis.

L’effet domino va-t-il s’amorcer ?

Vente au détail ou non, l’engrenage est-il lancé ?

L’Allemagne, de part son rôle de moteur économique en Europe, lance un mouvement de fond qui pourrait isoler la France si d’autres pays d’importance lui emboîtent le pas, comme l’Italie ou l’Espagne. La commission de l’Union Européenne se penche par ailleurs sur la question en ayant approuvé partiellement une initiative citoyenne à ce sujet.

La question n’est donc plus de savoir s’il faut légaliser le cannabis
mais plutôt quand et comment nous allons le faire.

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