Dans ce deuxième épisode de votre série “CBD made in Colorado”, nous allons découvrir comment l’industrie pharmaceutique abat ses cartes, cherche à installer un monopole sur le cannabis aux États-Unis, et pourrait bien faire de même en France…

L’éthique dans la santé

Nous rencontrons un professionnel de la santé, le Dr. Robert Sievers, qui va nous dévoiler que GW Pharmaceuticals, le nouveau géant pharmaceutique anglais des cannabinoïdes, bloque les recherches sur le cannabis aux États-Unis. NORML France, dont un des objectifs est de promouvoir la recherche scientifique, vous apporte le témoignage de cet homme de science qui a beaucoup d’influence au Colorado, professeur de chimie, cultivateur de chanvre lui même et chercheur passionné par le Cannabidiol (CBD).

Dr. Robert Sievers nous montre son vaccin dans un laboratoire de l’Université du Colorado

Le docteur Robert Sievers est un scientifique reconnu de ses pairs. Il a remporté la compétition de Bill Gates “Grand Challenges” et a reçu une subvention de 20 millions de dollars par la Bill & Melinda Gates Foundation afin de diriger un groupe international de 35 scientifiques, ingénieurs, médecins et étudiants, pour proposer une solution face à un problème de santé publique important : les pertes considérables de vaccins dues à l’expiration et aux conditions souvent difficiles à réunir pour les conserver. Habituellement, 60% des vaccins finissent inutilisés, ce qui entraîne gaspillage et surcoût non négligeable. Le docteur Sievers a remporté ce défi en créant un vaccin contre la rougeole sous la forme d’une poudre sèche qui s’inhale. Le nombre de décès dû à la rougeole en 2013 est de 145.700 dont la plupart sont des enfants au Congo et au Nigeria. Le mode d’administration aérosol innovant du Dr. Robert Sievers permet l’économie de l’infrastructure que demande la disposition des seringues et des systèmes de conservation au frais. Il facilite ainsi énormément l’accès des vaccins à n’importe quel village isolé sans électricité ni eau courante au milieu du tiers-monde. Les tests ont prouvé l’efficacité du vaccin dont le brevet sera bientôt officiel.

Une étude commandée par la « Bill & Melinda Gates Foundation » a calculé une économie de 700 millions de dollars grâce au mode d’administration du Dr. Sievers. 

Seulement, ces chiffres ne semblent pas réjouir les grands groupes pharmaceutiques qui jusqu’à présent ne se précipitent pas vers cette innovation et répondent : « On ne peut pas prendre le risque d’investir dans ce vaccin », peu coûteux à produire, qui se conserve beaucoup mieux et qui génère donc tellement moins de profits.

Nous pouvons nous questionner sur l’éthique des grands fabricants de médicaments dont le rôle devrait être de faciliter le développement et l’accès aux médicaments.
En France, la situation du Sativex pourrait sembler similaire. Ce médicament à base de cannabis fabriqué par GW Pharmaceuticals a reçu son autorisation de mise sur le marché (AMM) française auprès de l’ANSM depuis 2014 et les patients ne peuvent toujours pas se procurer.  C’est ici du coté de l’éthique de l’équipe gouvernementale de Manuel Valls qu’il faut chercher. En effet, ce sont les autorités administratives qui ont fait blocage, en l’occurrence la commission de transparence de la Haute Autorité de Santé qui nie les bénéfices du Sativex dans la sclérose en plaques en s’appuyant sur 3 études peu puissantes et peu robustes alors que les meta-analyses sérieuses concluent à son efficacité. La petite histoire rapporte qu’une personne éminente à la commission était proche du prohibitionniste Jean Costentin de l’académie de médecine… Pour résumer selon les mots du Dr. Nicolas Authier, Président de la Commission des Stupéfiants et Psychotropes de l’ANSM, « ce médicament n’est toujours pas commercialisé en France faute d’accord sur le prix avec le laboratoire pharmaceutique« , et nous rajouterons : Pendant que les Français qui en ont besoin sont abandonnés à leur sort.

Discriminée : Université du Colorado

Comme nous l’avons développé plus en détail dans le premier épisode, au niveau fédéral aux États-Unis toute forme de la plante Cannabis sativa L. est sur la liste des “stupéfiants de catégorie 1”, ceux classés comme les plus dangereux, et sans aucun intérêt médical.

De ce fait, ne peuvent légalement cultiver le chanvre industriel que les établissements d’enseignement supérieur et les ministères de l’agriculture des différents États, à des fins de recherches.

Pour entrer dans le cœur du sujet, NORML France s’est rendu sur place, dans le plus grand établissement d’enseignement supérieur de l’état du Colorado, l’Université du ColoradoComme en France, l’université est un lieu de recherche important aux États-Unis. En 2010, l’Université du Colorado a reçu plus de 450 millions de dollars de subvention afin de fonder tout un panel de programmes allant du développement de traitements contre les maladies infectieuses, jusqu’aux études des différentes atmosphères de l’univers.

Dr Robert Sievers : C’est tragique que le cannabis soit une drogue de catégorie 1. Nous ne reconnaissons pas en tant que médicament des produits qui le sont réellement et sommes alors réduits à fabriquer des compléments alimentaires avec les cannabinoïdes. En tant que scientifique je me sens discriminé car il nous est interdit de faire les médicaments traditionnels en menant des essais cliniques standardisés et de vérifier qu’il n’y a pas d’effets secondaires inacceptables”.

Guidé par le docteur Robert Sievers, aussi ancien président du conseil d’administration de l’Université du Colorado, nous allons visiter ce campus dédié aux recherches et découvrir petit à petit comment GW Pharmaceuticals a la main mise sur les études-cliniques touchant au cannabis aux États-Unis.

Monopole : Université du Mississippi

Une seule université est autorisée à faire des recherches sur les cannabinoïdes à partir de cannabis (plus de 0.3% THC) dans tous les États-Unis, c’est l’Université du Mississippi, dont le directeur des recherches, le célèbre Dr. Mamoud Elsolhly, a identifié à ce jour plus de 120 cannabinoides. Sur place, ce sont 5 hectares cultivés pour 30.000 plantes de cannabis avec une récolte annuelle de 500 kg en extérieur et 10 kg en intérieur dont le Dr. Sievers a déjà visité les laboratoires.

Jardin intérieur de l’Université du Mississippi

Dr Robert Sievers : Nous avons fait notre demande auprès de la DEA pour pouvoir faire des essais-cliniques sur le cannabis à l’Université du Colorado. Ils nous ont répondu qu’il nous fallait investir dans une infrastructure qui se compte en millions de dollars, construire une forteresse et ce, sans aucune garantie. Ils souhaitent que l’université du Mississippi, avec laquelle ils sont soupçonnés de collusion, continue de conserver l’unique licence. L’Université du Mississippi croit faire du bon boulot et pourtant ils utilisent des plantes qui ressemblent à ce qu’il poussait il y a 20 ans. J’ai pu me rendre à l’intérieur de leur forteresse, les fleurs sont marron foncé, leur cannabis ne ressemble pas du tout à la multitude de choix que l’on trouve actuellement dans un dispensaire ici au Colorado. C’est très différent génétiquement, ils sont complètement dépassés”.

Depuis 2016, 25 universités américaines ont fait leurs demandes auprès de la DEA afin d’être à leurs tour autorisées à étudier les cannabinoïdes. Elles se sont toutes vues refuser ce privilège sur les recherches, renouvelé chaque année depuis 50 ans à l’Université du Mississippi. Toutes les autres universités des USA sont limitées à des recherches sur la fibre et les graines de chanvre industriel, afin d’en déterminer leurs intérêts commerciaux pour les exploitants agricoles américains. Le Dr. Robert Sievers milite en organisant des conférences qui réunissent des collègues scientifiques et trouve tout de même les moyens de faire avancer les études sur les cannabinoïdes, à partir du chanvre (jusqu’à 0.3% THC), au centre de recherches sur le cannabis à l’Université du Colorado (CU REACH). Ils ont déjà reçu 15 millions de dollars du Ministère fédéral de la Santé pour étudier la chimie de la plante, ses molécules et la réduction des risques. 12 millions de plus devrait bientôt se débloquer.

Les recherches se débloqueraient aux USA comme en France

Le 13 septembre 2018, le congrès américain a voté en faveur d’une loi visant à faciliter les études cliniques sur le cannabis. La DEA pourrait bientôt permettre les recherches sur le cannabis dans deux universités supplémentaires.
Une autre avancée significative vient aussi de se produire avec l’Université de San Diego, en Californie, qui a reçu une autorisation de la DEA pour se procurer du cannabis provenant du géant canadien “Tilray” pour faire des recherches sur la maladie du tremblement essentiel à partir de 2019. Une belle ironie de la prohibition aux États-Unis, alors que la Californie est la plus importante productrice de cannabis de tous les USA elle doit s’approvisionner au Canada… aussi pour ne pas avoir à faire ses recherches à partir des produits de l’Université du Mississippi, qui auraient été jusque là l’unique option.

En France les recherches sur le chanvre avec du THC ont toujours été possibles sur le plan légal mais sont extrêmement contraignantes et laborieuses, que cela soit sur le plan des autorisations administratives, sur le plan du financement, de l’accès au cannabis ou encore de sa délivrance dans le cadre d’un protocole de recherche. Actuellement, d’un coté, le secteur privé mène des études concernent les enjeux économiques, technologiques et de durabilité concernant la graine et les tiges du chanvre sans THC, de l’autre les études réalisés par les organismes de recherche public sur le chanvre avec THC ne sont  facilités que si l’objectif est de démontrer les dommages induits par l’usage de fleurs en combustion. Tout se passe comme si ce produit était très dommageable et sans aucun intérêt médical…

Un peu de lumière, nous sortons peut être de l’impasse : le 10 septembre 2018, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé la nomination d’un comité de scientifiques choisis par le Dr. Nicolas Authier pour évaluer de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France. Le 12 novembre 2018, NORML France sera auditionné par ce comité.

GW Pharmaceuticals tire les ficelles

L’Epidiolex a obtenu une autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis lundi 25 juin 2018.

En plus de son monopole sur les recherches scientifiques avec du cannabis, l’Université du Mississippi est aussi la seule à pouvoir distribuer de l’Epidiolex aux autres universités et écoles de médecine qui seraient intéressés pour faire à leur tour des études cliniques sur un produit contenant des cannabinoïdes. L’Epidiolex est le premier médicament à base de cannabis approuvé aux États-Unis et contient 1000mg de cannabidiol (CBD) pour 10 ml d’huile de graines de sésame. Tout comme le Sativex, il est fabriqué par GW Pharmaceuticals.

Dr Robert Sievers : Une amie de l’Université du Colorado a commencé des recherches sur la maladie de Parkinson en traitant des patients à l’Epidiolex. GW Pharma a souhaité la stopper et l’Université du Mississippi, de mèche, a tout de suite rappelé les produits et arrêté de la fournir en Epidiolex. GW pharma tire à son avantage les lois prohibitionnistes des États-Unis pour avoir un contrôle sur les recherches. Ils permettent les études cliniques qui les intéressent et bloquent les autres. Il est donc impossible de concurrencer GW Pharmaceuticals.

Auprès de ses actionnaires, GW Pharmaceuticals défini l’Epidiolex comme étant son ”produit phare”, dont le potentiel économique est bien plus important que celui du Sativex.

Il y a beaucoup d’argent finalement dans les maladies orphelines

Il y aurait environ 8000 maladies rares identifiées dans le monde, des maladies qui trouvent rarement des solutions auprès des fabricants, dû au risque créé par le coût des recherches comparé au profit que pourrait rapporter le traitement. Pour “récompenser” le développement de traitements sur de telles maladies, des lois américaines et européennes, les “lois sur les maladies orphelines”, offrent des monopoles aux fabricants qui s’engagent à produire des médicaments pour de telles maladies, en plus d’une baisse d’impôts pouvant aller jusqu’à 50% et facilitent aussi l’obtention de leurs autorisations de mise sur le marché. GW Pharmaceuticals a obtenu la désignation de “maladie orphelines”, par la FDA aux États-Unis et par la AEM en Europe, sur les maladies du syndrome de Dravet et du syndrome de Lennox-Gastaut avec l’Epidiolex, ainsi que pour le syndrome de West et la Sclérose tubéreuse de Bourneville. GW Pharmaceuticals a su profiter de façon intelligente des lois sur les maladies rares et continue d’ajouter à son programme d’autres maladies orphelines afin d’étendre son marché.

Dr Robert Sievers : Il faut faire très attention aux monopoles en médecine, ils permettent d’imposer des prix abusifs. Des gens viennent de tous les États-Unis et même de partout sur le globe pour s’installer au Colorado, afin d’avoir accès à nos produits à base de CBD. Depuis de nombreuses années, nos cultivateurs soignent des patients témoignant de résultats encourageants. Le témoignage est quelque chose de subjectif, seulement, quand tu as mal tous les jours, tu sais de quoi tu parles quand il s’agit de douleurs. Ils viennent chercher des soulagements et trouvent des réponses pour des prix raisonnables. L’Epidiolex, en soi, n’a rien de différent des huiles CBD des cultivateurs du Colorado, à part que celui que l’on reçoit de l’Université du Mississippi est orange et que les extraits que l’on fait nous-mêmes sont bien plus purs”.

Aux États-Unis, l’Epidiolex a obtenu son autorisation de mise sur le marché en juin 2018 auprès de la FDA et le coût exorbitant du traitement pour une famille avec un enfant épileptique revient à 32.500$ par an.

GW Pharmaceuticals se prépare pour l’Europe

GW Pharmaceuticals est coté au Nasdaq. C’est “le Big Pharma du cannabis” qui se prépare à s’imposer en Europe avec l’Epidiolex car bien que le marché soit faible, il reste rentable au vu des politiques d’aide à la recherche sur les maladies orphelines. Pour ses demandes d’autorisations de mise sur les marchés auprès des pays européens, GW Pharmaceuticals a directement engagé une procédure centralisée auprès de l’Agence Européenne des Médicaments (AEM) et devrait recevoir son autorisation européenne début 2019. La France devrait également recevoir une demande d’AMM, auquel cas, il faudra encore que les autorités précisent les modalités de son accès et de son remboursement.

Agence Européenne des Médicaments (AEM)

Les lobbys sont très puissants au niveau Européen ainsi un rapport pour mieux gérer les conflits d’intérêt a été publié par la Cour des Comptes Européenne. Le 7 décembre 2012, deux mois après la publication du rapport, le journal “Canard enchaîné” dénonçait tout de même la corruption de l’AEM avec les autorisations de mise sur le marché européen dans un article intitulé « Le gendarme européen du médicament testé corrupto-positif ». Parmi les autres agences concernées par le rapport se trouve l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA), qui joue aussi un rôle clé dans la  récente prohibition sur les produits CBD en Espagne. Le mot court chez nos amis espagnols de l’autre côté des Pyrénées que GW Pharmaceuticals, bientôt prêt pour l’Europe, aurait un rôle dans cette répression. Rien ne semblerait moins étonnant quand l’on connaît l’habileté dont le géant pharmaceutique joue déjà des lois aux États-Unis.

Les Pyrénées

Dr Robert Sievers est sculpteur. A gauche, il nous montre du marbre qu’il a fait importer des Pyrénées françaises.

Parfois on se demande si nos politiciens et nos agences gouvernementales dirigent vraiment notre pays, ou si ce sont juste Bruxelles et les élites financières. À d’autres occasions bien plus rares, on peut voir qu’en fait la France est tout de même capable de s’opposer à l’Europe, comme elle le fait aujourd’hui en nous interdisant la vente de la fleur de chanvre. Néanmoins, une résistance s’organise. Nous sommes NORML, nous sommes la voie des citoyens et la MILDECA comme l’ANSM nous reconnaissent assez pour nous offrir des temps de parole dans leurs locaux. D’autres initiatives naissent tous les jours comme celle impulsée par Maître Ingrid Metton, l’avocate à qui l’on doit la victoire de Kanavape, regroupant les acteurs économiques du marché du chanvre Français, sous le nom de Collectif 420, pour accompagner les représentants légaux auprès des instances avec des actions de financement et ce jusque devant les tribunaux Européens.
Partout sur la planète, les mentalités semblent évoluer vers la compréhension des avantages considérables d’une régulation totale de la filière. Seulement, les géants pharmaceutiques ne sont pas du style à partager et, très intéressés par l’or vert, trouvent eux beaucoup d’intérêts dans la prohibition.

Sommes-nous vraiment sortis de l’impasse ? Alors que nous gravissons une montagne, tout ce que nous voyons à l’horizon c’est d’autres montagnes. Cependant, nous sommes de plus en plus nombreux sur ce chemin, au Colorado comme en France, et c’est aussi ce qui fait notre force alors continuons notre route et continuons à nous unir.

 

A suivre… CBD made in Colorado : La Politique