La Californie a été un État pionnier dans la légalisation du cannabis : elle fût la première à légaliser l’usage médical de cannabis en 1996 (Proposition 215) et elle légalisa l’usage adulte de cannabis 20 ans plus tard, en 2016 (Proposition 64). Depuis cette mise en place, nombreux sont les observateurs qui pointent les résultats mitigés de cette légalisation.

Il n’en fallait pas plus pour que cet État, parmi les 24 États ayant légalisé l’usage adulte de cannabis, devienne la référence préférée des tenants de la politique prohibitionniste. Et c’est précisément sur cet exemple que notre ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, a choisi de s’exprimer : “Les adeptes du « la légalisation règlera tous nos problèmes » sont rattrapés par la réalité des contre-exemples étrangers. En Californie où ils avaient promis un monde sans trafic ni délinquance, c’est un échec patenté. En France, notre ligne est claire: nous ne reculerons pas !” a-t-il déclaré. Des arguments qui ne sont pas nouveaux et que l’on voit souvent utilisés sur les réseaux sociaux et les plateaux télé.

Qu’en est-il réellement ? Pourquoi la Californie semble avoir loupé sa légalisation et est-ce un plaidoyer pour une politique répressive ? Éléments de réponse.

Une réalité, des trafics toujours aussi présents

La persistance forte des trafics et du marché noir en Californie est une réalité que personne ne peut nier. Nombreux sont les journalistes qui s’en sont fait l’écho. Pour donner un ordre d’idée, on estime actuellement que 2 achats sur 3 sont réalisés sur le marché illégal. Un chiffre énorme lorsque l’on sait par ailleurs que d’autres États ou pays ont réussi à récupérer plus de 90% des achats réalisés. Pour répondre à cette forte demande, des fermes illégales se sont développées abondamment dans cette région montagneuse propice à leur développement.

Alors que la loi a été plébiscitée par les Californiens, qu’est-ce qui explique une telle désertion du marché légal ?

Des taxes qui grèvent le marché légal

De l’avis de nombreux observateurs, le plus grand frein au développement de l’offre légale a été la taxation mise en place par le régulateur californien. La proposition 64 qui a été adoptée prévoyait la mise en place de deux taxes.

La première taxe concerne la culture du cannabis. Cette “taxe de culture” est imposée à tout cannabis récolté entrant sur le marché commercial. Elle est fixée au tarif de 9,25 $ (8,62€) pour environ 30 g de fleurs séchées. Cette taxe est par ailleurs réévaluée chaque année et à augmenté récemment de 4%. Ce premier système de taxation pèse lourdement sur les acteurs souhaitant entrer sur le marché mais également ceux déjà implantés : 15% des cultivateurs ont préféré renoncer à leur licence en 2023.

La deuxième taxe est un droit d’accise imposé sur les ventes au détail des produits à base de cannabis, droit fixé à 15%, à laquelle s’ajoute un nombre parfois important de taxes locales. Résultat, le produit est taxé plusieurs fois lors de son cycle de vie : à la culture, à la transformation, à la distribution et à la vente. Par exemple, certaines juridictions californienne imposent une “taxe routière” pour le transport des produits issus du cannabis.

Une accumulation de taxes qui a pour conséquence l’explosion du prix des fleurs sur le marché légal et des consommateurs qui se tournent logiquement vers le marché illicite, même si nombre d’eux préféreraient s’en éloigner.

Un accès au cannabis compliqué

Ce n’est pas le seul problème qui a fait échouer le modèle californien. En effet, en passant la loi, le régulateur a décidé de laisser les comtés décider de l’implantation ou non de magasins distribuant du cannabis. Cette décision a empêché un maillage complet de l’État américain. Ainsi le Comité consultatif de Californie sur le cannabis (California Cannabis Advisory Committee) a estimé que sur les 482 villes de Californie, seules 41% d’entre elles autorisent l’implantation d’activités commerciales légales de cannabis et sur les 58 comtés californiens, seuls 55% autorisent ces activités.

Le comité conclut que “l’accès légal dans l’État reste hors de portée pour la plupart des Californiens”. Le site Politico estime qu’il y a en Californie 2 détaillants légaux pour 100 000 habitants, alors qu’au Colorado ou en Oregon, on en compte 9 fois plus : 18 détaillants pour 100 000 habitants.

Les habitants, empêchés d’avoir accès à un magasin légal dans un état qui plus est, particulièrement vaste, continuent donc de se tourner vers l’offre illégale de proximité.

La légalisation n’est pas un mot magique

De l’aveu même du régulateur californien, la légalisation adoptée en 2016 présente des limites qu’il convient de corriger. Plusieurs rapports les ont pointés du doigts et des corrections ont été préconisées pour que la légalisation californienne atteigne pleinement ces objectifs.

Malgré ces difficultés, la légalisation décidée en 2016 est largement soutenue par les citoyens californiens, encore aujourd’hui : 62% d’entre eux pensent que la légalisation a eu un impact positif sur leur État. En comparaison, lors du vote, la loi était soutenue par 57% des californiens.

L’exemple californien, loin de montrer que la légalisation est inefficace, souligne l’importance du modèle retenu. Car la “légalisation” n’est pas un mot magique. Il n’existe pas UNE légalisation de cannabis mais bien de multiples modèles ayant chacun des avantages et des inconvénients.

Ces enseignements permettent déjà de dessiner le modèle de légalisation le plus vertueux. Nous proposons déjà des pistes de travail pour que la France invente enfin son propre modèle qui répondra aux mieux aux objectifs de sécurité et de santé publique.

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Sources :