Paris — Dimanche 4 janvier 2015.

En novembre dernier, la coordination Chanvre & Libertés réagissait au dépôt du projet de Loi relatif à la Santé (n°2302) par madame Marisol Touraine, ministre de la Santé et des affaires sociales.

Amendement 1

Consulter la proposition d'amendement en PDF.

 

Cet amendement proposait un ajout dans l’article 21 du projet de loi Santé. Il serait venu modifier l’article L. 3421-4 du Code de la Santé Publique, afin de supprimer la notion de « présentation sous un jour favorable » des stupéfiants, pour ne conserver que la « provocation à l’usage ».

L’argumentation que nous proposons pour soutenir le retrait de cette notion :

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les inégalités d’accès à l’information et à la prévention en matière de santé sont déterminantes, car elles influent directement sur les comportements à risque, les conduites addictives et l’efficacité du suivi sanitaire et médical. Ces inégalités ne sont pas dues qu’à des défaillances des mécanismes nationaux chargés de la prévention ou à un isolement de certaines populations, elles trouvent aussi parfois leur origine dans une certaine lourdeur législative accordant une forte place à l’ambiguïté et in fine à l’appréciation personnelle et subjective du magistrat.

C’est le cas pour l’article L3421-4 du Code de la santé publique qui punit l’incitation à l’usage de stupéfiants.

La première partie du premier alinéa abordant la « provocation au délit » d’« usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants » suffisant amplement à définir l’infraction visée, la seconde partie de la phrase, « ou le fait de présenter ces infractions sous un jour favorable », apparaît comme une redondance n’ayant comme intérêt que l’introduction de l’expression « un jour favorable » dont la définition précise semble difficile à fixer. L’esprit originel de cet article de loi ne pâtirait pas du retrait de ces mots.

Cet amendement offrira une marge de manœuvre plus grande aux différents acteurs chargés de la mise en place des politiques de santé relatives à la prévention de l’usage de substances illicites, leur permettant de s’adresser plus aisément aux publics les plus éloignés des dispositifs de prise en charge des addictions et des toxicomanies.

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Amendement 2

Il s »agit de formuler une proposition concrète de structure expérimentale, à mi chemin entre un espace de consommation à moindre risques et un cannabis social club, et prête à s’insérer dans ce projet de loi. Ces structures s’appelleraient ECSCRDR, ou Espaces de Consommation Saine et de Conseils en Réduction des Risques pour les usagers de cannabis.

Destiné à l’expérimentation, le dispositif ici proposé n’est certes pas une panacée. Il présenterait néanmoins de nombreuses avantages sociaux et sanitaires pour les usagers de cannabis, s’il était mis en place. La date d’examen de la loi à l’Assemblée Nationale n’étant pas encore connue, nous ouvrons ce texte à toutes les contributions constructives (via le module de commentaires en bas de page).

Vous pouvez consulter le texte de loi originel en cliquant ici.

1. Exposé des motifs

2. Amendement 

Exposé des motifs

Depuis la loi du 31 décembre 1970, de nombreuses dispositions ont été prises pour modifier son contenu et l’adapter aux politiques publiques des majorités politiques successives. Sans autre résultat qu’une explosion du trafic, entraînant une disponibilité accrue du cannabis, une substance hors de tout contrôle exposant les usagers à de forts risques sanitaires, une jeunesse particulièrement exposée, et cible privilégiée du marché noir (près de la moitié des moins de 17 ans ont déjà expérimenté l’usage de cannabis). Une situation d’autant plus alarmante si l’on en croit les études scientifiques concluant qu’un « usage précoce et prolongé du cannabis peut induire des psychoses chez le jeune adulte ».

Cependant, jamais les politiques de lutte contre les toxicomanies n’ont pris le parti, en France, d’un contrôle et d’une réglementation du cannabis, jamais l’action publique ne fut axée prioritairement sur le soutien, l’accompagnement et le soin des usagers, cantonnant le volet répressif à la lutte contre les abus et le mésusage. Selon le rapport d’évaluation des politiques publiques de lutte contre les substances illicites de décembre dernier, ce sont 850 millions d’euros parmi le coût total de la lutte contre les drogues qui étaient alloués à l’application de la loi (police, douanes, services judiciaires, etc.), contre seulement 300 millions pour la prévention de l’ensemble des addictions (et pas uniquement les stupéfiants).

Compte tenu du contexte mondial relatif aux évolutions de plus en plus conséquentes du statut légal du cannabis dans de nombreux pays, et particulièrement dans les pays limitrophes au territoire métropolitain et ultra-marin, il devient urgent pour les pouvoirs publics de commencer à envisager de répondre à ces nombreuses attentes de renouveau et de modernité en ce qui concerne les questions de santé publique et leur gestion par les autorités.

Aussi, dans une démarche volontariste de progression sociale, de défense de l’intérêt général et de protection de la santé publique, afin d’anticiper le monde de demain dans lequel le paradigme actuel du tout-répressif n’aura plus cours que dans les pays à gouvernance autoritaire, il est nécessaire d’envisager dès aujourd’hui des expérimentations aptes à éclairer les futures politiques publiques relatives aux drogues. L’expérimentation et l’évaluation de dispositifs de soins novateurs est un impératif.

Ainsi donc, cet amendement se base sur le modèle des SCMR, et puise son inspiration dans le fonctionnement de structures types « cannabis social club » (qui se développent en Uruguay depuis quelques mois, en Belgique depuis plus de 5 ans suite à un arrêt de la Cour Royale, et que les municipalités suisses de Bâle et Genève ont récemment souhaité expérimenter) ou des clubs privés d’usagers (répandus dans toute l’Espagne, en particulier au Pays basque où ils ont été avalisés par le Cour Suprême, et dans la Communauté forale de Navarre où de nouvelles dispositions législatives régulent précisément la création, l’administration et les modalités de déploiement de ces clubs). Les recommandations formulées en 2004 par le Parlement européen (vote n°2004/2221[INI]), proposant entre-autres de « proposer, les moyens suggérés étant inadaptés, des voies entièrement différentes afin d’atteindre l’objectif général du projet de stratégie antidrogue de l’UE, en donnant la priorité à la protection de la vie et de la santé des usagers de substances illicites, à l’amélioration de leur bien-être et de leur protection, au travers d’un traitement équilibré et intégré du problème » ou encore « [d’]insister davantage sur les aspects liés à la réduction des dommages, à l’information, à la prévention, aux soins et à l’attention portée à la protection de la vie et de la santé des individus présentant des problèmes liés à l’usage de substances illicites, et définir des mesures permettant d’éviter la marginalisation des personnes touchées plutôt que mettre en œuvre des stratégies de répression à la limite de la violation des droits humains fondamentaux et qui, souvent, ont donné lieu à de telles violations» confirment, en outre, le bienfondé des visées d’expérimentation du présent amendement.

Il faut noter que les trois conventions internationales relatives au contrôle des stupéfiants à l’échelle nationale et inter-étatique comportent de nombreuses dispositions autorisant les parties signataires à mettre en place des dispositifs de contrôle de la production et de la distribution de cannabis (article 28 de la convention unique sur les stupéfiants de 1961). Il est même dit que « [la partie signataire] interdira la culture » « lorsque la situation dans le pays ou un territoire de la Partie est telle que l’interdiction de la culture […] de la plante de cannabis est, à son avis, la mesure la plus appropriée pour protéger la santé publique, et empêcher que des stupéfiants ne soient détournés vers le trafic illicite » (article 22, Convention de 1961), sous-entendant par là que l’interdiction absolue de la production n’est qu’une mesure parmi d’autres, à adopter dans des situations extrêmes, précises et ciblées. La Convention internationale de 1988 va plus loin dans son article 12 : « Sans préjudice du caractère général des dispositions […] de la Convention de 1961 […] et de la Convention de 1971, les Parties prennent les mesures qu’elles jugent appropriées pour contrôler, sur leur territoire, la fabrication et la distribution des substances inscrites au Tableau I et au Tableau II. À cette fin, les Parties peuvent : i) Exercer une surveillance sur toutes les personnes et entreprises se livrant à la fabrication et à la distribution desdites substances; ii) Soumettre à un régime de licence les établissement et les locaux dans lesquels cette fabrication et cette distribution peut se faire; iii) Exiger que les titulaires d’une licence obtiennent une autorisation pour se livrer aux opérations susmentionnées ; iv) Empêcher l’accumulation par des fabricants et des distributeurs de quantités desdites substances excédant celles que requièrent le fonctionnement normal de leur entreprise et la situation du marché. »

Il s’agit en fait de viser, à terme, l’encadrement des pratiques d’auto-production (très largement répandue sur le territoire, la culture domestique représentait 11,5 % des volumes de cannabis consommés sur le territoire en 2005) en interdisant la vente entre particuliers, et aux mineurs, et en encadrant des regroupements d’usagers et d’auto-producteurs, dans des structures types dont les deux objectifs seraient : la prévention des risques, des conduites addictives et du mésusage, et le cas échéant la réduction des dommages liés à ces pratiques à risques ou addictives, et une prise en charge sanitaire rapide, ciblée et efficace d’une part, la lutte contre le trafic illicite de cannabis, à travers un approvisionnement encadré se substituant aux réseaux criminels d’autre part.

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Les articles 74 et suivants de la section 2 du chapitre II du titre III du livre 1er de la cinquième partie du volet réglementaire du code de la santé publique prévoient déjà des dispositions de contrôle et de suivi strict et transparent de la production, transformation et cession de produits stupéfiants. De nombreuses dérogations sont en effet prévues, essentiellement à des fins de recherche ou d’enseignement, de préparations pharmaceutiques et de médecine humaine ou vétérinaire.

Cet amendement propose donc un article prévoyant d’étendre ce cadre de dérogation réglementée à des associations d’auto-support créées à cet effet, incluant un corps de professionnels prenant en charge la supervision des usagers. Ce corps pourra être composé d’horticulteurs, pharmaciens pour les analyses du produit, associés à un dispositif similaire à celui des salles de consommation à moindre risques et à son processus de supervision médicale. Ceci rend possible la production d’une quantité limitée de cannabis consommée par les usagers selon de strict critères qualitatifs et sanitaires. Toutes les activités de cette association seront enregistrées, tracées et devront respecter un strict cahier des charges assurant la pertinence de l’expérimentation et la sécurité des dispositifs opérationnels déployés.

Avec ces dispositions novatrices, la France peut dans les meilleurs délais trouver des bénéfices directs sur le plan sociétal. Cette expérimentation qui reste limitée dans le temps, devra être scientifiquement évaluée. Sur la base de ces résultats, le gouvernement ou la représentation nationale adopteront les mesures législatives ou réglementaires qui s’imposent..

Amendement

TITRE IER

CHAPITRE III

 

Article additionnel

Après l’article 9, insérer l’article suivant :

« I. — À titre expérimental et pour une durée de six ans à compter de la date d’ouverture du premier espace, des associations d’auto-support de personnes faisant usage des produits mentionnés au 1° de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique créées à cet effet et désignés par arrêté du ministre chargé de la santé après avis du directeur général de l’agence régionale de santé, ouvrent un espace de consommation supervisée et de conseils en réduction des risques.
Ces espaces sont destinés à accueillir des usagers majeurs de produits mentionnés au 1° de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique, qui souhaitent bénéficier d’un suivi sanitaire, d’un contrôle et d’une supervision de leur consommation desdits produits, et de conseils en réduction des risques.

II. — Ces usagers sont uniquement autorisés à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer dans le respect des conditions fixées dans un cahier des charges national arrêté par le ministère chargé de la santé.
Ne peut ainsi être poursuivie des chefs d’usage illicite et de détention illicite de stupéfiants la personne qui détient pour son seul usage personnel et consomme des stupéfiants à l’intérieur d’ un espace de consommation supervisée et de conseils en réduction des risques créé en application de la présente loi, ainsi que dans le territoire de la commune, ou de l’arrondissement municipal le cas échéant, sur lequel il est implanté.

III. — Le professionnel intervenant à l’intérieur d’un espace de consommation supervisée et de conseils en réduction des risques, dès lors qu’il agit conformément à sa mission de supervision et de vigilance quant à la nature et à la qualité sanitaire des produits, rentre dans le cadre des dérogations de contrôle prévues au premier alinéa du II. de l’article R. 5132-86 et au troisième paragraphe de l’article R. 5132-84 du code de la santé publique.
Il ne peut non plus être poursuivi des chefs de facilitation ou de complicité de facilitation de l’usage illicite de stupéfiants.

IV. — Les dispositions prévues au III et au IV de l’article 9 de la présente loi sont applicables aux espaces de consommation supervisée et de conseils en réduction des risques.

V. — L’article R. 5132-89 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’alinéa 9 est inséré l’alinéa suivant :
« 10° L’autorisation délivrée aux professionnels intervenant dans les espaces de consommation supervisée et de conseils en réduction des risques créés en application de [la présente loi]. »
2° À la fin de l’article, après le dernier paragraphe, est insérée la phrase suivante :
« Les usagers d’espaces de consommation supervisée et de conseils en réduction des risques créés en application de [la présente loi] sont dispensés, pour le seul usage destiné à leur consommation personnelle, des dispositions prévues aux articles R. 5132-88 »

VI. — Après l’alinéa 7 de l’article R. 5132-76 du code de la santé publique sont insérés les mots suivants :
« 8° L’autorisation du directeur général de l’agence régionale de santé accordée au professionnel d’un espace de consommation supervisée et de conseils en réduction des risques. »

VII. — Les dispositions des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 ne s’appliquent pas aux associations mentionnées au I. »