Ce dimanche 24 mai, les citoyen-ne-s espagnol-e-s étaient appelé-e-s aux urnes pour renouveler les parlements de certaines « communautés autonomes », l’équivalent de nos régions, ainsi que la plupart des conseils municipaux du pays.

Marquées par une poussée des formations politiques de citoyen-ne-s comme Podemos, issues des mouvement dits des « indignés » et des nombreuses tables rondes organisées dans les villages et les quartiers depuis trois ans, les élections cachaient également un énorme enjeu au niveau des politiques du cannabis en Espagne, scrutées avec attention dans toute l’Europe, et en particulier par la commission Droit & Législation de Chanvre & Libertés (nous avions déjà parlé des évolutions en Espagne ici, et et il y a peu encore ici).

Une affiche e la campagne "SiNoTocaNoHayVoto"

Une affiche e la campagne « SiNoTocaNoHayVoto »

En effet, le monde cannabique, des usagers aux réformistes en passant par les anti-prohibitionnistes, les travailleurs sociaux et les médecins, s’était fortement mobilisé dans les dernières semaines pour forcer la majorité des formations politiques à se positionner sur la question du cannabis (si possible en faveur de la réforme), et pour inciter par là les électeurs à voter pour les listes soutenant la régulation des Cannabis Social Clubs (CSC) et s’opposant à la criminalisation des usagers de drogues. Un hashtag spécifique avait même été lancé, pour la campagne : #SINOTOCAnohayvoto (qu’on pourrait traduire par : « pas de vote sans positionnement »).

SINOTOCA1Une mobilisation qui a porté ses fruits quasiment partout, réussissant à amener la question du cannabis dans le débat politique ayant précédé les élections, et marquant l’avènement de nombreuses majorités réformistes dans de nombreuses villes et régions. Retour sur les espoirs cannabiques les plus marquants suscités par ces résultats.

.

MADRID

Niveau municipal — À 71 ans, Manuela Carmena est une magistrate du tribunal Suprême, ancienne militante communiste et membre d’un groupe de travail sur les détentions arbitraires auprès de l’ONU, et qui avait participé en 2003 à un colloque organisé par ENCOD à Bruxelles sur la réforme des politiques des drogues.

À la tête d’une liste citoyenne apparentée au mouvement Podemos, elle vient de remporter 10 sièges au conseil municipal, contre 11 au Partido Popular (équivalent de l’UMP) en place à la mairie de Madrid depuis 1991. En nouant une alliance avec d’autres formations politiques à gauche, elle est donc assurée d’obtenir la majorité.

Sur le thème des politiques en matière de drogues, elle est depuis longtemps en pointe, et porteuse d’idées fortes : en 1988 déjà, elle participait à la création de la PAD, Plateforme Alternative sur les Drogues, aux côtés de professionnels de santé, de membres des forces de l’ordre, etc. Ils proposaient notamment la légalisation du cannabis et de ses dérivés, qui, associée à une forte prévention et à des mesures contre le chômage, l’échec scolaire et la marginalisation, aurait pu permettre de lutter in fine contre l’addiction et les conduites à risques des usagers de cannabis. Ils appelaient également, au vu de la catastrophe sanitaire de l’époque, à la mise en place de programmes de distribution d’héroïne médicalisée à travers le réseau de santé publique, afin de réduire les risques pour les usagers injecteurs de cette substance.

Niveau régional — Le PP passe de 78 à 48 conseillers régionaux, le PS de 36 à 38, mais la liste Podemos débarque avec 27 sièges, et le groupement citoyen de centre-droit Ciudadanos en gagne 17. Le paysage est donc profondément remodelé et, bien qu’une alliance de droite PP-Ciudadanos se fasse présentir, les politiques en matière de cannabis devraient être beaucoup moins fermes et restrictives que celles des décennies précédentes, de la part des autorités régionales.

LOGO MADFACNul doute, donc, que les nouveaux acteurs politiques madrilènes saura tirer parti de la riche expérience locale d’auto-régulation des Cannabis Social Clubs, et notamment ceux de la fédération locale MADFAC, et d’autres villes pionnières du pays, pour mette en place une régulation humaine du cannabis à l’échelle de la capitale.

.

BARCELONE

Ada Colau et Jose Mujica, ancien président d'Uruguay, la semaine dernière.

Jose Mujica, ancien président d’Uruguay, et Ada Colau, nouvelle maire de Barcelone ; la semaine dernière.

Niveau municipal — À Barcelone, c’est une autre femme, Ada Colau, militante pour le droit au logement, qui, avec une liste de coalition de petits partis et de mouvements citoyens, « Barcelona en Comù », vient d’être portée par les suffrages à la tête d’un conseil municipal renouvelé, où les nationalistes conservateurs catalans du CiU étaient assis sur leur pouvoir depuis des lustres.

Sa victoire a été immédiatement largement saluée, jusqu’à Puerto Rico, où le groupe de Hip-hop Calle 13 félicitait la gagnante et le changement politique dans la 6ème ville la plus peuplée d’Europe.

Les premières mesures qu’elle annonce sont radicales, mais fortement attendues par la population barcelonaise : mettre fin aux expulsions dans la ville, convertir les appartements vides en logements sociaux, impulser la baisse des tarifs de l’électricité, l’eau et le gaz, encore lancer un revenu mensuel minimal pour les familles les plus pauvres.

BCN_elect_2015Il y a à peine deux semaines (était-ce le chant du cygne ? Une mesure électoraliste désespérée ?) le maire CiU sortant, Xavier Trias, avait présenté un plan urbanistique prétendant réduire le nombre de CSC dans Barcelone de 123 à seulement une quinzaine. Une proposition aussi irréaliste avait entraîné un vif rejet de la plupart des acteurs concernés et d’une grande partie de la population, majoritairement favorable à la régulation du cannabis à travers les CSC.

Aujourd’hui, ce projet d’ordonnance tombe à l’eau, et pourrait bien être remplacé par un décret municipal dont le but ne serait pas de fermer les clubs, mais de les réglementer et les réguler, et d’harmoniser les politiques de santé de la ville avec les CSC afin de proposer une offre de prévention, de réduction des risques et d’accompagnement médico-social optimale.

Les militants cannabiques anti-prohibitionnistes et Ada Colau le 14 avril dernier.

Les militants cannabiques anti-prohibitionnistes et Ada Colau le 14 avril dernier à Barcelone.

En effet, en avril dernier, des militants appartenant aux deux fédérations de CSC de Catalogne, CatFAC et FEDCAC, avaient rencontré la candidate Colau et ses colistiers pour leur présenter la proposition commune de modèle de régulation des Clubs dans Barcelone, reçue avec intérêt par les candidats, qui s’étaient engagés à réguler, un an au plus tard après leur élection, les CSC dans la ville de Barcelone…

Barcelone restera donc un terrain d’expérimentation et de consolidation du modèle alternatif de Cannabis Clubs, et l’avenir proche risque d’être riche en débat et propositions législatives locales… De quoi redonner de l’inspiration à la France voisine.

Niveau régional — Les élections autonomes, pour la région Catalogne, sont prévues pour le dimanche 27 septembre prochain, peu avant les élections législatives nationales (qui se tiendront entre le 20 novembre 2015 et le 17 janvier 2016)

.

NAVARRE

La liste RCN-NOK pour les élections autonomes de Navarre du 24 mai 2015.

La liste RCN-NOK pour les élections autonomes de Navarre du 24 mai 2015.

Ramon Morcillo, 1er sur la liste RCN-NOK, en train de voter, le 24 mai dernier.

Ramon Morcillo, 1er sur la liste RCN-NOK, en train de voter, le 24 mai dernier.

Mauvaise nouvelle en revanche dans la Communauté forale autonome de Navarre, où l’association RCN-NOK (Rassemblement cannabique de Navarre) avait présenté une liste de candidature aux élections régionales, afin de pouvoir influer au sein du parlement local sur la loi votée mais pas encore mise en application par l’exécutif (nous vous en parlions il y a peu).

L’association RCN-NOK avait alors réussi à réunir plus de 10 000 signatures dans la seule région de Navarre. Malheureusement, les signataires n’ont pas suivi cette fois-ci, et seules 1 630 voix ont été recueillies par la liste cannabique. Cependant le parlement de Navarre bénéficie d’un large renouvellement, et le RCN-NOK ne manquera pas de continuer à travailler fructueusement, comme par le passé, pour faire appliquer la régulation des CSC votée en décembre dernier.

Chanvre & Libertés