Comment la science peut-elle accompagner le développement de politiques efficaces en matière de drogues ?

Cette audition informelle d’experts scientifiques, organisé sur proposition et sous l’égide du gouvernement de la Fédération de Russie, a permis le début d’un débat intéressant entre experts de différent pays (un argentin, quatre autrichiens, un brésilien, une bulgare, un chinois, un colombien, une égyptienne, un français, le directeur de l’INPES, un allemand, une ghanéenne, un indien, une israélienne, un italien, un kenyan, une libanaise, un mexicain, un marocain, un norvégien, un polonais, un portugais, cinq russes, un espagnol, un suédois, un suisse, un ougandais et cinq états-uniens).

Dans l’ensemble rétrograde et totalement déconnecté des réalités, ce débat d’experts – premier du genre à être organisé à l’occasion de la Commission des stupéfiants (CND) – pourrait créer à l’avenir de bonnes occasion de susciter des débats fructueux

Nous reprenons ici des éléments du débat ayant suivi la présentation du Dr Rakesh Lal, d’Inde.

Pour le Dr Jallah Toufik, directeur de l’observatoire national des drogues et addictions du Maroc, le problème de la stagnation des politiques publiques relatives aux substances psychoactives vient de l’absence d’échanges (et de la difficulté à en créer) entre les trois pans d’un triangle composé du Législateur, de la communauté scientifique, et des associations représentant la société civile. Il faut travailler à créer une porosité entre ces trois entités.

Un autre point important souligné par le Dr Toufik est le manque de traductions des recherches en lien avec l’usage et l’abus de drogues.

La Dr Suzan Ben-Ezra a signalé que beaucoup de campagnes d’information et de prévention destinées aux jeunes (et qui n’étaient pas à l’initiative du gouvernement) étaient particulièrement inappropriées, inefficaces ou contre-productives. Elle signale donc le travail effectué en ce moment par le ministère israélien de la Santé, visant à établir sept critères d’accréditation de ces programmes de prévention. Le respect de ces critères deviendra bientôt un prérequis pour pouvoir délivrer de l’information et de la prévention, en particulier au niveau des établissements scolaires.

Maja Kohec, anthropologue et militante au sein de l’association slovène ONEJ et de la coalition européenne ENCOD, a réorienté le débat en posant à l’ensemble du groupe des experts une question simple : ne faudrait-il pas envisager au premier abord le problème de l’abus de drogues en tant que trouble social plutôt que de systématiquement considérer le problème comme un trouble d’ordre médical ?

Immédiatement, le Dr Lah a arrondi les angles en parlant de problème multifactoriel, pour s’apesantir sur le besoin de fzire des usagers de drogues des membres productifs de la société. Sur quoi le docteur Okeidi, du Kenya, a ajouté qu’il était « trop tard pour prévenir ». De nombreuses voix se sont élevées pour réfuter l’idée d’écarter l’approche médicale comme approche primaire.

D’autres éminents scientifiques se sont illustrés par des positions hasardeuses ou rétrogrades, parmi lesquels le Dr Zhimin Liu, directeur adjoint de l’Institut national chinois sur la dépendance aux drogues, qui a affirmé dans une laborieuse contribution en anglais approximatif qu’il fallait tout axer sur une prévention primaire, et que la théorie de l’escalade était une vérité absolue et une règle d’or.

Le docteur Pierre Arwidson, directeur scientifique de l’INPES, a répondu en mettant en avant une comparaison avec les politiques de santé publique appliquées au tabac ou à l’alcool : si celles-ci ont réussi à réduire de façon générale la consommation de ces deux produits, il faut noter que la prévalence de la consommation parmi les populations défavorisées n’a pas diminué, voire a même augmenté.

Selon lui, les stratégies politiques de santé publique en général, et par conséquent aussi les politiques relatives aux drogues, doivent être conçues dès le début pour intégrer une dimension sociale et tendre à réduire les inégalités d’ordre sanitaire.

Sur quoi le Professeur Schuckit, qui s’est illustré par de travaux sur les facteurs génétiques menant à l’abus de produits psychoactifs à San Diego (Californie), a surpris l’assemblée en rappelant que les riches aussi – et il a pris l’exemple des étudiant-e-s en médecine ou en droit – étaient aussi sujets à l’abus de drogues (y compris bien sur les drogues légales) et aux addictions en tous genres, bien que ceux-ci soient moins visibles que les pauvres.