Professeur en pharmacologie à la faculté de Rouen, Jean COSTENTIN est membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Il a longtemps été contre la légalisation du cannabis, il a choisi aujourd’hui de dire sa vérité : militantisme, légalisation, mission d’information. Découvrez l’homme derrière la blouse.

NORML France : Bonjour M. Costentin, nous avons été surpris en recevant votre demande. Ce n’est pas un secret, nous avons longtemps été opposés. Et aujourd’hui, vous souhaitez partager quelques … “secrets” ?

Jean Costentin : Bonjour à vous, merci de me permettre d’avoir cette tribune. En effet, ce que je m’apprête à faire n’est pas chose aisée. J’ai longtemps défendu des idées qui n’étaient pas les miennes, non pas par intérêt, mais disons, que le cannabis et moi nous avons eu une histoire mouvementée.

NF : Pouvez-vous nous en dire plus ?

JC : Bon… Disons les choses franchement, “La franchise est la meilleure arme du juste” disait Euripide. J’ai longtemps consommé du cannabis. J’ai commencé en faculté de pharmacie, nous étions quelques uns. Nous avions formé un club très fermé et nous nous réunissions pour consommer cette douce plante. Que de bons souvenirs ai-je encore de cette belle époque. Puis petit à petit, le cercle s’est agrandi, et plus nous étions nombreux, moins nous en profitions. Ce club privé n’en était plus un. N’importe qui venait, n’importe qui consommait, mais surtout n’importe comment. Un enfer. Tout le monde s’est approprié ma plante. Mal approprié. Je ne l’ai pas supporté. Puisqu’elle ne m’appartenait plus, elle ne devait appartenir à personne. J’ai donc décidé de passer l’essentiel de mon temps à la combattre et à combattre ce même club que j’avais moi-même formé. Mais au fond de moi je savais que je me mentais. J’ai mis du temps à me l’admettre.

NF : Quels sont les défauts de la loi de 1970 ?

JC : La loi de 1970 prohibant le cannabis est une loi qui n’est évidemment pas appliquée. En somme, celle-ci ne sert à rien, sauf à appliquer la politique chiffres en mettant la pression sur de simples usagers. Dans le même temps, la réduction des risques n’est pas mise en avant, le produit est mal consommé et les dégâts causés par son interdiction deviennent plus dangereux que ceux engendré par le produit en lui-même. D’ailleurs, nous avons reçu un carton rouge pour cette absence de prévention par l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies. Je l’ai souvent exprimé pour de mauvaises raisons, mais cette loi est mal faite. La dépénalisation des drogues est une urgence et la légalisation du cannabis tout autant.

NF : Quels sont selon vous les premiers dégâts de cette interdiction ?

JC : Le primo-usage est de plus en plus précoce, autour de 15 ans. Les politiques sont parmi les plus répressives et pourtant la consommation est la plus marquée. Il y a bien un problème. L’enjeu est de retirer ce produit des mains des trafiquants qui le vendent à n’importe qui et enfin contrôler sa distribution. Partout où il est légal, l’usage chez les jeunes recule ou en tout cas n’augmente plus. Que nous faut-il de plus ?

NF : Et concernant l’usage chez les adultes ?

JC : Il faut absolument valoriser de nouveaux modes de consommation. La combustion est la pire façon de consommer du cannabis. A mon époque, on roulait des joints, mais maintenant que je m’y suis remis, j’utilise un vaporisateur. Il faut absolument valoriser ce mode de consommation, tout comme l’ingestion, toujours savamment dosée. Un des problèmes majeurs de la prohibition, c’est cette circulation de produits frelatés et ces innombrables molécules de synthèse, mimant les effets et la structure de la molécule du THC, qui trop souvent surdosés saturent nos innombrables récepteurs cannabinoïdes endogènes et mettent les usagers au tapis. Cette situation se généralise de plus en plus dans notre pays et c’est une des raisons principales de ce coming-out. 

NF : Et pourtant vous avez longtemps lutté contre les effets néfastes du cannabis ?

JC : J’ai exagéré sur tout, voire menti ! C’est fini, je déballe tout : les données sur les multiples méfaits du cannabis que j’ai partagé étaient souvent fausses. Par exemple, la vulnérabilité accrue aux toxicomanies pour les bébés de parents usagers, la baisse du QI, ou encore la schizophrénie. Bref, j’ai souvent joué sur beaucoup de tableaux, mélangé beaucoup de sujets, alors que je savais obstinément que les dangers tenait plus aux pratiques de consommation qu’aux produits en eux-mêmes. Voire juste dans la nécessité de faire plus d’éducation sur le sujet : ce que ne permet pas l’interdiction actuelle.

NF : Vous avez souvent parlé en mal des défenseurs de la légalisation ?

JC : C’est vrai, j’ai souvent utilisé des termes peu flatteurs : “idéologues déconstructeurs”, “idiots utiles”, “individus affamés de profits”. Mais la réalité, c’est que dans l’ombre, je les ai toujours soutenu. J’ai été parmi les premiers à adhérer à l’association NORML France, de bons gars, j’ai aussi participé a de nombreux Appels du 18 joints avec le CIRC. J’ai bon espoir de trouver une animation pour la marche mondiale du cannabis cette année mais le COVID risque une nouvelle fois de troubler la fête. Pour tout vous dire, cela faisait plusieurs mois que je me posais des questions, il est vrai qu’à la fin de mes dernières apparitions télévisés, je n’y croyais plus. A mon dernier passage, j’ai même soumis quelques notes à Jean-Baptiste Moreau, député LREM de la Creuse, qui veut dynamiser son département. Sur la chaîne LCP, où nous étions opposés, je lui avais donné tous les éléments pour me contredire et faire passer mes idées comme passéiste. On en rit encore (rires).

NF : En parlant de politique, que pensez-vous de la Mission d’information sur les usages du cannabis ?

JC : Pourquoi pas. Mais les prémisses inquiètent lorsque l’on voit les gesticulations du ministre de l’intérieur sur la question des trafics. J’ai peur que les recommandations et tout le travail fourni par les personnes auditionnées ne passent aux oubliettes. Le courage avec lequel les députés se saisissent de ces sujets est inédit et assez remarquable. Saluons-le. Le plus important c’est de ne pas oublier les usagers. Ce sont les premiers concernés par le régime actuel.

NF : Quels seraient selon vous les points à défendre dans le cas d’une régulation du cannabis?  

JC : Des piliers me paraissant essentiel à bonne régulation seraient sans aucun doute : l’autoproduction sans limitation, pas de limitations des taux de principes actifs dans les produits, valoriser l’économie sociale et solidaire avec par exemple le modèle des Cannabis Social Clubs. Il faut penser une légalisation qui prenne en compte les usagers et non pas qui réponde à des impératifs économiques dynamisés par les marchés étrangers. Bref, rien de nouveau, toutes ces idées sont défendues par NORML France. Vous pouvez retrouver très bientôt leur note très complète sur la question de l’usage récréatif, même si on ne parlera bientôt plus que d’un usage adulte de cannabis. Je vous la conseille. De mon côté, je vais prendre ma part au travail nécessaire pour y arriver. La page est tournée et il est temps de rattraper des années de mensonges.

Cette interview est comme vous l’avez sûrement déjà constaté, un contenu parodique. Le Professeur Costentin n’a évidemment pas changé d’avis et ne semble pas le vouloir non plus. Nous nous passerons de lui et de son avis pour demander de meilleures lois relatives au cannabis dans notre pays.

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