Entretien avec Claudinei Silva, psychologue

C’est grâce aux échanges avec l’association brésilienne SALVAR que nous avons eu l’occasion de faire la connaissance de Claudinei Silva. Un psychologue très actif sur les réseaux sociaux qui n’hésite pas à aborder frontalement la question du cannabis pour un meilleur équilibre de vie et une santé mentale au beau fixe, c’est plutôt rare. Il nous explique en quoi cette nouvelle approche de la thérapie a complètement changé sa vie et sa relation avec ses patients. Son courage et sa résilience sont inspirants.

NORML France : Pourrais-tu nous rappeler quelle est la formation pour devenir psychologue au Brésil ? Comment s’est déroulé ton parcours ?

Claudinei Silva : Pour devenir psychologue, il faut pouvoir avoir accès à une université. La formation dure 5 ans. En ce qui me concerne, le domaine avec lequel j’avais le plus d’affinité était la psychologie sportive (depuis 2008). Il faut savoir que j’ai 30 années de pratique de jiu-jitsu sur 47 années de vie ! J’ai commencé ce sport en 1997 avec la pratique de la capoeira. La pratique de la psychologie sportive fait partie intégrante de ma vie mais n’est pas valorisée par la société brésilienne.

NF : Pourquoi as-tu choisi cette profession ?

CS : J’ai vu un film sur la psychologie quand j’avais 14 ans qui m’a convaincu de m’informer davantage sur la profession et d’aller exercer en dehors de ma ville natale (Paulo Afonso, Bahia).

NF : Est-ce que tu penses que ton enfance à Paulo Afonso a influencé ta vie professionnelle et la vision que tu as développé pour aider les autres ?

CS : Ma famille m’a énormément influencé. Je suis descendant de peuples indigènes, où la notion d’accueil collectif est très importante. J’ai toujours eu en tête qu’il fallait être présent pour aider les autres, et je me suis demandé comment je pouvais le faire à mon niveau.

NF : Comment t’es venue l’idée de travailler avec le cannabis dans le cadre de ton travail de psychologue ?

CS : C’est vraiment au moment de la pandémie que j’ai décidé de commencer à m’engager publiquement sur la question. Ma mère souffrait de douleurs chroniques au niveau du dos (lombaires), et elle prenait un traitement encadré (tarja preta=littéralement “ruban noir”, une signalisation notamment pour les anti-dépresseurs/anxiolytiques), qui ne fonctionnait pas. Elle a donc commencé un traitement à base de cannabis thérapeutique ce qui lui a permis depuis de reprendre la marche à pied et la natation parmi d’autres activités. C’est à ce moment que j’ai décidé de parler et d’informer sur le sujet.

NF : Comment fonctionne la prescription ?

CS : Le médecin, indépendamment de son domaine, et le dentiste, qui a également souvent affaire à la douleur (par exemple dans le cas du bruxisme) sont les seuls à pouvoir prescrire un traitement. Le psychologue professionnel ne peut pas prescrire mais peut proposer un accompagnement pour informer, suivre au mieux le traitement. Il existe beaucoup d’à priori et de peurs concernant la plante, qui est encore perçue comme une drogue. Mon travail consiste énormément à démystifier la plante, à expliquer quelles sont ses vertus et à orienter les patients qui sont en doute. Selon la pathologie, le médecin adapte la posologie (huile sublinguale, vaporisation de fleurs, selon les besoins).

NF : Pour quels motifs principaux les patients viennent consulter ?

CS : Cela a beaucoup évolué. Il y a trois ans, ils venaient généralement consulter pour de l’anxiété et de l’insomnie. Aujourd’hui, pour ce qui est de mes patients (je ne parle pas au nom de tout le pays), ils consultent pour des maladies plus graves. Par ordre de priorité, les patients consultent pour Alzheimer, l’autisme, les douleurs chroniques, l’anxiété/l’insomnie, et la maladie de Parkinson.

NF : Peux-tu nous parler d’une expérience avec un patient qui a été déterminante dans ta carrière ?

CS : Le premier cas qui m’a beaucoup impacté est celui de José Rabelo Neto, un jeune homme de 25 ans dont le cas est devenu public. Il est entré en contact avec moi alors qu’il était interné à l’UCI (Unité de Traitements Intensifs) de São Paulo avec une tumeur osseuse maligne primitive. Cela faisait un an et demi qu’il avait des douleurs extrêmement fortes et qu’on lui avait prescrit du CBD. Ce traitement était très cher. Nous avons échangé à nouveau lorsqu’il est revenu à Aracaju (Sergipe), où je travaille, et nous avons organisé une consultation en ligne avec un médecin au Canada qui a pu donner des indications à la famille. Le traitement était à nouveau exorbitant.

J’ai alors réussi à prendre contact avec l’APEC-MED, une association de ma ville natale, qui a accepté de lui fournir un traitement à base d’huile de cannabis avec spectre intégral de la plante. La réponse a été immédiate. Lors de son enterrement en novembre 2023, sa famille m’a remercié car la période où il a commencé à prendre son traitement a été déterminante pour son bien-être.

Le deuxième cas est celui d’un patient de 70 ans qui consultait pour de l’anxiété et de l’insomnie. Il est passé en spectre intégral et a arrêté tous ses autres traitements. Il m’a dit «j’ai dormi pour la première fois».

Ces deux cas révèlent vraiment la nature de mon travail. Continuer d’informer, d’expliquer à davantage de personnes les réels bénéfices du cannabis.

NF : Comment penses-tu que la plante peut aider les personnes en ce qui concerne la santé mentale ? Pourquoi les personnes viennent-elles chercher cette alternative ?

CS : Les personnes se tournent vers le cannabis parce que nous sommes des êtres humains, des êtres vivants. Le cannabis est aussi un être vivant. Les traitements produits par l’industrie pharmaceutique sont en majorité synthétiques/chimiques. Ils peuvent soulager un problème mais entraînent souvent un déséquilibre ailleurs, ou causent d’autres problèmes. C’est le cas par exemple des traitements pour soigner l’anxiété. Le cannabis travaille sur l’ensemble du corps et équilibre l’ensemble de l’organisme. La plante organise le sommeil ainsi que les fonctions musculaires grâce au système endocannabinoïde. Elle permet l’homéostasie : un équilibre entre le corps et l’esprit, de façon similaire à la méditation.

Il faut toujours garder à l’esprit que la plante a plus de 2000 génétiques qui ont chacune leur utilité. Par exemple, pour traiter de l’anxiété, on peut utiliser de l’huile de cannabis, mais si on a besoin d’être concentré et détendu dans le cadre de son travail par exemple, et de ne pas avoir à attendre 30 minutes l’effet désiré, on peut miser sur la vaporisation de fleurs CBD, qui aura un effet immédiat. Si on ressent des douleurs, on peut suivre un traitement à base de CBG. Si on souhaite mieux dormir, on peut envisager un traitement renforcé en CBN. C’est une plante qui soigne tout.

NF : Est-ce que cela a été difficile de mettre en place ces traitements initialement ?

CS : Si vous regardez mon compte Instagram, vous verrez que j’ai commencé à poster des informations et des réflexions autour du cannabis thérapeutique en novembre 2020. En janvier 2021, j’ai perdu tous mes patients. D’autres psychologues m’ont accusé de devenir un « défenseur des drogues », ils m’ont dit que j’allais être jugé. Pendant six mois je n’ai eu aucun patient et cela a été une période très difficile. Mais j’ai tenu bon, je me disais « cette plante cause le bien, elle a fait du bien à ma mère, elle peut faire du bien à d’autres, je fais ce qu’il faut ». Aujourd’hui je ne regrette pas ce changement de cap, j’ai de plus en plus de nouveaux patients qui viennent vers moi en dernier recours et qui me disent « Pourquoi n’ai-je pas eu connaissance de cette possibilité avant ? »

NF : Peux-tu nous en dire plus sur ton post Instagram au sujet des relations entre l’histoire du cannabis, la répression des populations vulnérables et la psychologie sociale au Brésil ?

CS : C’est bien évidemment très difficile et délicat de répondre rapidement à cette question, surtout dès qu’il s’agit d’histoire. Je vais essayer d’être synthétique. La prohibition repose sur deux causes : l’intérêt et/ou le gain (industrie pharmaceutique et textile) et le préjugé.

Initialement les populations qui consommaient du cannabis étaient les personnes noires et les personnes indigènes. Dans une société coloniale, l’usage du cannabis était donc perçu comme « préjudiciable ». On appelait les personnes qui en consommait des « zombies ». Les personnes blanches qui cherchaient à se rapprocher de ces groupes sociaux pour consommer du cannabis étaient également pointées du doigt. Dans les années 1930 au Brésil on parlait du « cigare de l’indien » ce qui montre bien l’association entre la plante et le groupe visé, afin de pointer que « attention, cela tue, c’est mal ».

Aujourd’hui nous sommes dans un contexte de 100 ans de prohibition, il faut se rendre compte que personne n’a connu l’époque où l’on était libres de faire usage du cannabis. C’est pour cela que mon rôle est de donner la bonne information, de rendre la bonne information. De plus, il faut considérer que les États-Unis, qui est le pays qui a le plus prohibé, est désormais celui qui légalise le plus…pour des raisons relevant du domaine économique. C’est l’époque dans laquelle nous vivons.

NF : Est-ce que tu as un conseil pour les personnes qui se soignent illégalement et qui souhaitent améliorer leur santé mentale ?

CS : Il y aura toujours un professionnel de santé pour vous aider. Le cannabis recèle de très nombreuses informations, c’est une plante qu’il faut étudier. On peut en faire une mauvaise utilisation et se tromper. Il faut pouvoir comprendre comment la plante peut aider et combler les besoins pour chaque profil. Pour cela, c’est mieux de pouvoir s’appuyer sur une personne qui l’a étudiée pour s’orienter.

NF : Quels sont tes projets pour les années à venir ?

CS : J’ai un rêve qui est de pouvoir continuer à travailler et de me former. J’ai un MBA, mais je souhaiterais faire un Master, peut-être un doctorat, étudier davantage de choses sur le cannabis, aller en France, aux États-Unis. J’ai des patients partout dans le monde (Jordanie, Portugal, France, etc.), c’est une excellente chose que permet Internet. Maintenant j’ai envie d’aller vers le monde et de revenir avec de nouvelles informations à partager.