Le 21 mai 2024, un de nos adhérents est passé devant le tribunal correctionnel de Lorient pour détention de cannabis. Alors défendu par Me Hachet, avocat au Barreau de Bordeaux, le délibéré est attendu pour le 18 juin, date tout à fait symbolique pour les aficionados français du cannabis. D’ici là, Aurélien fait parvenir à ses juges et par l’intermédiaire de notre association un texte qui pourrait les aider à prendre objectivement position sur la politique des drogues actuellement en place dans notre pays. La voici :

A mes juges

Récit d’une audience correctionnelle pour détention de Cannabis

 

Le 21 mai 2024, à Lorient, j’assistais aux audiences du tribunal correctionnel pour la 1ère fois. Malgré mon master en droit, je n’avais jamais assisté à ce type d’audience.

Les affaires se suivent pendant plusieurs heures, les prévenus sont entendus par les juges, aucun n’est assisté d’un avocat, tous sont des hommes, deux sont en détention et participent depuis la prison en visioconférence.

Ces hommes sont questionnés par les juges sur les faits, on leur demande de confirmer les propos qu’ils ont tenus en garde à vue, on les interroge sur leur perception de la gravité des faits qui leur sont reprochés. Le plus souvent ce sont des faits de violence, physique ou verbale, des menaces de mort, la plupart du temps sous l’emprise de l’alcool; et aussi des faits de rébellion contre les forces de l’ordre lors de leur interpellation.

Les juges dressent également le bilan de leur casier judiciaire, souvent long et pour des faits similaires. Le procureur propose des peines de prison ferme la plupart du temps, parfois il concède un sursis. Les juges suivent souvent les réquisitions du procureur.

Il règne une atmosphère particulière dans cette salle entièrement blanche, garnie de rangées de bancs en alu pour que les prévenus et le public puissent s’asseoir. L’acoustique est mauvaise, les murs à nu font résonner le moindre son parasite, le procureur n’utilise pas son micro, il est difficile de l’entendre au fond de la salle.

Et moi, je patiente entouré de quelques ami.e.s venu.e.s me soutenir, j’attends mon tour. Mon avocat aussi attend au devant de la salle.

Vers 19h, après plus de 3h d’audience, c’est enfin mon tour. Je suis là pour « détention de 16 grammes de cannabis ».

Le président du tribunal me demande de décliner mon identité, il lit les faits qui me sont reprochés : “Ont été trouvés dans votre chambre 16 grammes de fleurs de cannabis et 1,8 grammes de fleurs de CBD. Ces fleurs ont été cultivées et conditionnées par vos soins dans des bocaux en verre pour leur conservation et servent à votre consommation personnelle. C’est bien cela ?”, je confirme les faits.

La parole est ensuite donnée à mon avocat qui décline ses arguments juridiques et ses jurisprudences pour démontrer que dans mon cas et dans le respect du droit européen,” le tribunal n’a d’autre choix que de prononcer la relaxe car le droit français, avec son mélange entre amende forfaitaire délictuelle et régime classique du délit de d’usage illicite de stupéfiant, se mélange les pinceaux, au point que le procureur a rendu la procédure caduque”.

Encore faut-il que le tribunal le reconnaisse. Dans le cas contraire, en appel, le tribunal verrait potentiellement son jugement remis en cause.

La parole est ensuite donnée au procureur qui justifie sa procédure en mettant en avant des jurisprudences européennes, qui ont pourtant un sens différent selon mon avocat. Il demande que la décision ne soit pas rendue sur le siège, c’est à dire immédiatement, pour que le tribunal réexamine les arguments à tête reposée. Le procureur demande une peine de 500 euros d’amende, ce qui est plus lourd que les peines demandées jusqu’ici qui étaient de 200 euros d’amende dans le cadre de cette procédure.

L’enjeu ici, n’est pas l’amende mais les conséquences de la condamnation sur le casier judiciaire, en effet une peine prononcée par le tribunal correctionnel restera inscrite 40 ans au casier judiciaire et me bloquera l’accès à la fonction publique ainsi qu’à plus d’une centaine de métiers du privé notamment ceux en lien avec la jeunesse. Cela me priverait de l’exercice de l’une de mes activités professionnelles que j’exerce depuis 20 ans à travers l’éducation populaire aux sciences.

Le juge me demande quelle est ma situation personnelle, et si je souhaite ajouter quelque chose pour ma défense.

Le juge ayant déjà prié par deux fois mon avocat d’écourter sa plaidoirie et au regard de mon état de stress avancé, je renonce à prendre la parole à ce moment-là. Mais je vais vous livrer ci-dessous la défense que j’aurais aimé prononcer :

Monsieur le président, madame l’assesseure, monsieur le procureur,

Dans cette affaire, et malgré mon master en droit, je suis un peu perdu, en effet, si nul n’est censé ignorer la loi, vous conviendrez certainement que dans le cas présent, il est difficile de savoir quel est le droit applicable.

Pour commencer, faut-il se fier au code pénal et me considérer comme un délinquant, ou se fier au code de la santé publique et me considérer alors comme un malade qu’il faudrait soigner ?

Admettons que je sois dépendant au cannabis, je serais donc malade, et il faudrait me soigner. Que prévoit donc le code de la santé publique ?

Une amende de 200€. Voici donc une amende érigée en acte de soin. Ne serait-ce pas la solution absolue pour sauver l’hôpital public tout en remplissant les caisses de l’État ?

Soyons sérieux, le code de la santé publique ici, est utilisé par le législateur à des fins répressives bien différentes de celle qu’il est censé défendre : à savoir, la santé publique. Il s’agit simplement de faciliter le traitement d’un contentieux massif qui engorge nos tribunaux tout en faisant l’économie d’un questionnement de santé publique. Nous pourrions qualifier cette pratique de « détournement de code », mais personne ne réprimera le législateur sur ce point, le délit correspondant n’ayant pas encore été inventé.

Intéressons nous donc maintenant au code pénal. J’ai étudié le droit pénal durant mes études, et mes professeurs définissaient ainsi l’objectif de ce droit : « Le droit pénal a pour but de réguler les comportements en société, protégeant ainsi l’ordre social. Il établit les règles à respecter et les sanctions en cas de transgression, veillant à la sécurité des individus et à la préservation des libertés fondamentales. »

En d’autres termes, le droit pénal a pour objectif de protéger les individus et la société.

Prenons les individus, dans mon affaire, le seul individu en cause est moi-même, il n’y a pas de tiers. Il faut alors démontrer en quoi le droit pénal me protège ?

Le droit pénal protège-t-il ma santé ?

Aucunement, j’ai vu plusieurs médecins et psychologues qui m’ont examiné et questionné, et leur conclusions sont les suivantes  : 

  • Sur le plan physique, le mode de consommation choisi, la vaporisation, n’a aucun impact sur la sphère ORL et pulmonaire car il n’y a pas de combustion et donc aucun dégagement de goudrons et autres résidus de combustion. En l’état actuel des études scientifiques, on ne démontre aucune atteinte physique à l’individu.
  • Sur le plan psychique, s’agissant d’un usage modéré et suivi, d’un adulte de plus de 25 ans, ne présentant aucun trouble psychique particulier, il n’y a pas de risque avéré à la consommation.

Il faudra donc chercher ailleurs que sur le terrain de la protection de l’individu pour justifier l’emploi du droit pénal.

Existe-t-il alors une atteinte à la société qui justifierait l’emploi du droit pénal ?

Il s’agit dans notre affaire d’une culture de cannabis pour usage personnel, il n’y a pas de trafic, pas d’argent, les graines sont achetées légalement sur internet, les plantes vivantes ou sèches sont conservées sous clé. Encore une fois, seul l’individu mis en cause, moi-même, est impliqué. Comment la société pourrait-elle être affectée ?

Je ne conduis pas sous l’emprise du cannabis, je ne présente aucun danger de quelque nature que ce soit pour mes contemporains lors de mon usage du cannabis.

En l’espèce le droit pénal ne justifie donc pas de son utilité, il ne me protège pas, et ne protège pas la société qui n’est pas impactée par les actes mis en cause.

Ainsi en l’absence de tout fondement de la loi pénale dans ce cas, nous sommes devant une loi arbitraire, et le royaume de l’arbitraire n’est pas digne d’une démocratie moderne. Les lettres de cachet ont été abolies en 1789 et l’atteinte aux libertés doit être limitée au strict nécessaire à la préservation de l’ordre social. La loi excède donc largement ce cadre et porte une atteinte injustifiée à mes droits et libertés.

Ce raisonnement seul pourrait suffire à vous convaincre de me relaxer dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui. Mais ce serait malhonnête intellectuellement de s’arrêter ici dans le raisonnement. En effet, nous avons démontré que la loi est arbitraire dans le cas d’espèce et qu’il convient de l’écarter. Intéressons nous donc à cette loi dans le cadre plus général de notre société, obtient-elle dans ce cadre général une justification ? Ou au contraire, là aussi, échoue-t-elle à montrer son utilité sociale ?

Quels sont les effets de la prohibition de l’usage de cannabis récréatif dans notre société ?

La France, malgré une répression qui n’a jamais faibli, reste la principale consommatrice de cannabis en Europe, y compris face à des pays qui ont des régimes de tolérance et ou de légalisation. Cette consommation peut se révéler problématique, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes. 

Il est donc primordial de mettre en place des mesures de prévention efficaces. Ces mesures de prévention, en France, sont constamment amoindries par les dynamiques répressives. En effet, celles-ci décrédibilisent par avance tout mécanisme de prévention aux yeux des consommateur.ices, notamment les plus jeunes et limitent l’accès aux soins en addictologie par la peur de la répression pénale.

Les budgets alloués à la répression sont colossaux, de 530 millions d’euros selon l’Assemblée Nationale à plus de 1.95 milliard selon Médecins du Monde. Le budget de la prévention et du soin aux personnes en situation d’addiction, toutes addictions confondues, est de seulement 129 millions d’euro pour l’année 2023, soit entre 4 et 12 fois moins que les budgets alloués à la répression du seul cannabis. 

L’addiction est pourtant une problématique majeure de santé publique dans notre pays où près de 25% de la population déclare une consommation d’alcool supérieure aux seuils recommandés par l’OMS, où l’on compte encore 12 millions de fumeurs de tabac quotidiens et je le rappelle 1,5 millions de consommateurs.ices régulières de cannabis.

Le marché noir prospère et alimente des réseaux mafieux avec un chiffre d’affaire estimé autour de 3 milliards d’euros pour le seul cannabis. Les produits consommés régulièrement par près d’un million et demi de personnes en France sont trop souvent de mauvaise qualité, de provenance incertaine, trop fortement dosés et mélangés à des produits dangereux. Ce qui participe à augmenter les risques pour notre population et en particulier pour notre jeunesse.

Tous ces éléments démontrent à eux seuls l’inefficacité totale de la loi pénale et de notre politique publique autour des drogues et des addictions. A la fois la répression engloutit des ressources précieuses et la prévention est sous-financée au regard de l’ampleur de la problématique dans notre pays.

Concernant le délit de détention et d’usage de stupéfiants qui criminalise les usagers de stupéfiants. Ce délit est une atteinte à la liberté individuelle, mais surtout une atteinte à la société toute entière, on peut l’assimiler à une subvention aux réseaux mafieux, à hauteur de 3 milliards d’euros par an. 

En effet, ces réseaux prospèrent grâce à la manne financière du cannabis, leur retirer cette ressource, c’est les priver au minimum de un tiers à la moitié de leur revenus. Les consommateur.ice.s pourraient s’approvisionner par eux-même en cultivant individuellement ou mieux en créant des associations de consommateur.ice.s qui organisent leur propre culture collectivement et favorise ainsi le suivi et la prévention, c’est le choix fait par l’Espagne et l’Allemagne. Cela permettrait également de rediriger une grande partie de l’argent de la répression vers la prévention des addictions, et de concentrer les moyens et les efforts des forces de sécurité contre les réseaux mafieux plutôt que de diluer leurs efforts contre des millions de consommateur.ice.s.

Si vous écartez l’application de ce délit, vous permettez à des millions de français.e.s de se passer des réseaux mafieux, vous permettez aux structures de santé et aux associations de porter un message de prévention efficace, vous considérez enfin les individus comme adultes et responsables de leur consommation. Vous rétablissez l’égalité entre les substances psychotropes. La loi actuelle favorise l’alcool qui fait pourtant près de 50 000 morts par an sans aucune justification valable.

Quel autre choix avez-vous ?

Celui de la prohibition totale, qui inclurait l’alcool dont la dangerosité est avérée et qui est aujourd’hui la substance qui fait le plus de morts dans notre pays, suivie de près par le tabac.

Sinon, il vous faudra justifier cette différence de traitement, ce qui est impossible autrement que par des artifices rhétoriques et idéologiques.

L’alcool serait culturel ?

Le chanvre l’est tout autant.

Le Cannabis serait dangereux ?

Bien moins que l’alcool et le tabac. Selon drogue infos service, le cannabis aurait entraîné 28 décès en 2017, à comparer aux 50.000 morts annuels dues à l’alcool, c’est 1785 fois plus !

L’interdiction protégerait la jeunesse ?

C’est encore faux, dans les pays qui légalisent le nombre d’usagers de moins de 25 ans est stable voir en diminution, c’est l’observation faite au Canada, mais également en Espagne, et nous suivrons attentivement le cas de l’Allemagne.

Un danger pour la route ?

Rien n’empêche de maintenir un interdit concernant la conduite et de l’encadrer avec un taux minimum dans le sang comme pour l’alcool.

Une marche vers des drogues plus « dures » ?

Encore faux là aussi, c’est en réalité l’interdiction qui soutient les réseaux mafieux qui eux même peuvent proposer des substances plus dangereuses.

Votre décision peut permettre de sortir du royaume de l’arbitraire, de l’idéologie moralisatrice qui enferme notre pays dans une situation catastrophique en termes de santé publique, de justice, d’égalité, et de droit.

J’espère que vous saurez faire preuve d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif qui restent malheureusement focalisés sur cette vieille réglementation, qui a fêté tristement son cinquantenaire et dont l’échec criant ne se dément pas depuis lors, et de faire droit à l’argumentation que je viens de développer pour écarter définitivement cette loi qui criminalise les consommateur.ice.s au détriment de la santé publique et de la paix sociale.

Aurélien V, juriste, militant écologiste et consommateur de cannabis.

Le délibéré a été fixé au 18 juin 2024 à 13h30, en audience publique au tribunal de Lorient.

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