C’est avec beaucoup d’intérêt que nous avons suivi les plaidoiries des avocats experts de NORML France lors de l’examen des QPC 2021-967 et 2021-973 qui portent sur les dispositions des articles L 5132-7 du CSP et L 222-41 du code Pénal devant le Conseil Constitutionnel, le 1er février 2022, diffusée en direct sur le site du Conseil, visible en replay sur Dailymotion.
NORML France comptant parmi les 13 demandeurs, c’est avec un réel plaisir que nous avons pu suivre nos deux avocats experts, Maître Nicolas Hachet, qui se bat pour obtenir une dépénalisation constitutionnelle de l’usage de cannabis et Maître Xavier Pizarro, éminent défenseur du statut légal du CBD auprès de la CJUE avec son célèbre arrêt Kanavape.
Aussi, considérant que les plaidoiries pourraient intéresser certains lecteurs et sans attendre le compte rendu officiel – sera-t’il d’ailleurs disponible ? – nous proposons ici l’intégralité des débats retranscrits, avec des liens vers les principaux documents cités.
[Début de la retranscritption]
Mme la greffière retrace les étapes de la procédure
Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 26 novembre 2021, par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par Monsieur Nicolas F. portant sur la conformité aux droits et aux libertés que la Constitution garantit, des dispositions des articles L 5132 du Code de la santé publique et 222-41 du Code Pénal.
Il a également été saisi le 9 décembre 2021 par une décision du Conseil d’État d’une QPC posée par Monsieur Anthony D. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l’article L 5132 – 7 du code de la santé publique.
Ces questions relatives à la définition des substances constituant des stupéfiants pour les infractions de trafic de stupéfiants ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel respectivement sous le numéro 2021-967 et 2021-973 QPC. Dans le dossier de 2021-967 QPC, Maître Nicolas Hachet a produit des observations dans l’intérêt de Monsieur Nicolas F., partie requérante, les 15 et 30 décembre 2021.
Le Premier ministre a produit des observations le 15 décembre 2021.
La SCP Rocheteau et Uzan-Sarano a demandé à intervenir dans l’intérêt du syndicat professionnel du chanvre (SPC) et a produit des observations à cette fin le 15 décembre 2021.
Maître Xavier Pizarro et Monsieur Yann Bisiou on demandé à intervenir dans l’intérêt de l’Union des Professionnels du CBD (UPCBD) et cinq autres parties et ont produit des observations à cette fin les 15 et 30 décembre 2021.
Dans le dossier 2021-973 QPC, Maître Nicolas Hachet a produit des observations dans l’intérêt de Monsieur Anthony D partie requérante et de l’association Groupe de Recherches et d’Etudes Cliniques sur les Cannabinoïdes partie à l’instance, les 29 décembre 2021 et 13 janvier 2022.
Le Premier ministre a produit des observations le 29 décembre 2021.
La SCP Rocheteau & Uzan-Sarano nous a demandé à intervenir dans l’intérêt du Syndicat Professionnel du Chanvre et après du des observations à cette fin de 24 décembre de 2021.
Maître Xavier Pizarro et Monsieur Yann Bisiou, dans l’intérêt de l’Union des professionnels du CBD et 5 autres partis, et Maître Nicolas Hachet dans l’intérêt de l’association AutoSupport et réduction des risques parmi les usagers et ex usagers des drogues et 13 autres partis ont demandé à intervenir et ont produit des observations à cette fin de 29 décembre 2021.
Seront entendus aujourd’hui l’avocat des parties requérantes et de certaines parties intervenantes, l’avocat des autres parties intervenantes et le représentant du Premier ministre.
M. A Juppé :
Merci Madame. Maître Nicolas Hachet, vous êtes avocat au barreau de Bordeaux et vous représentez Messieurs Nicolas F. et Anthony D., parties requérantes, ainsi que l’association Groupe de Recherches et d’Etudes Cliniques sur les Cannabinoïdes partie à l’instance et l’association AutoSupport et réduction des risques parmi les usagers de drogue ainsi que treize autres parties intervenantes .
Vous pouvez enlever votre masque pendant votre plaidoirie. ;o)
Plaidoirie de Maître Nicolas Hachet :
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,
Par sa décision du 7 janvier 2022, votre Conseil a donné une définition du terme stupéfiant : “substance psychotrope qui se caractérise par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé”.
Les questions qui seront posées aujourd’hui seront donc appréhendées à l’aune de cette décision qui a pour mérite de mettre un terme à une jurisprudence solidement établie bien qu’inopérante et injuste.
Inopérante au vu des nombreuses incohérences entre les classifications nationales et internationales des stupéfiants, injuste parce que la solution ne permettait de comparer entre elles que les substances médicinales soumises à contrôle international, c’est-à-dire les stupéfiants.
Elle interdisait donc une comparaison avec d’autres substances psychotropes, telles l’alcool ou les produits ménagers détournés – je pense au solvant ou au protoxyde d’azote – qui, bien qu’entrant dans la définition des stupéfiants, n’ont jamais été évaluées au plan international, faute de ne jamais avoir présenté le moindre intérêt thérapeutique.
Injuste aussi parce que les conventions onusiennes afférentes souffrent toutes d’absence d’instance juridictionnelle permettant de contester le classement. L’accès au juge doit donc être salué. Les syndicats professionnels du CBD ont ouvert la voie devant le juge des référés.
Le statut pénal du cannabis thérapeutique – et donc du cannabis thérapeutique falsifié – est soumis à l’appréciation du Conseil d’État, dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à la présente QPC et l’évaluation de bien d’autres substances est à prévoir.
Ce n’est donc pas, a priori, devant votre Conseil que se plaidera, produit classé par produit classé, la distribution effective des critères que vous avez dégagés.
Cette situation me convient, je ne défends ici aucun produit classé en particulier, je ne défends que des justiciables, tous soumis à la même répression pénale spéciale, qu’il convient d’évaluer au regard des critères constitutionnels applicables en la matière :
- légalité criminelle,
- nécessité et proportionnalité des peines,
- égalité devant la loi pénale,
- atteinte manifestement excessive à la liberté individuelle
Et ce, bien sûr, sous l’aune de votre décision du 7 janvier dernier.
En ce sens, si les question renvoyées ne visent formellement que les dispositions des articles L 5132-7 du Code de la Santé Publique et 222-41 du Code Pénal, c’est bien l’ensemble des infractions à la législation des stupéfiants, telles qu’issues de la loi du 31 décembre 1970 – et donc à l’exclusion des délits routiers – qui vous sont déférées en tant que régime répressif spécial. La spécificité de ce régime tient, bien avant les notions d’usage, détention, , offre, acquisition, cession, dans la notion de “stupéfiant”.
Cette notion détermine le régime répressif applicable au plantes, substances et préparations ainsi classées, en les distinguant au terme de l’article 5132-7 des plantes, substances et préparation définies à travers la notion de “psychotrope” ou à travers le concept d’inscription sur les listes I et les listes II, visées au 4 de l’article 5132-1.
Aussi, au vu des conclusions du Gouvernement, permettez-moi de préciser le sens de ma question en la reformulant oralement, sans en dénaturer ni les mémoires distincts, ni les décisions de renvoi qui, faut-il le rappeler, ont été rendues avant le 7 janvier.
Aussi, Madame la Greffière, vous voudrez bien noter la question suivante :
“Les dispositions des article 5132-7 du code de la santé publique et 222-41 du code pénal, qui définissent l’élément matériel les infractions à la législation des stupéfiants, ensemble avec les dispositions des articles L 3421 – 1 du code de la santé publique et 222-34 à 222-39 du code pénal qui fixent les peines en distinguant les comportements incriminés en relation avec la législation des stupéfiants, sont-elles conformes avec les droits et libertés que la Constitution garantit ?”
C’est bien cette question qui vous a été renvoyée par le Conseil d’État dont la décision porte sans aucune ambiguïté, je cite, sur “la définition du champ d’application du délit d’usage illicite de stupéfiants et les infractions relatives au trafic de stupéfiants”.
Il est vrai que la chambre criminelle, pour sa part, a limité le sens de sa décision au statut du cannabis et à la question qui lui était substantiellement posée, articulée autour du CBD.
On remarquera toutefois que la Chambre Criminelle a décidé de renvoyer la question sur le fondement de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et non sur le fondement de l’article 34 de la Constitution, comprenant sûrement que la répression du cannabis et du cannabis CBD par le régime répressif des stupéfiants est potentiellement disproportionnée, c’est bien la question de l’évaluation du régime des peines qui vous a été renvoyée.
Aussi, j’invite votre Conseil, qui n’a jamais examiné le régime répressif des stupéfiants, mais qui vient d’en définir la notion, de s’emparer de la totalité de la question. Cette invitation est d’autant plus pressante que la situation paraît préoccupante.
En effet, dans un rapport du 28 juin 2021, la Mission parlementaire d’information commune sur la réglementation du cannabis conclut, après avoir entendu 226 personnes : “la France a mis en place une politique répressive pénale en échec, au détriment de la santé publique”.
Au détriment de la santé publique…
Face à ce constat, comment ne rien faire ?
Dans ses conclusions, Monsieur l’Avocat Général près la Cour de Cassation, prend acte de ce constat. Il rappelle toutefois que la Chambre Criminelle, dans un arrêt du 8 septembre 2021, a jugé irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été transmise spécifiquement sur l’incrimination et la répression du délit d’usage illicite de stupéfiants, au motif que les dispositions de l’article 342-1 du code de la santé publique alinéa 1 et alinéa 3, ont fait l’objet d’une déclaration de conformité par votre décision 779 DC, du 21 mars 2019.
On comprend dès lors que l’enregistrement du rapport à la Présidence de l’Assemblée nationale ne pouvait, du point de vue de la Chambre Criminelle, que difficilement être admise au titre d’un fait juridique nouveau de nature à justifier d’un changement des circonstances. Et Monsieur l’Avocat Général de conclure “C n’est pas parce qu’une politique répressive a eu résultats mitigés que l’usage des stupéfiants deviendrait parce que là même bon pour la santé”.
Nous n’avons jamais, jamais, soutenu que la consommation de produits stupéfiants serait bonne pour la santé.
La question n’est plus celle de la dangerosité des substances, dont l’évaluation incombe désormais, à dire d’expert, au juge de l’excès de pouvoir, la question est bien celle de l’efficacité, voire de la contre-productivité d’un régime répressif spécial, mais surtout de sa conformité aux droits et libertés que je viens de rappeler.
Car si votre conseil reconnaît un encadrement suffisant de la notion de stupéfiant pour confier au pouvoir réglementaire le soin de classer les substances vénéneuses sans porter atteinte à la liberté d’entreprendre, les critères retenus deviennent insuffisants pour asseoir une délégation de compétences au pouvoir réglementaire en matière criminelle.
En effet, en présence de substances entrant incontestablement dans la définition du terme stupéfiant – l’alcool, les médicaments classés, les produits ménagers détournés – sans pour autant être soumis au régime répressif qui leur est en droit réservé, la loi manque de critères clairs d’exclusion.
Alors, immédiatement, se pose la question du traitement pénal différencié et de la possible rupture d’égalité entre d’une part, les personnes souffrant de dépendance à l’alcool au protoxyde d’azote aux médicaments opioïdes ou benzodiazépines et, d’autre part, les personnes souffrant de dépendance au produits stupéfiants ou pire encore, aux médicaments autorisés en médecine humaine mais soumis à la législation répressive des stupéfiants, c’est-à-dire essentiellement les médicaments à base de morphine, laquelle est classée au tableau IV de la Convention internationale de 1961 et le cannabis thérapeutique qui pourtant, lui, est classé au tableau I.
La question de la nécessité et de la proportionnalité des peines se pose également lorsque, en dehors du régime répressif questionné, existe dans le Code de la Santé Publique un régime répressif moins sévère ayant vocation de répondre au mêmes risque sanitaire et sociale, à savoir la lutte contre les risques de dépendance aux substances psychotropes ayant, en cas d’abus, des effets nocifs pour la santé.
Enfin, on ne pourra pas éternellement éviter la question de l’adaptation de la répression au but qui lui a été assigné par le législateur, à savoir la lutte contre la toxicomanie et ce, notamment, depuis que le régime répressif spécial des stupéfiants puni un fait de maladie d’une peine d’amende forfaitaire délictuelle.
Fort de l’arrêt d’irrecevabilité du 8 septembre 2021, cette question comme celle de la prévisibilité des peines ou encore du traitement pénal différencié défavorable aux mineurs pourrait être soumise à l’appréciation de la Cour européenne des droits de l’homme, sauf bien sûr à ce que d’ici là le délit d’usage illicite de stupéfiants, ensemble avec le crime d’auto-production, ne soit constitutionnellement aboli ou que le délit d’usage disparaisse au gré du choix d’un régime répressif plus adapté ou encore que la loi du 23 mars 2019 ne soit interprétée, ironie du sort, comme n’ayant dépénalisé l’usage de stupéfiants que pour les seuls mineurs.
En conclusion, faute de ne pouvoir solliciter le classement de l’alcool et de certains médicaments dans la liste des produits stupéfiants, en raison du défaut d’intérêt à agir de mes clients – tant sur le plan juridique que sur le plan moral – la solution appartient bien du point de vue du droit de ceux-ci, au seul Conseil Constitutionnel.
En conséquence, je sollicite dans leur intérêt, la soumission de l’ensemble des produits stupéfiants au régime répressif issu du Code de la Santé Publique, lequel présente l’avantage de ne pas connaître de délit d’usage.
Une solution plus conciliante permet de soumettre à ce régime uniquement les substances vénéneuses autorisées en médecine humaine, peu important qu’elles soient stupéfiantes, psychotropes ou classées sur les listes I et II, du moment qu’il existe une circulation licite de celles-ci, hors recherche scientifique et médicale.
Dans le même sens, on retiendra que l’exception accordée aux produits ménagers détournés tient dans leur utilité première, extérieure à leur effet psychotrope. Il est en effet difficilement concevable, sans porter atteinte au droit de la personne, de contrôler l’usage effectif des produits licites quand bien même l’usage détourné de ceux-ci serait psychotrope, addictif et nocif pour la santé. Et puisque l’alcool, produit psychotrope par excellence, présentant une toxicité importante et un risque de dépendance élevé, ne peut raisonnablement servir de référence au juge des substances, l’exception qui lui est accordée sera admise au titre de la coutume.
Alors, un jour peut-être, le législateur, voire le pouvoir réglementaire manifestement compétent en matière de fixation des taux de THC dans le cannabis autorisé, finira par reconnaître, en matière de cannabis, l’existence d’une pratique coutumière similaire, partagée par plus de 5 million de français qui, quel que soit leurs modes de consommation – thérapeutique récréatif problématique, maîtrisé, occasionnel, régulier – aspirent tous à exister dans le respect de la dignité et de la légalité.
Je vous remercie.
M A. Juppé :
Merci Maître. Permettez-moi de vous rappeler que nous sommes amenés à nous prononcer sur les questions prioritaires de constitutionnalité qui nous ont été transmises par la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat.
Maître Pizarro, vous êtes avocat au barreau de Marseille et vous représentez l’Union des Professionnels du CBD et cinq autres parties intervenantes et donc nous vous écoutons.
Plaidoirie de Maître Xavier Pizarro
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
Vous l’avez dit très récemment, “un stupéfiant désigne une substance psychotrope qui se caractérise par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé”.
Cette définition est en parfait accord avec l’unique finalité de la lutte contre les stupéfiants : la protection de la santé publique. Ce que l’on retrouve d’ailleurs, dès le préambule du texte de référence en la matière, qui est la Convention de 1961, qui stipule que “les parties, soucieuses de la santé physique et morale de l’humanité, reconnaissant que la toxicomanie est un fléau pour l’individu, sont conscientes du devoir qui leur incombe et doivent prévenir et combattre ce fléau”.
Et pourtant, entre ces deux audiences, sans attendre votre décision du 7 janvier, conformément à ce que nous craignons et à ce que nous vous avions annoncé, le Gouvernement a publié un nouvel arrêté interdisant l’usage, la détention et le commerce de fleurs de CBD qui, par incidence, devenait – ou redevenait – un cannabis “stupéfiant”.
Conformément à ce qui deviendrait votre considérant numéro 18, vous nous incitez à nous tourner vers le juge à qui il incombait de contrôler ce classement. Nous l’avons donc fait, avec une certaine réussite, qui pourrait légitimement vous permettre de vous dire que le garde-fou juridictionnel fonctionne puisqu’il a fini par nous donner raison.
Néanmoins, comment, comment un arrêté a pu ouvertement aller contre la jurisprudence de trois Cours suprêmes ?
Celle de la Cour de Cassation qui vient d’ailleurs de confirmer sa jurisprudence dans un récent arrêt du 19 janvier, celle de la CJUE et puis enfin celle qui allait devenir celle du Conseil d’État.
En définitive il ne manquait que vous…
Je me répète mais, comment un simple arrêté a pu placer 20.000 entrepreneurs et salariés des millions en français consommateurs de produits qui ne présentent aucun risque pour la santé sous l’empire la loi pénale, le 30 décembre à 20h ? Car en effet, ce ne sont pas les conditions du jeu du garde-fou juridictionnel que nous critiquions, mais le double péché originel qui le transforme en seul et unique niveau de contrôle.
Et c’est bien là le sens de la question qui vous était soumise.
Deux péchés donc.
Le premier qui est où était l’absence de définition matérielle et fonctionnelle de la notion de stupéfiants dans les codes mais aussi les renvois incessants et tautologiques auxquels procèdent le Code Pénal et le Code de la Santé Publique.
Cette problématique, nous ne l’aborderons pas puisque, même si le problème subsiste formellement, nous sommes désormais sagement éclairés par votre définition.
Le second en revanche, il reste entier puisqu’en effet le législateur n’a fixé aucun cadre procédural sérieux et aucun critère objectif à même de garantir qu’une substance sera classée comme stupéfiant par pouvoir réglementaire “uniquement” si elle crée un risque de dépendance et un risque pour la santé publique.
Et je vous prie de croire que le péché est coriace et qu’il souffre de plusieurs facettes et qui concernent, d’abord, l’autorité d’impulsion de ce classement.
Il y a un mois et demi, dans cette même pièce, on nous a dit, au sujet de l’autorité expertale, “garde-fou du système”, qu’elle était “une autorité administrative indépendante apportant les garanties nécessaires à un examen impartial du classement”.
Eh bien, convenons-en ensemble, la réalité est autre et l’exemple le plus récent qui nous est donné, c’est plutôt celui d’une autorité cantonnée à un travail de secrétariat administratif, assez absurde, qui a fini par proposer au Ministère – et je me réfère ici à sa proposition du 21 Décembre qui a débouché sur l’arrêté – la propre proposition du Ministère… C’est un document que je tiens à votre disposition.
En réalité sur une page, là où on s’attendait à avoir peut-être un discours technique et scientifique sur les raisons qui justifiaient que l’on propose un classement, on a une chronologie judiciaire administrative des différentes péripéties du statut du CBD en France.
Autre attribut de cette autorité, le rôle de son Comité Scientifique qui est censé lui donner son rôle “d’expert indiscutable”, garant d’un classement à la fois efficace, cohérent et impartial.
Ce rôle “prépondérant et majeur” est illustré par un compte-rendu de séance – que je tiens évidemment à votre disposition – dont je vous donne la teneur.
Un membre du comité scientifique s’étonne que le Phenibut – qui est un complément alimentaire qui a connu récemment un certain engouement sur internet – ait pu être classé comme stupéfiant… sans que l’avis du Comité Scientifique auquel appartient ce membre n’ait été consulté.
Je vous donne la teneur de la réponse de la Direction :
“L’avis du Comité est consultatif et n’est pas une obligation réglementaire pour un classement. Au vu des données disponibles, et compte tenu de l’enjeu assez modeste en termes de santé publique, l’ANSM à considéré qu’il n’était pas nécessaire de solliciter l’avis du Comité”.
La caution scientifique du système, c’est un avis optionnel et facultatif.
Quant au choix des membres de ce Comité, maintenant, et bien c’est simple : il est laissé à l’entière appréciation du directeur de l’autorité expertale.
J’illustre à nouveau mon propos. En 2020, le Comité a classé quatre dérivés du LSD comme stupéfiants… avant de s’apercevoir que les quatre substances n’en désignaient en fait qu’une seule !
Je tiens naturellement à nouveau ce document à votre disposition mais c’est une maladresse qui illustre le caractère “perfectible” de l’expertise scientifique, en matière de santé publique, de l’autorité.
En somme, c’est garanti quelque part. C’est : “Je consulte qui je veux, si je le veux et sans être tenu parce qu’il va dire…”.
Dernière facette, et vous en conviendrez, il ne peut pas y avoir de classement objectif et impartial sans méthodes, guides ou référentiels. Et à ce titre, l’ANSM prétend en la matière se conformer aux critères d’évaluation de l’OMS. Cela tombe à pic puisque justement l’OMS affirme, depuis 3 ou 4 ans maintenant, que le CBD ne crée ni dépendance physique ni risque pour la santé. Et pourtant cela n’a pas empêché l’autorité de solliciter son classement comme substance dangereuse.
S’agissant maintenant de l’évaluation du risque, pour la santé humaine, qui est le principe qui doit nous guider en matière de classements, là aussi, aucune échelle scientifique, aucune méthodologie.
Les propositions de “l’autorité expertale” se font, pour l’essentiel, sur des données des centres d’addictovigilance, données dont l’empirisme et les faiblesses méthodologiques ont souvent été dénoncées et démontrées.
Permettez-moi de prendre à nouveau une illustration récente.
Assez récemment, trois substances que j’espère prononcer correctement, l’éphénidine, la diphenidine et la methoxiphenidine ont été classées comme stupéfiants… sur la base de quelques posts sur les réseaux sociaux, sans études sur leur toxicité, sans études sur leur potentiel d’abus et de dépendance et sans qu’aucun décès ou complication médicale sérieuse n’ait été à dénombrer.
En réalité, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil, en appliquant de tels critères, on peut se demander quand est-ce que l’ANSM va proposer le classement de l’eau chaude, qui elle est de façon tout à fait sérieuse et documentée, responsable de 8 décès en France l’an dernier ?
Plus sérieusement, comme nous venons de le voir, nous sommes loin d’une autorité “impartiale, indépendante, infaillible, au service de la seule santé publique” et surtout qui est censée être le garde-fou expert de cette délégation du pouvoir réglementaire.
Alors, tout cela, nous en discutions dans un cadre feutré, à un haut niveau d’attraction, à l’aune de principes fondamentaux aussi essentiels que la légalité des délits et des peines, de la sécurité juridique des articles 8 et 16 de la DDHC et enfin de l’article 34 de la Constitution.
Mais le 1er janvier au matin, du fait d’une erreur d’appréciation dans un système qui les encourage, c’est 20.000 emplois qui étaient menacés, des dizaines de magasins qui faisaient l’objet de perquisitions dans le cadre le plus dérogatoire et le plus répressif d’Europe – j’ai été appelé cinq fois à titre personnel -, des millions de consommateurs français qui commettaient, sans le savoir, le délit d’usage de stupéfiant.
Et ce, malgré la protection judiciaire offerte par deux Cours Suprêmes…
Parce qu’en réalité, ce que permette en l’état les textes qui vous sont déférés, c’est du droit pénal sans débats, sans législateurs et sans véritables raisons qui tiendraient à la santé publique. Et ce problème, il est bien réel, il perdure déjà depuis quelques années.
Il n’y a qu’à se tourner vers les requérants à cette intervention, ils sont tous membres de l’UPCBD, les dirigeants de Natural CBD, par exemple, dont l’intégralité, pardon, de la trésorerie, 160 000 €, est bloquée depuis 8 mois par une confiscation pénale spéciale. Et même en cas de relaxe, en novembre 2022 puisque c’est la date d’audience qui m’a été communiquée, il est fort probable que leur société ne survivra pas à cette erreur d’appréciation.
Un autre, un dirigeant de société qui ne peut plus amener sa fille en voiture le matin car sa modeste Peugeot 3008, qui comme chacun le sait n’est pas un rutilant bolide utilisé par les trafiquants, est saisi à titre conservatoire puisqu’il serait le produit de l’infraction.
Monsieur H.A., la quarantaine, père de 2 enfants, honnête commerçant sans antécédents judiciaires qui a passé deux mois et demi au centre pénitentiaire d’Orléans, dans les suites d’une mise en examen un petit peu précipitée – dont j’ai sollicité l’annulation depuis octobre – et je vous prie de croire que nous invoquons à nouveau l’absurde puisque les termes de son contrôle judiciaire actuel lui interdisent de commercialiser ce que le Conseil d’État vient de nous dire, à titre suspensif, qu’il pouvait l’être.
Et tout cela, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, c’était en l’absence d’une interdiction formelle et textuelle que, par essence, nous ne pouvions pas contester devant le Conseil d’État, loin du garde-fou évoqué au considérant 18.
Un peu plus tôt dans la matinée, avant de venir ici, je lisais l’éminent Professeur de droit public qui disait à votre sujet que vous étiez “le dernier rempart de la démocratie, le seul vrai contre pouvoir à la légistique défaillante du gouvernement et du parlement”.
Je le cite ici, je dois dire que j’ai toujours eu foi dans mon Professeur.
Le 7 janvier, vous avez fait la moitié du chemin. L’UPCBD sollicite et espère respectueusement que vous vous montrerez à la hauteur de votre réputation.
Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil, je vous remercie.
M. A. Juppé :
Merci Maître. La SCP Rocheteau & Uzan-Serano nous a fait savoir qu’elle ne présenterait pas d’observation à l’audience pour le compte du Syndicat Professionnel du Chanvre. Je passe donc la parole à M. Pavageau pour le Premier ministre.
M. Pavageau, chargé de mission au Secrétariat Général du Gouvernement pour le Premier ministre
Merci Monsieur le Président.
M. le Président, Mesdames et t Messieurs les membres du Conseil,
Je serai un peu plus bref que les deux précédents intervenants.
Le trafic de stupéfiants est réprimé par les articles 222-34 et suivants du Code Pénal qui prohibent la production, la fabrication, l’importation, l’exportation, le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicite de stupéfiants. Et la notion de stupéfiant, au sens de ces dispositions, est définie à l’article 222-41 du Code Pénal qui précise que “constituent des stupéfiants les substances ou plantes classées comme stupéfiants en application de l’article L 5132-7 du Code de la Santé Publique”.
Et ce dernier article précise que les plantes substances ou préparations vénéneuses sont classées comme stupéfiants où psychotropes et inscrites sur les listes I et II, définies à l’article L 5132-6 par l’arrêté du Ministre chargé de la santé, pris sur proposition du Directeur Général de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé.
Alors, contrairement à ce que soutiennent l’auteur de la question et les parties intervenantes, il ne saurait être reproché aux dispositions législatives contestées de méconnaître le principe de l’égalité des délits et des peines, faute pour le législateur d’avoir fixé lui-même le champ d’application de la loi pénale. Vous jugez de manière constante, que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution ainsi que du principe de légalité des Délits et des Peines, qui résulte de l’article 8 de la déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et les délits, en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire. Et, en l’espèce, les dispositions contestées satisfont pleinement les exigences de votre jurisprudence.
Vous avez récemment jugé, cela a été rappelé, par votre décision numéro 2021 960 QPC du 7 janvier 2022 relative à la définition de la notion de stupéfiants dans le régime des substances vénéneuses, le mot stupéfiant, figurant à l’article L 5132-7 du Code de la Santé Publique, conforme à la Constitution et vous avez considéré dans votre décision, que la notion de stupéfiants désigne “des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé” et qu’en incluant ces substances parmi les substances nocives pour la santé humaine, le législateur n’a pas adopté des dispositions imprécises.
En outre, vous avez retenu qu’en renvoyant à l’autorité administrative le pouvoir de classer certaines substances dans cette catégorie, il n’a pas non plus conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi et qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de procéder à ce classement en fonction de l’évolution de l’état des connaissances scientifiques et médicales.
Le législateur a dès lors pu laisser le soin au pouvoir réglementaire de dresser la liste des substances stupéfiantes, s’agissant d’un domaine qui est par nature évolutif et pour lequel il convient d’adapter en permanence la liste à l’apparition de nouveaux produits. C’est ainsi que le cannabis de la résine de cannabis ont été classés comme stupéfiants par un arrêté du 22 février 1990, fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, pris en application de l’article ancien, L627 CSP qui n’a pas été modifié depuis sur ce point. Dès lors que l’article d’incrimination est suffisamment clair et précis, en ce qu’il prévoit que les infractions de trafic de stupéfiants peuvent porter sur le cannabis ou la résine de cannabis, l’auteur de la question ne peut utilement se prévaloir de ce que la Convention sur le trafic de stupéfiants de 1961 ne précise pas le taux de THC contenu dans la plante de chanvre à partir duquel elle entre dans la catégorie des stupéfiants. Et, de la même façon, le fait que le pouvoir réglementaire n’ait pas classé comme stupéfiants certaines substances – parmi lesquelles l’alcool – ne relève pas ici du contrôle que vous exercez.
Ainsi, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences qui découlent du principe de légalité des délits et des peines et, par ailleurs, il y a lieu de relever que les griefs tirés de la méconnaissance du principe de nécessité, de proportionnalité des peines et du principe d’égalité devant la loi pénale, portent sur des dispositions qui n’ont pas été transmises par le Conseil d’État. Et en l’espèce, il est reproché aux article 222-35, 222-36, 222-37 du Code Pénal et à l’article L 3421-1 du Code de la Santé Publique de prévoir pour le trafic de l’usage de médicaments à base de cannabis, des peines manifestement disproportionnées, faute pour le législateur d’avoir déterminé le régime répressif applicable à ces produits et légalement reproché aux dispositions des articles 222-34 du Code Pénal et L 5432-2 du Code de la Santé Publique, d’établir une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les personnes incriminées de trafic de médicaments à base de cannabis et d’autre part, les personnes incriminées de trafic de médicaments relevant des listes I et II de l’article L 5132 -1 du Code de la Santé Publique mais l’ensemble de ces griefs ne portent pas sur les dispositions contestées et ils excèdent ainsi le champs de la question posée.
Aucune exigence constitutionnelle n’ayant été méconnue, je vous invite à déclarer les dispositions des articles 222-41 et L 5132-7 du Code de la Santé Publique conformes à la Constitution.
A Juppé :
Merci Monsieur Pavageau.
Des questions ? Pas de questions ? Je vous remercie.
Cette Question Prioritaire de Constitutionnalité est mise en délibéré et votre décision sera rendue publique le 11 février à 10h.
[Fin de la retranscritption]