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L’usage de cannabis est légal pour les adultes canadiens depuis une semaine !
Ce pays devient donc le premier pays du G7 qui assume la seule politique responsable en matière de cannabis permettant de mieux protéger la population : la régulation de la filière chanvre. Mr Trudeau, en respectant sa promesse de campagne, a eu le courage de mettre fin à un siècle de politique répressive dynamisant le trafic et l’usage, notamment chez les jeunes. Après l’Uruguay en 2014, voici le Canada qui fait son coming-out, quitte à se mettre à dos les instances onusiennes pour qui cela pourrait constituer une violation des conventions internationales. Toutefois les moyens de pression de l’ONU sont limités à l’heure ou les conventions sont contestées par de plus en plus d’États membres : il va être difficile pour ces hauts fonctionnaires de stopper un vent de régulation qui souffle sur tout le continent américain ainsi qu’outre Atlantique.
La loi fédérale canadienne autorise désormais les adultes âgés de 18 ans ou plus à acheter, posséder et partager avec d’autres adultes jusqu’à 30 grammes de cannabis séché, ou son équivalent sous d’autres formes, et à cultiver jusqu’à quatre plants à des fins personnelles par foyer. Sa transformation à domicile est également autorisée, à condition que l’extraction soit faite sans solvant. La vente de produits comestibles et de concentrés de cannabis sera autorisée au plus tard le 17 octobre 2019.
La régulation, ou le contraire de la libéralisation
La régulation de la filière chanvre, c’est la mise en place d’un cadre légal strict pour contrôler la production, la distribution, la vente et la possession de cannabis. C’est une réglementation qui permet de mieux protéger la population :
- en réaffirmant fortement l’interdit envers les jeunes,
- en instaurant des normes et un contrôle sanitaire de la qualité des produits,
- en coupant l’herbe sous le pied des trafiquants.
Dans les faits, cette régulation résulte d’une volonté politique courageuse à un moment propice où le « pot » est inscrit culturellement dans la société canadienne depuis des décennies, son usage médical étant également reconnu depuis près de 20 ans.
Les résultats escomptés :
Protection de la jeunesse
La Loi sur le cannabis contribue à dissuader les jeunes de consommer du cannabis en interdisant : d’offrir des produits emballés ou étiquetés de manière susceptible d’attirer les jeunes; de vendre du cannabis en libre-service ou dans des machines distributrices; de faire la promotion du cannabis. Toute personne qui contrevient à ces interdictions sera passible d’une amende pouvant atteindre 5 millions de dollars et d’une peine d’emprisonnement. Vendre ou fournir du cannabis à un mineur reste passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 14 ans de prison, mais cette mesure pourrait bel et bien être contre-productive pour protéger la jeunesse si elle était appliquée fermement (voir les limites au chapitre « Les points négatifs »).
Protection de la population
La Loi protège la santé publique en créant des exigences rigoureuses en matière de sécurité et de qualité des produits en circulation. Les responsabilités du gouvernement fédéral consistent à établir des règles et des normes s’appliquant à l’ensemble de l’industrie concernant notamment : les types de produits de cannabis qu’il est permis de vendre, les exigences relatives à l’emballage et à l’étiquetage des produits; la normalisation de la concentration en substance active et de la taille des portions; l’interdiction d’utiliser certains ingrédients; les bonnes pratiques de production; les exigences en matière de traçabilité du cannabis depuis la semence jusqu’à la vente pour en empêcher le détournement vers le marché illicite et les restrictions touchant les activités de promotion.
Les provinces et les territoires sont responsables de concevoir, de mettre en œuvre, de tenir à jour et de faire respecter des systèmes pour surveiller la distribution ainsi que la la vente de cannabis. Ceux-ci sont aussi en mesure d’ajouter leurs propres mesures de sécurité, notamment hausser (mais pas abaisser) l’âge minimal dans leur province ou leur territoire, réduire la limite de possession à des fins personnelles dans leur province ou leur territoire; créer des règles supplémentaires pour la culture du cannabis à domicile, par exemple en diminuant le nombre de plantes autorisé par foyer; restreindre les lieux où les adultes peuvent consommer du cannabis, par exemple en public ou dans les véhicules.
De plus, des efforts de sensibilisation du public actuellement en cours permettront de mieux faire connaître les mesures de sécurité mises en place et les risques potentiels pour la santé liés à la consommation de cannabis. Le gouvernement du Canada s’est engagé à verser près de 46 millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour la réalisation d’activités d’éducation et de sensibilisation du public visant à informer les Canadiens, en particulier les jeunes, des risques pour la santé et la sécurité associés à la consommation de cannabis.
Protection contre les activités criminelles
Les infractions relatives au cannabis ciblent les personnes qui ne respectent pas le cadre juridique, notamment les personnes liées au crime organisé. Les sanctions sont établies en fonction de la gravité de l’infraction. Elles vont de l’émission d’un avertissement ou d’une contravention pour les infractions mineures (concernant de faibles quantités), jusqu’à des poursuites criminelles et des peines d’emprisonnement (14 ans au maximum) pour les infractions considérées comme les plus graves, à savoir l’exportation et l’implication de mineurs.
La détention d’un casier judiciaire à la suite d’une infraction relative au cannabis, même pour une accusation de possession mineure, peut avoir des conséquences graves et permanentes pour la personne accusée. En permettant aux adultes de posséder et de produire du cannabis dans un cadre légal, la nouvelle Loi contribue à garder les Canadiens qui consomment du cannabis en dehors du système de justice pénale, ce qui allège le fardeau des tribunaux (-48 000 affaires par an).
Les points positifs : un exemple pour le monde entier
- La santé publique est enfin au centre des politique sur le cannabis.
- La loi est plus adaptée aux mœurs et met fin à la discrimination de l’usage adulte privé.
- La liberté de cultiver dans son jardin est actée au niveau fédéral
- Le fait que chaque province et chaque municipalité puisse choisir d’adapter le cadre légal va permettre d’étudier différentes variantes de régulation.
- L’évaluation triennale de la loi qui va permettre des adaptations progressives
- La valeur d’exemple est indéniable pour les autres pays : il est clairement possible pour chaque état de mettre en place des politiques de régulation du cannabis à l’heure où les conventions internationales sont ouvertement critiquées par plus du quart des états membres.
Les points négatifs : limites et incohérences
Des sanctions démesurées par rapport au préjudice estimé, allant à l’encontre des objectifs de santé publique
Les infractions à législation sont sanctionnées de manière démesurée par des peines d’emprisonnement : imaginez qu’un père de famille risque 10 ans de prison parce qu’il offre un verre de vin à table à son fils de 16 ans ! Cela ferait un tollé général… Et pourtant, pour du cannabis, plante connue et utilisée depuis des millénaires, ça ne choque pas le législateur de mettre en prison des jeunes adultes pour cession ou partage avec un mineur de 16 ou 17 ans. Il n’y a aucune raison de traiter le chanvre plus sévèrement que l’alcool, produit plus dommageable pour l’individu et pour la société mais bénéficiant d’un cadre plus laxiste, comme l’a souligné Dana Larsen lors d’un entretien au magazine Straight : « …mais si vous vendez de l’alcool à un mineur au Canada, vous avez une amende; si par contre vous donnez ou vendez du cannabis à un mineur, vous êtes passible d’une peine de 14 ans de prison, une peine normalement réservée aux crimes violents et aux viols. Pour la “conduite sous influence”, les nouvelles dispositions iraient d’une amende minimum de 1,000 $ à la perte définitive du permis de conduire, cela alors même qu’il n’y a pas de corrélation entre le taux détectable de THC résiduel et l’inaptitude à la conduite et que cette inaptitude, lorsqu’elle est constatée, est bien moindre que celle causée par l’alcool. L’idée que l’on va se fier aux tests sanguins pour juger de l’aptitude à la conduite veut simplement dire que l’usager de cannabis ne pourra plus jamais prendre le volant. … Il est curieux que les peines concernant le cannabis soient si extrêmes ».
Ces mesures punitives vont clairement à l’encontre des objectifs de santé publique dans la mesure où elles maintiennent le tabou de l’usage chez les personnes mineures et empêchent le développement de la réduction des risques au sein du public ciblé. En toute logique, c’est dès les premières consommations qu’il faudrait prendre les bons réflexes en terme de modération et de mode d’administration safe. Et l’âge moyen des premières consommation est d’environ 15 ans… Il semble donc contre-intuitif de ne pas responsabiliser et encourager les proches adultes à éduquer les jeunes usagers aux bonnes pratiques d’usage, une sorte d’usage accompagné in fine.
Dans de nombreux cas, pour les acteurs locaux, la nouvelle loi empire la situation en instaurant de nouvelles sanctions ou en renforçant les actuelles. Suivant les provinces, il y a une dissonance plus ou moins importante entre ces innombrables règles et la relative innocuité de la plante. Pour Dana Larsen, même si certaines dispositions de cette réglementation du cannabis vont dans la bonne direction, de nombreuses dispositions doivent être revues sinon elles vont renforcer le nombre d’infractions possibles et la sévérité des peines, comme pour la conduite avec THC dans le sang ou le partage avec des mineurs (exemple, un jeune adulte consommant avec un jeune de 17 ans…). Il y a fort à parier qu’a terme la législation canadienne sur le cannabis s’assouplira, confrontée à la réalité des usages.
Un régime de contrôle trop strict, faisant la part belle aux grosses entreprises et allant à l’encontre des objectifs de santé publique
Des exigences trop nombreuses, une licence trop chère, une centralisation de la distribution et uniformisation des produits, ce régime de contrôle devrait mettre un terme prochainement à tout un pan de l’économie locale canadienne qui était jusqu’alors dans une zone grise. Les dispensaires, clubs et toutes les petites entreprises locales qui travaillaient dans cette branche devront désormais fermer, obtenir une licence pour se conformer à la loi et démarrer à nouveau leurs activités. Les associations de patients s’inquiètent aussi des pertes de compétences liées aux dispensaires de proximité. L’injustice que représente ces fermetures semble évidente pour certains, mais pas pour le législateur canadien qui cherche à la fois à satisfaire aux exigences internationales de contrôle, à dynamiser l’économie capitaliste, et à ne pas se mettre à dos l’aile conservatrice de la population.
Sous couvert de l’obligation de contrôle au niveau international, seules 132 sociétés privées ont à ce jour obtenu une licence d’exploitation et sont agréées par le gouvernement canadien, pour des quotas de cannabis définis à l’avance. Des sociétés comme Canopy Growth, Tilray ou Tweed Marijuana Inc., acteurs colossaux, cotés en Bourse et déjà présents sur le secteur du chanvre à usage médical, invitent le gouvernement fédéral à leur accorder le monopole de la production de chanvre à usage tant médical que social. Ouvrir ce nouveau marché juteux uniquement à certains investisseurs puissants qui cherchent à faire un maximum de profits n’est pas forcement de bon augure sur le plan social et de la santé publique.
Il y a fort à parier que pléthore de petites entreprises n’auront pas les moyens d’investir les sommes faramineuses demandées pour mettre aux normes les infrastructures de production du chanvre et répondre précisément à toutes les exigences de la nouvelle réglementation. La situation de quasi monopole instauré par la loi empêche toute velléité de concurrence, faute de licence d’exploitation. Plus problématique sur un plan sociétal, cela va priver de travail de nombreux acteurs responsables, compétents et passionnés. Cette nouvelle réglementation risque donc de nuire aux petits acteurs et de grever les économies locales.
Une offre légale beaucoup trop restreinte, faisant la part belle au trafiquants et allant à l’encontre des objectifs de santé publique
Le système de régulation est trop monolithique pour répondre à la diversité et aux quantités demandées par les citoyens canadiens : le corollaire est simple; la persistance d’un marché noir conséquent et des nuisances qu’il génère en termes de santé et de sécurité publique, car seul ce marché noir pourra répondre aux demandes non régulées par la loi fédérale. Et ce sans compter sur certaines régions qui édictent des règles et des sanctions plus sévères que celles de la loi fédérale, comme l’ont fait la province du Manitoba ou du Quebec. Ces provinces interdisent l’autoproduction et définissent un monopole d’état limitant strictement l’exploration de cette plante; une nouvelle Société des cannabis du Québéc (SCQ) pour la distribution sur le modèle de la SAQ ?
Cette uniformité se répercute à tous les niveaux: production, distribution et usage. La limitation des licence de production risque de réduire sérieusement la diversité des produits en circulation. Concernant les semences pour la culture domestique, elles devront obligatoirement provenir de “source autorisée”. Plutôt inquiétant, sachant que ce sujet déjà fortement polémique pour les autres semences, comme le dénonce sans relâche l’association Kokopelli.
En termes de distribution, un manque primordial dans cette nouvelle réglementation, et pas des moindres puisque cette carence va à l’encontre des objectifs de santé publique, est l’absence de place pour le modèle Cannabis Social Club. C’est pourtant le seul véritable modèle qui ne fait de promotion de l’usage, qui plus est, support optimal de la réduction des risques, car véhiculée par les pairs. De manière générale, la limitation des licences de vente au détail va globalement réduire l’accessibilité, et en pendant, augmenter le marché noir. Les membres les moins privilégiés de la société ne pourront pas payer les prix prohibitifs des fournisseurs agréés et se tourneront vers le marché illégal souterrain, se trouvant à nouveau sous le coup de la loi et des mesures répressives. De même pour tous les adultes amateurs de chanvre pour qui l’offre ne répondra pas à la demande…
Ce manque de disponibilité des produits est clairement renforcé actuellement par le buzz généré par cette loi dans un nouveau marché qui n’est par définition pas encore en place. En témoignent les nombreuses files d’attente devant les quelques gros points de vente autorisés à travers chaque province et le bond des commandes en ligne. Les rupture de stock sont déjà apparues dans les premières semaines suivant l’ouverture des points de vente officiels et au q.g. qui livre par correspondance dans tout le pays. Dans un avenir proche, des dispositions réglementaires provinciales ou municipales devraient autoriser la délivrance de nouvelles licences d’exploitation pour la production et surtout la vente au détail, ce qui devrait limiter le problème des quantités disponibles mais pas nécessairement celui de la diversité des produits disponibles. Cette diversité des produits étant directement corrélée à la diversité des producteurs, elle est la seule à permettre d’endiguer le trafic illégal et de responsabiliser davantage les adultes en intégrant pleinement le produit sur un plan culturel. C’est pourquoi NORML France plaide pour la délivrance de licences à de petites exploitations, en révisant les normes trop strictes et non pertinentes sur le plan de la santé publique. Le gâteau est tellement énorme qu’il pourrait être partagé bien davantage…
Des stigmates et discriminations persistants
Les usagers de longue date ne verront aucune suppression automatique d’un éventuel casier judiciaire, même si les démarches de demandes d’amnistie pour les jugements concernant l’usage et la possession de quantités personnelles de cannabis, sous réserve d’autres délits liés, devraient prochainement être rendues rapides et gratuites. Concernant les usagers actuels, la discrimination persiste le plus souvent pour l’usage en public et systématiquement pour la conduite automobile après avoir consommé sans emprise incompatible. De plus, les bailleurs auront désormais le droit de restreindre l’accès au cannabis (vente et autoculture).
Hugo de St-Onge, du BlocPot, a confié dans un article de LaPresse.ca “Avoir espéré que le cannabis soit complètement retiré du Code criminel afin que ceux qui en consomment ne soient plus stigmatisés » mais cela est loin d’être le cas. Concernant les dispensaires, pourtant pionniers, ils sont aujourd’hui illégaux et doivent fermer leur établissement alors même que le système légal est dans l’incapacité de fournir toute la demande, ce qui parait bonnement ahurissant. Les anciens acteurs, pourtant les plus expérimentés, sont mis au banc de la société et ne peuvent désormais plus valoriser leurs compétences, sauf à travailler dans une grande firme. Cela constitue une injustice et une hypocrisie de même que, comme le révèle The Guardian, quand certains policiers anciens fervents artisans de la prohibition du cannabis, autrefois en faveur de l’instauration de peines ultra sévères, capitalisent aujourd’hui dans la légalisation en raflant une part privilégiée de ce marché. Problème supplémentaire : Selon cet article du journal Politico relatant les propos de Todd Owen, un haut fonctionnaire attaché aux opérations douanières, les Canadiens qui consomment du cannabis, qui travaillent dans cette industrie ou même qui ne feront que y investir pourraient devoir affronter un potentiel bannissement à vie des USA, lors de leur passage de la frontière. Il déclare : “Peu importe que le cannabis soit légal au niveau fédéral au Canada et que les entreprises opèrent en conformité avec la loi; peu importe aussi que ces mêmes entreprises, comme Canopy Growth Corp (NYSE: CGC), Cronos Group Inc. (NASDAQ: CRON) ou Tilray Inc (NASDAQ: TLRY) s’échangent sur les principaux marchés boursiers des USA, le cannabis demeure un produit hautement interdit de la liste I des substances dangereuses aux yeux du gouvernement fédéral des États-Unis« .
Marc Emery, figure de proue du libéralisme cannabique, ne ménage pas ses propos sur les réseaux sociaux : « Je me demande si l’Afrique du Sud va aussi engager plus de 3,000 bureaucrates à l’occasion de la légalisation dans le Pays? Est-ce que ses forces de police vont recevoir plus de 300,000,000 de dollars supplémentaires pour encadrer leur légalisation? Y aura-t’il création de plus d’une centaines de nouvelles infractions menant à des peines de prison, pertes de permis de conduire, perquisitions policières? Quoi, cela ne concerne que le Canada? », ou encore; « Avec cette légalisation de m…, vous ne pourrez fumer un joint à l’extérieur nulle part en Ontario. Si vous êtes locataire, vous pourriez ne pas avoir le droit de le fumer chez vous non plus. Si vous voulez cultiver 4 plants chez vous, ce sera aussi soumis à l’autorisation du propriétaire. Vous ne pourrez même pas vendre une partie de votre production à un autre adulte. Pas de locaux où se réunir. Et si vous réussissez à fumer ce fameux joint légalement, vous ne pourrez plus prendre le volant pendant 24-48 heures. Et on va construire de nouvelles prisons pour cela ? » Jodie Emery, son épouse, déclarait en 2017 déjà dans un entretien au journal Ottawa Citizen, que le gouvernement libéral avait menti et que son plan pour le cannabis n’est en aucun cas une vraie légalisation, « car elle multiplie les interdits et les peines encourues tout en instaurant un monopole de fait structurellement incapable de satisfaire la demande ».
En résumé :
Les canadiens ont choisi de vivre dans une société ou le chanvre est légal. Il va sans dire qu’avoir accepté de mettre en place une réglementation transparente pour le cannabis est un immense pas en avant. Attendons toutefois de voir comment tout cela va se mettre en place. En effet, la grande inconnue à cette date est le niveau et la sévérité d’application de cette nouvelle loi , ce qui conditionnera la justice sociale et par conséquent la réussite de ce pari responsable.
Nous observons que cette légalisation semble s’articuler par ailleurs autour de précautions disproportionnées, comme si l’usage du chanvre était plus dommageable ou plus addictif que celui de l’alcool, ou peut être comme si la population, insuffisamment éduquée, serait incapable de gérer correctement ce produit jugé pernicieux…
- La jeunesse canadienne risquerait-elle un péril grave et imminent en consommant du chanvre ? Certainement pas plus qu’avant la régulation, où celle-ci consommait déjà massivement.
- L’augmentation de la durée des peines de prison pour les commerçants “hors monopole” pourrait-elle réaliser une régulation qui protège efficacement la jeunesse ? Il y a de quoi être pour le moins dubitatif.
- Alors pourquoi afficher une politique aussi sévère ? Probablement pour que la politique canadienne ne soit pas considérée trop laxiste par les autres états membres de l’ONU, sachant que les projecteurs sont braqués sur cette politique inédite en Occident. Peut être également parce que la consommation chez les mineurs est une corde très sensible dans la population, comme la conduite automobile d’ailleurs.
La lame répressive persiste concernant l’usage chez les mineurs, notamment pour les adultes leur ayant facilité l’usage, avec en filigrane le fameux fléau que ce vent de régulation pourrait faire planer sur nos marmots. Ces thématiques génèrent en effet volontiers des peurs irrationnelles, en agitant davantage la partie émotionnelle subjective de notre cerveau que la partie cognitive, plus objective. De plus, discuter de l’usage avec les mineurs suppose que les parents ou les adultes au contact des jeunes soient à l’aise pour en parler avec un discours adapté à l’âge, qu’ils soient prêts, c’est à dire éduqués et outillés, ce qui peut faire défaut à une certaine frange de la population canadienne pour qui le produit n’est pas du tout culturel.
Cette politique responsable est certes avant-gardiste, mais elle reste pour autant ancrée dans le passé prohibitionniste et la stigmatisation des usagers. Mais quoi de plus naturel : Rome ne s’est pas fait un jour et la discrimination des homosexuels n’a pas cessé brutalement le jour où ces pratiques ont été dépénalisées. Cette réglementation, par ses carences et ses relents de prohibition perpétue cependant un système de deux-poids deux-mesures: d’un coté, des substances approuvées par l’État qui peuvent être achetées et de l’autre, des substances similaires mais non-approuvées qui sont bannies, reproduisant quelque part le système oppressif existant. En clair, cette nouvelle réglementation est un grand pas vers des politiques des drogues plus responsables, bien qu’elle n’aille pas assez loin. En effet, pour certains, cette régulation canadienne pourrait être à la prohibition ce que la loi Jim Crow était à l’esclavage, car elle ne répond pas correctement aux problèmes fondamentaux de la prohibition qui sont l’atteinte aux droits de l’homme et du droit de disposer de son corps et de ce que l’on ingère et elle perpétue des mesures judiciaires profondément discriminatoires, permettant aux plus aisés de consommer légalement alors que d’autres resteront poursuivis.