Le jeudi 15 janvier 2015, deux membres de la coordination Chanvre & Libertés (Kenzi Riboulet et Farid Ghehiouèche, représentant également l’association Cannabis Sans Frontières, affiliée à la Coordination Chanvre et Libertés) étaient reçus au Palais du Luxembourg par le sénateur EELV Jean Desessard, à l’instar d’autres acteurs de la société civile et associations  concernées.

TOUTES LES INFOS
SUR LA PROPOSITION
DE LOI SÉNATORIALE.

Au cours de l’audition, nous avons esquissé un modèle basé sur les réalités objectives : bien que le texte ne corresponde pas à bien des égards à nos attentes, nous avons essayé d’y apporter les corrections minimales aptes à le rendre pragmatique et compatible avec les réalités de terrain du trafic et de l’usage de cannabis en France.

Au premier regard, le texte comporte quelques lacunes flagrantes : il ne parle pas de la production et encore moins l’auto-production. De plus, à l’heure de la simplification, il rajoute une couche législative supplémentaire, alors qu’il pourrait se substituer à des articles de loi obsolètes déjà existants.

Dans le détail, nous avons présenté une série de modifications et quelques amendements (voir le détail ci-dessous et en bas de page) qui mettraient le texte sur une voie qui soit plus en concordance avec les réalités de la situation française en 2015.

L 3431-1

« Art. L. 3431-1. – Sont autorisés, dans les conditions prévues par les dispositions du présent chapitre, la vente au détail et l’usage, à des fins non thérapeutiques, de plantes de cannabis ou de produits du cannabis dont les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’État et dont la teneur en tétrahydrocannabinol n’excède pas un taux fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.

« Les conditions d’autorisation et de contrôle de la production, de la fabrication, de la détention et de la circulation des plantes de cannabis et des produits du cannabis mentionnés au premier alinéa sont déterminées par décret en Conseil d’État.

Nous proposons la création d’un Office français du chanvre réunissant des usagers et experts en matière d’usages de cannabis, des médecins généralistes, addictologues et pharmacologues, d’horticulteurs et d’agriculteurs du secteur du chanvre psychoactif ou non, ainsi que des membres de la Commission des stupéfiants de l’Agence nationale de la sécurité du  médicament et des produits de santé.

L 3431-2

« Art. L. 3431-2. – Le monopole de la vente au détail des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est confié à l’administration qui l’exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, par l’intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés.

« Toute revente est interdite.

Selon l’économiste Pierre Kopp (OFDT, 2007), les premiers intermédiaires dans la revente de cannabis gagnent entre 35 et 77 000 euros par an, et sont entre 6.000 et 13.000. Les « petit dealers » du dernier échelon ne gagnent quant à eux qu’entre 4,5 et 10 000 euros par an. Ce sont entre 58.000 et 127.000 personnes pour qui la contrebande représente  souvent  un — si ce n’est le seul — moyen d’obtenir un revenu. Une des craintes maintes fois formulée à l’encontre d’une régulation du marché du cannabis serait que ces « dealers » se retournent vers la vente d’autres stupéfiants. Or pour éviter que ce phénomène ne se  produise, il est nécessaire d’accorder une place importante à la reconversion de ces personnes dans le nouveau marché créé. C’est pourquoi nous proposons que soient pris en compte, pour l’installation des débits, par exemple, des critères géographiques qui permettraient le déploiement des mesures prioritairement dans les zones de chômage élevé, permettant une réinsertion de cette jeunesse par l’emploi, et un début de revalorisation de leur place au sein de la société.

À l’heure  où les préoccupations de lutte contre le terrorisme cherchent une traduction en termes de prévention et d’anticipation des dérives  fondamentalistes, une régulation intelligente du marché peut offrir des  possibilités importantes de lutte contre l’exclusion, la radicalisation et la détresse d’une grande partie de la jeunesse, habitant  généralement dans les « cités urbaines » ou dans des  zones rurales  désertiques. Axée sur ces zones-là, la légalisation permettrait en outre  un  endiguement du blanchiment, qui alimente actuellement des réseaux  criminels, ainsi que la création d’emploi et la hausse du pouvoir  d’achat parmi les catégories sociales les plus paupérisées.

Contre une logique de monopole d’État monolithique, nous proposons de faire le choix de l’économie sociale et solidaire du chanvre dans les zones économiquement sinistrées. Il faut par ailleurs préciser que contrôle exercé par l’administration, indispensable en l’état actuel des conventions internationales relatives aux stupéfiants, n’est pas automatiquement synonyme de filière unique et monolithique, le tout réside dans les modalités d’applications : C’est pourquoi nous avons proposé que les débitants soient organisés sous la forme de SCOP ou de SCIC (pour rester à taille humaine et à organisation collective) créées spécialement à l’occasion (donc pas d’implantation d’entreprises multinationales ou à vidées spéculatrices), et implantés uniquement dans les ZUS (Zones urbaines sensibles), les ZRR (Zones de revitalisation rurale) et les DOM (Départements d’Outre-Mer) pendant une durée de vingt-cinq ans, pour permettre le développement privilégié du marché légal là où existe déjà un trafic clandestin.Le texte n’abordant pas du tout la question de la production, nous proposons de rajouter un alinéa dans l’esprit du texte initial, confiant à l’administration le soin de délivrer les licences autorisant la production à des sociétés agricoles, également organisés sous forme de  SCOP ou de SCIC, créées à cet effet et implantés uniquement dans les ZRR et les DOM pendant 25 ans.

L 3431-2 bis

Inexistant dans le texte original Nous avons aussi proposé de rajouter un article L 3431-2 bis introduisant le concept de Cannabis Social Club, avec le texte suivant (inspiré de la nouvelle législation de la région espagnole de Navarre) :Par dérogation aux articles L3431-2 et 4, sont autorisés la production, la  cession et l’usage des produits mentionnés à l’article L3431-1 pour les  personnes majeures adhérentes à une association d’auto-support d’usagers, dite « Cannabis social club », créée à cet effet, régie par le  régime de la loi de 1901, et déclarée auprès de l’Agence régionale de  santé.
Elle mentionne au moins les finalités suivantes dans son objet social :
• mettre à disposition de tous les membres du matériel et des formations  en prévention des risques et en réduction des dommages liés  à         l’usage de cannabis,
• appliquer un contrôle qualitatif et quantitatifs stricts sur les substances produites,
• offrir un suivi sanitaire, un contrôle et d’une supervision de leur consommation par les membres et par des professionnels de santé,
• garantir la transparence des opérations dans le respect du cahier des charges en vigueur.

Cette  association a vocation à rémunérer du personnel horticole, du personnel médical (médecins généralistes et addictologues) et des travailleurs  sociaux. Elle assure la production d’une quantité limitée des produits mentionnés à l’article L3431-1, correspondant aux besoins constatés des  membres ; elle transmet les informations quantitatives et qualitatives  relatives au produit à l’Agence régionale de santé.

Un arrêté du ministre chargé de la santé définit le cahier des charges fixant entre autres :
• le protocole d’adhésion auxdites associations, qui comporte une explication de ses droits et devoirs au nouveau membre, une estimation initiale de la quantité consommée, ainsi qu’un entretien avec le personnel médical,
• la teneur des registres à tenir,
• les normes de culture et les critères sanitaires et sociaux requis,
• les critères de transparence financière
• les conventions collectives dont dépendront les employés de l’association.

L 3431-3

« Art. L. 3431-3. – Le représentant de l’État dans le département peut prendre des arrêtés pour interdire l’installation de débits de plantes de cannabis et de produits du cannabis, à l’intérieur d’un périmètre qu’il détermine, autour :

« – des établissements scolaires et des établissements de formation ou de loisirs accueillant des mineurs ;

« – des installations sportives.

Pour juguler efficacement le trafic, en dehors des seules ZUS, nous proposons d’ajouter le point suivant :Le représentant de l’État dans le département peut également prendre  des arrêtés exceptionnels pour autoriser l’installation de débits de  plantes de cannabis et de produits du cannabis, à l’intérieur d’un  périmètre qu’il détermine, autour des zones de persistance de la contrebande illicite et des zones d’intérêt touristique.

L 3431-4

« Art. L. 3431-4. – Sont interdites :

« – la distribution ou l’offre à titre gratuit des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 ;

« – la vente de ces plantes et produits aux mineurs. La personne qui les délivre peut exiger de tout client qu’il établisse la preuve de sa majorité ;

« – leur vente en distributeurs automatiques.

« Un débitant ne peut en aucun cas vendre à un acheteur une quantité de plantes ou de produits mentionnés à l’article L. 3431-1 supérieure à celle, fixée par décret en Conseil d’État, dont la détention est autorisée.

Selon nous les dispositions de cet article, bien que normatives doivent laisser une place aux échanges non-lucratifs, propres à la culture d’entraide et de partage des semences, des boutures et des fleurs qui s’est développée pour échapper à la répression, comme l’analysait l’OFDT en estimant à plus de 200 000 le nombre d’usagers pratiquant la culture domestique ou autoproduction.

L 3431-5

« Art. L. 3431-5. – L’usage des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est interdit dans les lieux publics, dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les moyens de transport collectifs.

Difficile de s’opposer à de telles mesures ; il s’agit de garantir le bien vivre ensemble et les libertés individuelles.

L 3431-6

« Art. L. 3431-6. – La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est interdite.

« Les enseignes des débits de vente doivent être conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.

« Toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité d’un produit ou d’un article autre que les plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle ces plantes ou produits.

Pour que la politique de prévention puisse être basée sur une information scientifiquement validée (comme le préconisait le rapport Catania voté par le Parlement européen le 14 décembre 2004), et afin de mettre fin à une forme d’autocensure, de permettre un débat serein et rationnel, et de produire des campagnes d’information et de sensibilisation efficaces et empathiques, nous rajoutons cette ligne indispensable :L’article L3421-4 du Code de la santé publique est abrogé.

L 3431-7

« Art. L. 3431-7. – Les plantes et produits définis à l’article L. 3431-1 sont vendus dans des emballages mentionnant :

« – leur composition intégrale ;

« – leur teneur en tétrahydrocannabinol.

« Ces emballages portent également un message à caractère sanitaire.

« Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe les modalités d’inscription de ces mentions obligatoires, ainsi que la méthode d’analyse permettant de mesurer la teneur en tétrahydrocannabinol et les méthodes de vérification de l’exactitude des mentions portées sur les emballages.

Nous proposons que les emballages mentionnent plus d’information, à des fins de prévention et de responsabilisation des usagers, ainsi :
•    le nom du cultivar,
•    la méthode de culture (intérieure ou extérieure, substrat, engraissage),
•    la zone géographique de production,
•  la teneur des cinq cannabinoïdes principaux,
•    le poids net,
•    la composition intégrale,
•    un message à caractère sanitaire,
•  des  conseils de bonnes pratiques d’usage
•   un double-filet rouge  apparent, conformément à l’article 30-4 de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961.

L 3431-8

« Art. L. 3431-8. – L’État organise des campagnes d’information et de prévention des risques inhérents à l’usage de produits stupéfiants.

L’État doit effectivement organiser des campagnes d’information et de prévention des risques, mais pour en améliorer l’efficacité et l’action, elles doivent être concertées avec les représentants de la société civile, à travers l’Office français du chanvre, dont nous parlions dans l’article 1.

Au-delà du texte de la proposition de loi, plusieurs sujets connexes ont été abordés librement : Conduites à risques ; usage de cannabis et conduite routière ; possibles conséquences sanitaires (schizophrénie, maladies mentales) ; présentation de la situation internationale (Uruguay, Colorado, Navarre, UNGASS de 2016).

Nous avons également tenté de clarifier un quiproquo qui a la vie longue : le souhait de vouloir limiter le taux de THC.
On sait que la démocratisation de la culture a entraîné un développement important des  connaissances aussi bien horticoles que botaniques ou phyto-chimiques du cannabis, mais aussi du nombre de variétés disponibles et de propriétés leur étant propres. Cela stimule tout un nouveau secteur comme le démontre la récente controverse entourant le lancement de la Kanavape, une cigarette électronique au cannabis, sans nicotine ni THC.
Le Δ9-tetra-hydro-cannabinol, ou THC est identifiée dès les années 1980 par les cultivateurs comme la molécule la plus recherchée par les usagers, a été privilégié lors des croisements, pour obtenir des plantes en ayant un taux plus élevé. Or on sait que la soixantaine de cannabinoïdes présents dans le cannabis peuvent permettre l’obtention d’un produit ayant un effet psychoactif fort, sans pour autant que le THC en soit l’unique responsable. A contrario de l’alcool, c’est une combinaison de nombreuses molécules qui cause l’ivresse cannabique.
la substance fumée ou consommée est composée des « têtes » de cannabis, inflorescences ou infrutescences de plantes femelles du chanvre, mais aussi des petits rameaux et branchages fins supportant ces fleurs ou  fruits, ainsi que de feuilles   les entourant. Le travail manuel  effectué à la suite de la récolte,   appelé « manucure », consiste à ôter plus ou moins finement ces branches   et feuilles,  faiblement psychoactives et peu goûtues. Le taux de THC   d’un  produit est donc également proportionnel à la finesse du travail    de manucure effectué.

Ceci  fait qu’une limitation du taux de THC, norme absolue difficilement traductible dans le réel, se révèlerait absolument inopérante. Une    quantification précise des cinq principaux cannabinoïdes de chaque    produit, et son inscription sur l’emballage, semble représenter une mesure de réduction des dommages plus efficace, d’autant que de    nombreuses études scientifiques montrent que les consommateurs de    cannabis adaptent la dose en fonction de la puissance du produit.