Ce mois-ci on vous invite au Brésil ! L’équipe de NORML France a pu rencontrer le fondateur et le directeur juridique de SALVAR, l’Association Brésilienne de Soutien à la Culture et à la Recherche en Cannabis Médicinal.
Paulo Reis, président fondateur de l’association, et Paulo Thiessen, vice-président et directeur juridique, ont obtenu en avril dernier auprès de la Justice Fédérale l’autorisation de fournir des fleurs de cannabis pour utilisation médicale, dans l’État du Sergipe (1), mais aussi sur l’ensemble du territoire brésilien. Ils nous ont accordé un moment dans leur agenda chargé pour nous présenter leur expérience en matière de cannabis thérapeutique et leur vision résolument altruiste et courageuse.
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NORML France : Que représente le cannabis pour vous ?
Paulo T. : Le cannabis a trait à la santé, la liberté, la culture, l’économie, la dignité humaine. Il fait appel au principe du droit humain fondamental de cultiver et d’utiliser ce que la nature nous a donné.
NF : Quel est le but de l’association SALVAR ?
Paulo T. : Nous voulons aider les populations qui peuvent se retrouver en situation d’illégalité, et particulièrement les patients dont les conditions de santé peuvent être soulagées par le cannabis et qui se retrouvent bloquées parce que la société n’avance pas dans un sens qui leur permet d’avoir accès au cannabis thérapeutique.
SALVAR existe pour trouver des réponses par le biais de la législation, au Brésil et dans d’autres pays. Lorsque le législatif et l’exécutif sont inertes, la société se doit de trouver d’autres moyens de s’organiser à travers une résistance civile pour fournir une solution. N’oublions pas que l’ouverture du cannabis sur le monde est millénaire, son interdiction est seulement centenaire (1938)(2) !
NF : Est-ce que vous pensez que le contexte politique national de 2023 a influencé positivement vos actions ?
Paulo T. : Avec le changement de gouvernement, qui est passé de l’extrême-droite au centre-gauche (3), certains éléments politiques ont changé au niveau national mais cela n’a pas impacté directement notre action et nos résultats. C’est avant tout des personnes courageuses qui ont permis nos progrès, en cultivant du cannabis sans but lucratif pour fournir des médicaments aux patients. Nous avons aussi avancé en montrant la réalité du cannabis en tant que plante composée de THC, CBD et d’autres cannabinoïdes et ses bénéfices médicaux. Nous travaillons d’ailleurs activement pour dédiaboliser le THC, qui joue un rôle essentiel dans le traitement des patients.
Jusqu’à récemment, les associations soumettaient uniquement des demandes d’autorisation auprès de l’ANVISA (agence régulatrice qui évalue les médicaments) pour obtenir de l’huile de cannabis. Or le médecin peut choisir de prescrire un traitement à base de crème, d’huile, etc. et il est le seul à pouvoir décider de la meilleure administration du traitement. Pour nous, cela n’avait pas de sens de limiter l’autorisation à l’huile, puisque l’huile est issue de la fleur et que la culture est la même ! SALVAR a en cela obtenu que toute la plante puisse être autorisée.
NF : Paulo Reis, comment as-tu créé l’association et comment vous êtes-vous connus avec Paulo Thiessen ?
Paulo R. : Un ami en chimiothérapie n’avait pas de résultat avec ses traitements et il n’avait pas réussi à adhérer à la première association de patients de la Paraíba (4), qui était en capacité limitée. J’avais une culture personnelle pour m’aider à lutter contre l’insomnie et les crises d’anxiété. J’ai donc parlé à mon ami d’un traitement à base de cannabis, ce qu’il a accepté d’essayer. À l’époque dans ma ville, aucun médecin n’acceptait de prescrire un traitement à base de cannabis. Après quelques jours d’essai, il m’a dit qu’il avait constaté une amélioration drastique dans sa vie, qu’il se levait, qu’il arrivait à manger …
Par la suite, en participant à des conférences, j’ai rencontré d’autres personnes avec lesquelles je me suis associé afin de créer une structure qui nous permet d’assurer la pérennité de notre action. J’ai notamment rencontré beaucoup d’avocats, mais Paulo est celui qui a fait le plus preuve de courage ! Nous nous sommes rencontrés dans une conversation Instagram sous une publication où il a appris que notre association existait dans l’État du Sergipe. Au début, nous avions dix plantes pour dix patients. Au fur et à mesure, nous nous sommes associés à des médecins, des chercheurs et nous sommes passés à cinquante plantes. Les retours des patients étaient très positifs, nous avons beaucoup documenté ces témoignages (vidéos, messages audio, etc.). Je pense que ces retours ont aussi contribué à émouvoir la justice.
NF : Comment s’organisent les activités de l’association actuellement ?
Paulo R. : La structure de SALVAR repose sur trois piliers : le patient, le soutien médical et le juridique. Ce qui est central pour nous, c’est avant tout l’accueil du patient : lors d’une consultation, le médecin procède à un examen et peut prescrire un traitement à base de cannabis. Il faut rappeler que les traitements à base de cannabis étaient limités à l’importation jusque récemment, et cela impliquait un coût très élevé que beaucoup de personnes ne peuvent se permettre, surtout avec un salaire minimum (5). Les patients essaient donc de trouver un médicament avec une valeur plus abordable. Ainsi, nous avons réuni les patients pour organiser une culture médicinale – bien qu’elle ne soit pas autorisée au début. En parallèle, il a été nécessaire de documenter nos avancées afin de pouvoir faire reconnaître tout cela auprès d’un juge et d’assurer une solution favorable en cas de besoin.
NF : Comment s’est déroulée la phase de désobéissance civile ?
Paulo R. : Entre 2019 et 2022 – année où nous avons obtenu l’autorisation de cultiver du cannabis à usage médicinal, nous avons été très discrets sur nos cultures. Nous ne dormions pas vraiment la nuit, car nous avions sur la conscience la possibilité d’être accusés de trafic (6), du moins jusqu’à pouvoir justifier de l’usage de la plante. Nous avons subi ce risque afin de distribuer un traitement gratuitement aux patients qui n’avaient pas les moyens d’obtenir du cannabis médicinal autrement.
NF : Les patients peuvent-ils cultiver du cannabis chez eux pour des raisons médicales ?
Paulo R. : Les patients qui adhèrent à SALVAR ne peuvent pas assurer la culture chez eux. Mais il existe au Brésil des patients qui organisent leur propre culture afin d’extraire leur médicament et recherche un avocat afin de faire une demande individuelle. Nous avons fait des demandes collectives.
NF : Et comment est-il possible de déposer ces demandes auprès de la Justice ?
Paulo T. : Grâce à l’Habeas Corpus. Il s’agit d’un instrument de droit pénal qui consiste à proposer une solution constitutionnelle pour les personnes dont la liberté est mise en péril ou risque d’être interrompue. Par exemple: à titre préventif, si j’ai l’ordonnance de mon médecin pour un traitement à base de fleurs de cannabis et que je cultive pour mon besoin médical, sur la base du droit à la dignité humaine et du droit à la santé, je demande de manière préventive au pouvoir judiciaire de couvrir ma liberté garantie par la Constitution. Avec une dizaine de personnes, la démarche a encore plus de chances d’aboutir.
NF : Comment s’organise la culture de cannabis médicinal destinée aux patients adhérents à SALVAR ?
Paulo R. : Nous cultivons en terreau, en campagne et en pleine nature. Tout est biologique. Nous bénéficions des autres cultures de l’État: banane, miel de canne à sucre, etc. Nous profitons de ce secteur d’activité pour avoir accès à des prix intéressants pour le matériel et les engrais. Nos premières graines ont été importées d’Espagne et nous les utilisons jusqu’à présent.
NF : Quelles sont vos priorités ?
Paulo R. : Améliorer constamment la structure physique, nos partenariats de recherche et nos partenariats politiques, ainsi que la qualité de la relation avec les patients. Comme nous sommes une petite association autorisée, nous faisons face à une demande très grande (actuellement, notre stock prend fin sous trois semaines). Pour le reste, le temps nous aidera à grandir !
NF : Paulo Thiessen, vous avez pu vous rendre en France récemment. Quel était l’objectif de votre visite ?
Paulo T. : L’objectif principal était de mieux comprendre la situation française. Je ne pensais pas que la situation était aussi prohibitionniste. J’ai vu à la télévision des personnes être arrêtées pour des quantités minimes (moins d’un gramme), et des médecins dans l’impossibilité de prescrire des médicaments à base de THC. J’ai pu rencontrer différentes personnes pour mieux connaître le tissu associatif français afin de pouvoir apporter mon soutien. Les personnes étaient plutôt négatives, mais il m’a semblé que les militants cherchent surtout du conseil juridique et des pistes afin d’obtenir des autorisations légales.
Il faut travailler ensemble afin de bien construire une stratégie avec des personnes compétentes et qui ont le courage de s’engager : des médecins, créer une distribution centralisée, des patients qui signent une autorisation afin d’entrer dans ce processus, le nombre de citoyens inclus, les justificatifs de domicile, etc. En cas de contrôle policier, il n’y a ainsi que la vérité et l’ensemble des personnes impliquées. SALVAR souhaite contribuer à aider les patients à améliorer leurs conditions de vie et apporter un soutien aux militants d’autres pays dans leurs procédures au niveau législatif.
NF : Que pensez-vous des possibilités d’une légalisation du cannabis non-limitée à l’usage médical au Brésil ?
Paulo R. : Actuellement, les patients peuvent suivre des traitements sous forme de comestibles, d’huiles et d’autres produits issus du cannabis, à consommer oralement et de façon inhalatoire. Les usagers qui disent consommer de façon récréative le font souvent aussi pour des raisons de santé. Il serait bon que ces usagers consultent des médecins.
Le projet de loi 399/2015 réglemente certains aspects du cannabis mais omet des secteurs, dont l’associatif, et ne prévoit pas de possibilité d’auto-culture. Nous faisons partie d’un front parlementaire afin de pouvoir avancer sur la législation avec le soutien de sénateurs. Il existe aussi des associations et des clubs avec des cultures centralisées et qui ne demandent pas d’ordonnance médicale. Ces structures s’associent à des avocats afin de se présenter aux instances publiques.
Au final, comme toujours, les résultats sont le fruit de l’action de personnes sérieuses et impliquées qui veulent faire avancer les choses ensemble. Comme dit l’expression brésilienne, “entrei de gaiato no navio” (7), nous sommes tous impliqués dans un mouvement global auquel nous souhaitons contribuer de la meilleure façon possible.
Pour plus d’informations :
- Site de SALVAR, l’Association Brésilienne de Soutien à la Culture et à la Recherche en Cannabis Médicinal
- Reportage au journal national de la chaîne Globo (la plus regardée du pays) – La Justice Fédérale autorise une association de Sergipe à fournir des fleurs de cannabis médicinal (portugais)
- UFS Science – l’Université Fédérale de Sergipe développe des recherches sur les bénéfices de l’usage médicinal du cannabis (portugais)
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(1) L’État de Sergipe se situe dans le nord-est du Brésil, le Nordeste, sur le littoral atlantique. À titre indicatif, c’est le plus petit état du pays (soit un peu moins que la superficie de la Bretagne, pour un territoire brésilien qui correspond à 13 fois la superficie de la France). Sa capitale est Aracaju.
(2) Sous la pression du contexte international et de la “guerre à la drogue” aux États-Unis, le décret de loi n°891 interdit officiellement le cannabis au Brésil.
(3) Luiz Inácio Lula da Silva a remporté le second tour des élections présidentielles avec le score très serré de 50,9% face à Jair Bolsonaro le 30 octobre 2022.
(4) SALVAR cite comme source d’inspiration l’activisme de Cassiano Texeira, dans un État voisin, qui a lancé le mouvement de réunion de patients et de culture de cannabis thérapeutique avec l’association ABRACE à João Pessoa en 2015.
(5) Le salaire mensuel minimum est de R$ 1.320 en 2023 soit environ 250 euros. Les huiles de CBD importées coûtent en pharmacie entre R$ 246 (46 euros) et R$ 2.607,27 (491 euros).
(6) La décriminalisation de la détention individuelle de cannabis est en cours de discussion au Tribunal suprême fédéral (STF) depuis 2015 (5 juges pour, 1 contre, le vote a été à nouveau reporté en août 2023). Il n’existe actuellement pas de critères pour différencier usager et trafiquant, cela est laissé à la discrétion du juge et entérine les discriminations envers les personnes de couleur. En termes de sanctions, on passe de l’avertissement ou de mesures éducatives à 20 ans de prison pour trafic. On estime que 31 % des procès classés pour “trafic” pourraient être reclassés en détention personnelle.
(7) L’expression fait référence au fait de se retrouver dans une situation malgré soi ou sans y avoir été invité, elle utilise un registre marin (passager clandestin à bord d’un navire), on pourrait la traduire par quelque chose comme “j’ai été embarqué dans cette aventure”.