Paris, 20 novembre 2015.
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Renforcement des contrôles routiers et status quo sur la présentation sous un jour favorable : sur ces deux points à côté desquels passe complètement la nouvelle Loi de Santé, nous avons essayé d’agir…
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À l’occasion de la seconde (et dernière) lecture à l’Assemblée Nationale du Projet de loi de modernisation de notre système de Santé qui commencera mardi 24 novembre, cette fameuse Loi de Santé de la ministre Marisol Touraine, nous avons voulu suggérer des évolutions positives du texte, afin qu’il ne soit pas liberticide et discriminant pour les usager-e-s de cannabis.
Déposé en octobre 2014 par la ministre, le texte a été de nombreuses fois revu par les deux chambres parlementaires, et renouvelle largement (mais partiellement) les politiques publiques concernant les stupéfiants en France (voir notre analyse plus approfondie — voir le dossier Loi de Santé). Si la teneur générale est plutôt positive, certaines dispositions assez néfastes, qui ont été adoptées par le Sénat (dont la majorité est dans l’opposition) n’ont malheureusement pas été remises en cause par l’Assemblée Nationale (à majorité gouvernementale).
Nous avons voulu faire en sorte — au moins — qu’un débat ait lieu dans l’hémicycle ; force est de constater que nous n’avons pas réussi à nous faire entendre. Nous vous livrons donc le texte des deux amendements que nous aurions voulu voir proposés. Loin de représenter un projet politique fort, ces amendements étaient surtout conçus pour corriger et panser les aberrations de la Loi.
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Amendement 3
Article 9 ter.
Cet amendement proposait la suppression de l’article 9 ter du projet de loi Santé, qui prévoit la suppression du recours à une analyse sanguine lors des contrôles routiers pour « conduite après avoir fait usage de stupéfiants ».
- Voir le texte de référence sur le site de l’Assemblée Nationale
- Voir le compte-rendu des discussions en séance au Sénat ayant mené à l’adoption de cet article
L’argumentation que nous avons proposée pour soutenir la suppression de cet article 9 ter :
EXPOSÉ DES MOTIFS
Inséré par le Sénat dans l’indifférence générale, cet article 9 ter vise à modifier les dispositions concernant la répression de la conduite d’un véhicule à moteur faisant suite à un usage de stupéfiants, pour faciliter la généralisation des contrôles stupéfiants en rendant facultatif le recours à une analyse sanguine pour les personnes contrôlées positives.
Depuis 2003, la conduite d’un véhicule à moteur après avoir consommé des produits stupéfiants est sanctionnée très lourdement dans notre pays dans le but de réduire la mortalité sur la route. Ces dispositions amalgament tous les stupéfiants, alors que ceux-ci n’ont pourtant pas tous les mêmes conséquences sur la conduite automobile.
Par ailleurs, ces dispositions ne sanctionnent pas en tant que telle la conduite sous l’emprise du produit, mais le simple usage du produit, ayant précédé la conduite (sans limite de temps autre que la détectabilité du produit). Cela va à l’encontre de toute logique de sécurité routière, et est particulièrement douteux quant au principe de proportionnalité des peines aux infractions commises. On peut noter également que les sanctions ne s’appliquent pas aux stupéfiants délivrés sous ordonnance médicale, qui ne sont pourtant pas moins dangereux.
Voilà le constat d’une législation qui fait fi des réalités objectives, qui ignore volontairement les preuves scientifiques, et qui s’avère criminogène dans son application.
Sur le plan pratique, les dispositions de cet article amèneraient à une généralisation et une systématisation effective des contrôles et des condamnations, amenant à priver de liberté de circulation des centaines de milliers de personnes faisant usage de stupéfiants, et notamment du cannabis qui est le plus répandu d’entre eux, même lorsque l’usage s’est produit plusieurs jours avant et y compris pour l’entourage des consommateurs. Car on le sait, la durée de l’emprise au cannabis est d’environ de 2 heures après la prise du produit, alors que la durée de la détection par prélèvements buccaux peut s’étendre à plusieurs jours, et que cette détection concerne des doses résiduelles minimes ne provoquant plus aucun effet psychoactif.
Or, les peines prévues pour ces infractions, à savoir la perte du permis de conduire et l’inscription au casier judiciaire, sont des peines lourdes et socialement et sanitairement préjudiciables, car menant souvent à la perte d’un emploi, à l’endettement, et pouvant causer anxiété et dépression.
Cela mènera certainement à une plus forte stigmatisation et ostracisation des consommateurs de cannabis et même de leur entourage, avec tous les effets collatéraux que vous imaginez ; mais cela fera-t-il vraiment diminuer la mortalité routière ?
On peut se permettre d’en douter, car les données scientifiques montrent au contraire que le cannabis n’est pas un facteur majeur dans la genèse des accidents. Par ailleurs, les études prouvent qu’un grand nombre d’automobilistes testés positifs ne sont pas sous l’emprise du cannabis au moment du contrôle. En plus, il n’existe toujours pas à ce jour d’étude pertinente imputant la culpabilité du cannabis dans les accidents mortels en dessous du seuil de 5 nano-grammes de THC (la substance active du cannabis) par millilitre de sang. C’est un fait établi, la mise en cause du cannabis dans les accidents mortels est inférieure à celle de l’alcool avec une imputabilité 10 fois moindre.
Or, aucune disposition légale ne fixe de seuil, seule la pratique est maîtresse, et les tribunaux français retiennent usuellement le seuil de 1 nano-gramme de THC par millilitre de sang. On le voit, ce seuil ne repose pas sur des données scientifiques sérieuses, et condamne déjà à tort des automobilistes ne conduisant pas sous sous l’emprise, et ne représentant pas de danger extra-ordinaire sur la route.
Sachant que le seuil de détection de ces tests dits “salivaires” est très faible, de l’ordre de 0,05 nano-gramme par millilitre, la détermination scientifique d’un seuil d’emprise incompatible avec la conduite s’avère primordiale avant d’envisager toute normalisation de cette pratique, qui risquerait de généraliser une répression systématique et aveugle, et lourde.
En sus de tout cela, comme on l’a dit, un prélèvement buccal positif au THC ne permet en aucun cas d’établir l’emprise du produit, mais uniquement un usage passé sans aucune notion de délai.
Supprimer la notion de contrôle sanguin, ça serait renoncer définitivement à établir un seuil d’emprise et donc condamner de nombreux conducteurs pour des faits qu’ils n’ont pas commis, à savoir la conduite l’emprise du produit. Cet article, qui ouvre la voie à un contrôle de masse qui se passerait du service des médecins, accentuerait plus que jamais les politiques injustes et discriminatoires qui ont cours en matière répression des stupéfiants, et tournerait odieusement le dos aux exigences de rigueur scientifique sur lesquelles sont basées les politiques de santé publique et de sécurité routière.
Données scientifiques :
En France, le cannabis est mis en cause dans 10 fois moins d’accidents mortels que l’alcool, alors que la prévalence de conducteurs circulant après avoir consommé du cannabis (2.8% > 0,1 ng/mL) est supérieure à la prévalence de conducteurs circulant sous emprise d’alcool (2.5% > 0.5gr/L) (1).
En 2010, l’alcool est retrouvé dans 25 % des accidents mortels (plus de 1000 décès annuels), le cannabis n’est retrouvé que dans seulement 2,5 % des accidents mortels, soit environ 120 cas, parmi lesquels 30 sont des accidents non responsables.
Pour autant, le sur-risque entraîné par l’usage de cannabis est très relatif, si on le compare à celui de l’alcool. Toutes concentrations confondues, ce sur-risque est de 1,8 pour le cannabis seul et de 8,5 pour l’alcool seul (1). L’alcool demeure la substance la plus souvent présente dans des accidents, et l’association observée entre la consommation de cannabis et le risque d’accident est nettement moins robuste que celle de l’alcool (2,3). Cette différence marquée entre l’influence des 2 produits tient probablement à l’absence d’atteinte des capacités de jugement et à une certaine inhibition avec le cannabis, alors que l’alcool est clairement dés-inhibiteur : les automobilistes conscients d’une diminution de leurs capacités sous l’influence du cannabis modifieraient leur comportement en conséquence par une conduite plus prudente dont rendent compte, sur autoroute, moins de tentatives de dépassement, des vitesses moindres et des inter-distances plus grandes(4, 5, 6).
Une étude récente (7) conclut que « les cannabinoïdes peuvent être détectés dans le sang des consommateurs quotidiens pendant un mois après la date d’arrêt de la consommation.» A ce sujet, Huestis précise que « ces données n’avaient jamais été obtenues avant, à cause de l’important coût et de la difficulté à suivre quotidiennement des consommateurs de cannabis sur une longue période.»
Le seuil d’emprise du THC pour un sur-risque de 2.5 (équivalent à 0.5 g d’alcool /litres dans le sang) est estimé entre 7 et 10 ng/mL selon les auteurs (8, 9, 10, 11, 12). Toutefois, les difficultés de la détection du cannabis dues à son métabolisme complexe ne permettent pas d’établir, comme pour l’alcool, une relation synchrone entre la présence des métabolites du cannabis et ses effets sur le comportement (3,13).
En résumé, la sécurité routière est multi-factorielle, et l’usage de cannabis est un facteur particulièrement mineur dans la genèse des accidents mortels. Il n’existe qu’un sur-risque faible de collision mortelle sous l’emprise du THC et seulement au-delà de 5ng/mL, rapporté essentiellement par des études transversales, avec toutefois un effet dose incontestable (1, 8, 14) plaidant fortement pour la mise en place d’un seuil légal, afin de pénaliser effectivement la conduite sous emprise.
En effet, en dessous de 5ng/mL, la plupart des études cas-témoin mettent en évidence l’absence d’augmentation, voire une diminution du risque de collision (15, 16, 17, 18, 19, 20). Considérant qu’il n’existe à ce jour aucune étude de culpabilité pertinente en dessous d’un certain seuil, il semble opportun de poursuivre les recherches en situation réelle et de conserver le principe de l’analyse sanguine pour pouvoir apprécier quantitativement ce seuil. Pour rappel, le sur-risque d’accident mortel liée à l’usage de cannabis, toute dose confondue, est équivalent à celui entraîné par la prise de benzodiazépines à posologie usuelle (des médicaments prescrits légalement)(21), et il est inférieur à celui de l’usage du téléphone portable en conduisant (22).
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