Ma rencontre avec le Cannabis, comment il m’a permis de comprendre que je souffre d’un trouble anxieux généralisé et comment je l’utilise aujourd’hui dans ma vie.

Clope, Cannabis et Alcool

J’ai découvert le cannabis comme beaucoup de gens, à l’adolescence. J’étais déjà fumeur de cigarettes, et il n’a pas fallu très longtemps pour que j’expérimente le cannabis autour de mes 15 ou 16 ans. Je trouvais, à l’époque, les effets intéressants, stimulants intellectuellement mais j’ai aussi fait un ou deux « bad trip », des surdoses où j’avais des palpitations, sueurs froides, la tête qui tourne et une sensation de malaise. Mais la plupart du temps avec de petites doses, je passais un très bon moment à écrire, à discuter ou à réfléchir. J’avais même convaincu ma mère de pouvoir en cultiver et éviter ainsi l’un des principaux dangers lié à la consommation de cannabis, la mauvaise qualité des produits disponibles sur le marché noir et leur absence de traçabilité, mais je ne suis jamais passé à l’action à cette époque.

Tabagisme et Alcoolisme

Je suis ensuite parti faire mes études, j’étais toujours fumeur de cigarettes et il m’arrivait de fumer du cannabis de temps en temps mais la difficulté d’approvisionnement et l’illégalité m’ont finalement éloigné de cette substance pour préférer l’alcool, plus facile à se procurer et plus admis socialement. L’alcool et le cannabis ne faisant pas bon ménage, j’ai finalement arrêté d’en consommer pendant de nombreuses années. J’étais donc fumeur quotidien de tabac et je consommais de l’alcool de manière festive et sociale. Cette consommation d’alcool s’est insidieusement renforcée au fil des années jusqu’à devenir quotidienne et se détacher du côté festif pour devenir une nouvelle addiction en plus de celles que j’entretenais déjà avec le café et le tabac. Cet alcoolisme a duré 7 ou 8 ans, j’ai du mal à situer précisément à quel moment je suis passé d’une consommation festive à une consommation chronique. Pendant cette période, je travaillais entre 40h et 60h par semaine dans un travail qui me plaisait et me stimulait mais qui engendrait aussi beaucoup de stress.

J’avais conscience de mon alcoolisme, mais je n’avais ni la force, ni vraiment l’envie de m’en séparer. Le déclic s’est fait lorsqu’une femme que j’aimais m’a dit « Je t’aime, mais je ne vivrai pas avec un alcoolique ». Je suis allé au service d’alcoologie de l’hôpital où la médecin chef du service m’a expliqué toutes les possibilités d’accompagnement, seul ou à l’hôpital, avec ou sans médicaments, jusqu’au séjour long de 3 semaines en milieu hospitalier. J’ai finalement décidé d’arrêter seul et sans médicament, avec l’accompagnement de la médecin une fois par semaine. Cet arrêt s’est bien déroulé, je n’ai même pas eu de trouble du sommeil. J’ai eu beaucoup de chance. L’alcool tue 50 000 personnes par an et notre société ne fait malheureusement pas grand-chose pour aider ses consommateurs.

J’ai profité de cet arrêt de l’alcool pour arrêter le tabac, j’étais fumeur depuis mes 15 ans, j’en avais 33, donc 18 ans d’addiction et de consommation quotidienne. Je savais que cela serait difficile. La médecin m’a orienté vers le CSAPA, pour poursuivre mon suivi d’arrêt de l’alcool et entamer l’arrêt du tabac. J’ai mis plus de 3 mois à m’arrêter, tout en utilisant des patchs et des pastilles de nicotine. L’avantage d’avoir arrêté l’alcool en même temps, c’est que je perdais du poids, contrairement à beaucoup de personnes qui arrêtent de fumer. Grâce à ces structures, j’ai pu me séparer de mes deux addictions les plus dangereuses pour ne garder dans un premier temps que le café et le sucre. J’ai ensuite arrêté assez naturellement les pastilles de nicotines un peu plus d’un an après.

Avec le recul, je pense que je ne serai jamais devenu addict à l’alcool si le cannabis avait été légal car dans ma période adolescente et jeune adulte, ma préférence allait clairement au cannabis plutôt qu’à l’alcool. C’est véritablement son illégalité qui a finalement eu raison de ma préférence.

C’est un peu plus d’un an après mon arrêt de l’alcool et du tabac que s’est produit ma 2ème rencontre avec le cannabis.

Culture et vaporisation, l’anxiété s’évapore

J’ai découvert que l’on pouvait consommer du cannabis sans le fumer et donc sans subir les dégâts de la combustion, les goudrons, les risques de cancer, l’atteinte à l’odorat et au goût, etc. Il existe de petits appareils permettant de chauffer les fleurs entre 160° et 210° qui permettent ainsi de vaporiser les cannabinoïdes, les terpènes et autres composés aromatiques sans aucun dégagement de fumée, tout au plus une légère vapeur. Apprenant cela, j’ai acheté quelques graines sur internet pour essayer de faire pousser une ou deux plantes et pouvoir vaporiser un peu de fleurs aux moments où d’autres boivent un coup. J’ai donc fait pousser 2 petites plantes en pot devant ma fenêtre pendant la belle saison.

J’ai ensuite pu vaporiser de temps en temps, et à chaque fois j’avais la sensation qu’une pression et une tension importante dans mon corps se libérait. Comme si je portais en permanence un poids sur les épaules, une pression sur la cage thoracique et un stress dans la tête. Simplement, le phénomène étant permanent, je n’en avais pas conscience. C’est seulement en observant le relâchement lorsque je vapotais que je pouvais constater à quel point j’étais tendu le reste du temps. Je me suis alors intéressé à cette tension permanente pour finalement trouver son nom et ses caractéristiques, il s’agit d’un trouble anxieux généralisé, j’ai pu ne pas y prêter attention durant deux décennies, car je le régulais et le masquait avec la nicotine, le café et l’alcool. J’ai aussi découvert que les anxieux.euses sont, pour plus de 90% d’entre elleux, dépendant.e.s à au moins une substance. Pour ma part j’en ai totalisé jusqu’à 3 au maximum : tabac, café et alcool pendant 7 ou 8 ans, puis en éliminant l’alcool et le tabac, le sucre est venu, puis le cannabis, j’ai ensuite éliminé le café pendant 6 mois, pour le laisser revenir. En fait, mes addictions sont nourries par mon anxiété.

Un vaporisateur pour herbes sèches

Un vaporisateur pour herbes sèches

J’ai alors orienté ma culture et ma consommation vers des variétés réputées pour leurs effets anxiolytiques, relaxants, antidépresseurs, etc. J’ai également choisi des variétés équilibrées entre THC et CBD qui produisent des effets plus doux et équilibrés permettant chez moi la concentration. Et enfin, des variétés riches en limonène, l’un des nombreux composés aromatiques présents dans le cannabis et qui est réputé renforcer le côté relaxant et apaisant.

Le cannabis est la plante au monde ayant le plus de variétés, de par sa facilité de croisement, son adaptabilité à un grand nombre de climat et la diversité de ses usages. Ainsi près de 30 000 variétés sont disponibles à travers le monde et tout cela à partir de seulement quelques dizaines de variétés « sauvages ».

L’anxiété est la pathologie mentale la plus répandue, 21% de la population sera touchée au cours de la vie par un trouble anxieux. C’est un problème majeur de santé publique qui est aujourd’hui mal pris en charge, sous-estimé par le corps médical et par les patients eux-mêmes. Cela a été mon cas, j’ai ignoré mon trouble pendant plus de 20 ans, malgré des symptômes multiples : serrages de dents, douleurs cervicales et dorsales, hypervigilance, troubles du sommeil, troubles de l’humeur, …

C’est après plusieurs crises de panique que j’ai compris que je souffrais d’une maladie nécessitant des soins. Malheureusement, j’ai dû faire face à ce moment difficile en raison de la politique répressive aveugle envers le cannabis dans notre pays. La gendarmerie m’a confisqué du jour au lendemain ma réserve personnelle de fleurs séchées, me plongeant dans un sevrage forcé sans aucune alternative.

C’est alors que j’ai vu pour la première fois un médecin à ce sujet qui m’a prescrit du Xanax… Ce médicament, en plus d’entraîner chaque année des décès par surdose accidentelle, est un classe 3 : il est interdit de conduire une voiture ou de piloter des engins ou des machines. Il peut également provoquer de nombreux effets secondaires graves et, me concernant, il était totalement inefficace aux doses prescrites… J’ai donc tenu en serrant les dents et en tentant de gérer tant bien que mal mes pics d’anxiété jusqu’à pouvoir récolter les plantes suivantes 4 mois plus tard.

Addiction

Je suis finalement retourné au CSAPA un peu plus d’un an plus tard car ma consommation était devenue quotidienne et ma compagne s’en inquiétait avec raison, même si pour ma part cela ne me préoccupait pas vraiment. Le contraste énorme que j’observais avec les dangers de l’alcool ne m’incitait pas à la prudence au regard de l’addiction. Toutefois, je savais la tendance que je pouvais avoir à me voiler la face ou à minimiser les dangers pour l’avoir fait avec l’alcool pendant plusieurs années.

J’ai été suivi pendant 9 mois par le CSAPA en voyant alternativement l’infirmier, la médecin et la psychologue qui ont bien compris mon histoire et m’ont permis d’essayer un deuxième anxiolytique; l’Atarax qui est un antihistaminique réputé moins dangereux et non une benzodiazépine comme le Xanax. Les résultats furent très décevants avec ce médicament qui me provoquait des bourdonnements dans la tête. La psychologue m’a orienté vers une thérapie EMDR. J’ai effectué cette thérapie en 5 séances en choisissant un praticien dans une ville à proximité de chez moi. Là aussi, un thérapeute qui a pris le temps d’écouter et de comprendre mon parcours et mes besoins.

Suite à cela, mon niveau d’anxiété générale a baissé. Cela m’a permis quelques mois après, d’arrêter pour six mois le cannabis. J’ai contenu l’anxiété pendant cette période en prenant des teintures mères de plantes reconnues pour leurs vertus anxiolytiques : valériane, lavande, millepertuis, angélique, tilleul… Toutefois, ces préparations n’ont pas empêché certains symptômes physiques de revenir en force… J’ai donc repris légèrement ma consommation, sans dépasser une fois par semaine. A terme, j’aimerai me stabiliser autour de 2 ou 3 sessions de vaporisation par semaine ce qui devrait permettre de contenir les effets de tolérance et éviter le retour de l’addiction mais cela reste une affaire à suivre.

Pour ce qui est des tensions musculaires, je continue d’être traité régulièrement par une osthéopathe depuis mon adolescence car je me bloque le dos régulièrement tous les 3 à 6 mois. Récemment, j’ai demandé à ma dentiste de me fabriquer une gouttière pour éviter le serrage de dents nocturne, car depuis 2 ans je fais attention à desserrer la mâchoire en journée mais je n’ai pas de prise sur ce qui se passe la nuit.

Il ne s’agit que de mon parcours personnel, mais cela me donne envie de continuer à échanger sur le sujet avec d’autres usager.e.s afin de mieux comprendre ce qui se joue autour de l’addiction et de l’anxiété.

Cultiver son jardin

Champ de cannabis

Cultiver mes propres plantes me permet de continuer mes explorations variétales afin de trouver les souches qui soulagent au mieux mon anxiété. Par ailleurs, je continue de soigner les causes de mon anxiété et de tenter de mieux comprendre mes modes de fonctionnement.

Je soutiens NORML France, association promouvant la réduction des risques et une certaine idée de la légalisation afin de mieux prendre en charge les addictions. Je tâche de raconter mon histoire autour de moi pour lever le tabou sur la dépendance aux substances et déculpabiliser pour mieux permettre d’accompagner et d’être accompagné.

Que dit la recherche scientifique?

Concernant les recherches scientifiques, elles ont été malheureusement freinées et empêchées par les réglementations à travers le monde pendant près de 40 ans, mais heureusement elles reprennent depuis le début des années 2010, et l’on trouve de nombreuses études en ligne.

Une revue des études disponibles par Santé Canada comporte un volet sur l’anxiété qui souligne un lien entre la consommation et la diminution des symptômes de l’anxiété avec tout de même deux bémols, l’effet biphasique du cannabis dépendant de la dose qui peut soulager à faible dose et renforcer l’anxiété à haute dose, une étude sur 4400 usager.e.s chroniques qui déclarent une diminution des symptôme anxieux par rapport au groupe témoin. Toutefois, là encore, il faut rester prudent car les usager.e.s sont susceptibles de développer des Troubles de l’Usage du Cannabis (TUC). Cette revue très complète examine par ailleurs de nombreuses pathologies pour lesquelles une amélioration des symptômes ont été observés.

De nombreuses études constatent l’altération des capacités cognitives des individus sous l’emprise du cannabis, et décèlent une baisse du QI chez les utilisateurs chroniques, toutefois, ces effets semblent totalement réversibles respectivement dans les heures et les semaines qui suivent l’arrêt du cannabis.

J’ai consulté quelques études autour du lien entre consommation de cannabis et anxiété au cours du temps, et pour le dire simplement, pour le moment rien de vraiment concluant n’apparaît. En effet, il faut parvenir à démêler un grand nombre de facteurs sociaux et environnementaux, caractériser précisément les troubles anxieux, et suivre leur évolution dans le temps. Certaines études montrent un lien mais une fois corrigés de la consommation d’alcool et de tabac, le lien disparaît.

D’autres encore éludent la question de la causalité : dans mon cas par exemple, la baisse de ma consommation correspond à une prise en charge du trouble anxieux sous-jacent permettant l’amélioration de mon état de santé. En somme, le fait que les anxieux consomment du cannabis ne signifie pas nécessairement que le cannabis est responsable de leur anxiété. Il y a là comme souvent pour l’alcool et le tabac, une inversion de sens. Les usagers et usagères de drogues, pour bon nombre d’entre elles, pratiquent une forme d’automédication, malheureusement cette consommation comporte des risques et débouche trop souvent sur une addiction. A partir du moment où l’on considère les usager.e.s chroniques de drogues comme des malades et non plus comme des délinquants, on peut commencer à avoir une approche thérapeutique et préventive cohérente.

Enfin, une partie des études concluent l’absence de lien entre anxiété et consommation de cannabis sur le long terme. Ce qui est certain en revanche, c’est que de très nombreux.euses consommateur.ice.s utilisent le cannabis comme un anxiolytique et un anti-dépresseur. Il est également avéré que différents facteurs vont venir moduler les risques : par exemple, le taux de CBD va permettre de limiter l’apparition des troubles psychotiques, le THC va avoir un effet anxiolytique à faible dose mais pourra à forte dose renforcer l’anxiété. L’association avec le tabac et l’alcool augmentent l’ensemble des risques inhérents à la consommation de chacun de ces produits.

Quand on connaît les risques associés aux anxiolytiques sur prescription médicale et le nombre de personnes dépendantes à ce type de médicaments dans notre pays (un français sur 4 à pris des benzodiazépine dans l’année), on peut considérer que le sujet mérite un examen basé sur l’utilité et le bilan bénéfices/risques pour les patient.e.s plutôt que sur la pénalisation des usager.e.s, mais là encore, il semble que dans notre pays il faille attendre encore longtemps. Récemment, le taux de remboursement des benzodiazépine par la sécurité sociale a été abaissé à la suite d’une révision de ce bilan bénéfices-risques pour les patients. Le cannabis à travers un usage accompagné et contrôlé médicalement pourrait fournir une alternative aux anxiolytiques et aux antidépresseurs classiques pour un bénéfice-risque meilleur.

En France, une expérimentation de l’usage médical du cannabis à été lancée en 2021, avec des résultats positifs pour de nombreux patients. Cette expérimentation pourrait déboucher sur une autorisation plus générale des traitements à base de cannabis.

Conclusion

En résumé, le cannabis est une plante aux multiples usages, dont des usages médicinaux ou récréatifs, ces deux derniers pouvant parfois se confondre. Cette plante, comme d’autres substances pourtant légales, peut entraîner une dépendance. Les risques liés à la consommation sont réels, toutefois il faut les comparer à ceux engendrés par l’alcool et le tabac, qui tuent chaque année des dizaines de milliers de personnes en France et entraînent des conséquences extrêmement graves pour beaucoup d’autres sans que cela ne vienne remettre en cause leur acceptation sociale. Le cannabis peut servir de traitement pour un grand nombre de pathologies dont l’anxiété, principal sujet de cet article. La législation punitive pour les consommateur.ice.s s’avère contre productive, elle absorbe des sommes énormes pour la répression au détriment de la prévention. Elle alimente un marché illégal colossal de plusieurs milliards d‘€uros, source de délinquance, profitant à différentes mafias.

En conclusion, l’État français gagnerait à dépénaliser l’usage du cannabis aussi bien médical que récréatif tout en permettant la culture pour usage personnel de manière encadrée. Par exemple en limitant le nombre de plantes par personnes à trois ou cinq, ou mieux encore en incitant à la création de cannabis social clubs, associations réglementées à but non lucratif dont l’objectif est de fournir à ses membres un produit de qualité, produit localement par et pour les membres du club.

Ces mesures, dont l’application a commencé en 2024 en Allemagne, limiteront radicalement les profits des mafias qui prospèrent aujourd’hui sur le terreau de la prohibition, et donneront une bouffée d’air à toustes les consommateur.ice.s.

Enfin réorienter les milliards de la répression vers la prévention des pathologies mentales et des addictions sous toutes leurs formes serait très judicieux en termes de santé publique. Aussi bien au regard des 50 000 morts annuels provoqués par l’alcool, des 66 000 morts provoqués par le tabac, et du quart de la population qui bénéficie d’au moins une prescription d’anxiolytiques par an. La santé mentale d’une grande partie de la population est liée à une ou plusieurs consommations de substances addictives, espérons que les annonces autour de la santé mentale qui interviendront dans les prochains mois sauront tenir compte de ces éléments pour changer radicalement le cap des politiques actuelles.

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