L’autoproduction de cannabis se définit comme la possibilité donnée à un citoyen de pouvoir produire, pour son usage personnel et dans un cadre limité en nombre de plants. Comme l’indique le Collectif d’Information et de Recherche Cannabique (CIRC), elle impose “des prix bas au marché” et permet, dans un cadre général de régulation, “une production qualitative de produits”. Pour un usage social (ou récréatif), il est normal que les citoyens aient le droit de planter dans leurs maisons ou dans leurs appartements avec une quantité de plants par personne ou par foyer fixés par décret. En revanche, s’agissant des malades, d’autres questions sont aujourd’hui posées.
Distinguer l’autoproduction médicale de l’autoproduction bien-être
Avoir mal à la tête ou avoir un cancer ne place pas le citoyen sur la même échelle au regard de la nécessité d’autoriser un traitement par cannabinoïdes par un médecin. La frontière entre l’usage social et l’usage médical est forte. Pourtant, il semble que la majorité des autoproducteurs se trouvent dans une zone grise. Ils ne sont pas que des usagers sociaux du cannabis, ont un usage que l’on qualifierait de “bien-être”, c’est-à-dire qu’ils produisent pour pouvoir consommer un bon produit qui va les aider par exemple à mieux dormir.
Le sujet de l’auto-culture pour les malades pose la question inextricable de ce qu’est un “malade” et forcément de ce qui les distingue des usages sociaux ou bien-être. Cette majorité des autoproducteurs répondant à “des situations non pathologique mais suffisamment inconfortables pour chercher un mieux-être en soulageant des symptômes légers, par exemple de tensions psychiques ou physiques” (Authier, The Conversation, 2018 ndlr). Si la distinction est nécessaire de manière générale, nous pensons qu’elle ne devrait se poser ici. Pour NORML France, la question de l’autoproduction ne se pose pas, elle devrait être autorisée pour l’ensemble des citoyens pour un usage social ou bien-être.
L’autoproduction médicale existe pour pallier les manques de l’Etat
Pourquoi semble-t-il nécessaire que certains patients produisent spécifiquement leur cannabis ? Pour pallier les manques de l’Etat. Or, s’agissant spécifiquement de l’obligation politique qui incombe à l’institution publique de fournir la meilleure protection médicale et sanitaire, nous ne pouvons imaginer que l’Etat laisserait aux citoyens le loisir de produire leur propre traitement parce qu’un tel système serait donc fondé sur le principe que l’Etat ne peut pas répondre à la demande en terme d’usage du cannabis médical.
En Allemagne, les patients peuvent théoriquement se procurer sur ordonnance de l’extrait de cannabis et des fleurs séchés en pharmacie, même si l’accès reste difficile dans les faits. Ils peuvent également acheter des dérivés synthétiques à l’étranger. Si la culture du cannabis reste interdite, certains patients avaient reçu auparavant une autorisation ponctuelle des autorités.
Un système répondant aux besoins des patients par une entreprise publique est une possibilité
L’enjeu de ce qui se dispute aujourd’hui en France est de penser un modèle gaulois de production, de transformation et de distribution du cannabis médical. Il n’existe pas un modèle incontournable mais des inspirations possibles. Pour le cannabis médical, la règle initiale qu’il faut fixer à ce système en construction est qu’elle réponde aux besoins des patients.
Quels sont-ils ? D’avoir accès à un produit gratuit ou peu onéreux qui corresponde aux pathologies avec une posologie réfléchie et discutée avec le médecin.
Rendre un produit disponible n’est pas suffisant, il faut que celui-ci soit efficace et qu’il y ait une adhésion du citoyen à son traitement. Le cannabis offre la possibilité de se décliner en pléthores de variétés avec des taux de cannabinoïdes nombreux et fluctuants. Le modèle hollandais qui fonctionne avec une entreprise publique – Bedrocan produisant le cannabis connaît des limites : Celles-ci ne sont pas (ou peu) remboursées et les variétés sont limitées (six, à l’heure actuelle). Réitérer ce système en France sans limiter le nombre des variétés proposées serait pertinent pour couvrir les besoins des patients.
Une solution intermédiaire pertinente : Le Cannabis Médical Club
Une problématique qui réside dans l’autoproduction à des fins médicales est qu’elle demande du temps, des efforts et parfois des investissements. Pour pallier cet obstacle, d’aucuns croient pertinent de créer un droit cessible à l’autoproduction. Autrement dit, le patient bénéficie par exemple d’une autorisation de produire six plants pour sa pathologie et il peut céder son droit au profit d’une association ou d’une entreprise qui lui produit son traitement. C’est d’une certaine manière le système des Cannabis Médical Club.
Combien d’articles, de réglementations et de textes à ajouter pour un système qui pourrait être centralisé sous l’égide d’un laboratoire d’Etat ? Si l’idée est intéressante et que nous y sommes favorables, force est de constater qu’elle est particulièrement difficile à mettre juridiquement en place. L’expérimentation de l’association Alternative Verte à Genève conclut à un “flou juridique” semblable à celui des Coffee Shops d’Amsterdam. A l’heure où le simple fait de consommer du cannabis à des fins médicales est pénalisé, cette étape semble lointaine.
En principe, la culture domestique du chanvre et l’organisation de groupes d’auto-support sont le moyen le plus direct pour véhiculer les bonnes pratiques et réduire les risques sanitaires. Si l’Etat ne peut pas de manière systémique répondre à la demande, c’est l’alternative au circuit traditionnel de la médecine. En revanche, les limites sont connues. Le développement des “Caregivers” en Californie par exemple a décloisonné les listes d’indications initialement établies. Ainsi, ces établissements, dans le cas où l’Etat ne peut apporter le produit nécessaire, devraient être une solution intermédiaire – voire préférable à l’autoproduction.
Le système de mutualisation plutôt que de laisser le patient seul face à son traitement
Préférable, en effet, puisque le bénéfice que tire le patient de sa production est encombré de quatre inconvénients importants :
- L’accompagnement médical est forcément moins efficient : Le produit n’est pas standardisé, donc le médecin est constamment contraint de réaliser des tests en laboratoire s’il veut opérer un suivi. D’autre part : celui qui produit à la maison sera davantage dans l’automédication et dans la construction personnelle de son traitement. Le lien d’interdépendance construit avec le médecin est rompu, il n’a plus besoin de le voir pour demander son traitement.
- Le système de sécurité sociale serait difficile à adapter : Lorsqu’il s’agit de fixer le prix d’un produit réalisé par un laboratoire (public comme privé), l’Etat opère la balance entre les bénéfices médicaux et les risques associés. Quid de la prise en charge de l’achat des lampes de la maman du petit Mathéo atteint d’épilepsie sévère ? Faudrait-t-il imaginer un système avec des box et des lampes fournies par l’Etat ? Dans la plupart des pays qui autorisent l’autoproduction à des fins médicales, le système social ne prend pas en charge le matériel et les efforts liés à l’autoproduction. Là aussi, l’inégalité est manifeste entre ceux qui ont le temps et les moyens, et ceux qui n’ont ni l’un, ni l’autre.
- Le risque d’un échec ou d’une inefficience de la variété : Nous le voyons au quotidien chez NORML France, les patients qui produisent personnellement du cannabis sont face à des problématique de production importantes. Une mauvaise culture et c’est l’absence de médicament pour plusieurs mois, la mauvaise variété et c’est tout le processus qu’il faut reprendre à zéro. Les patients autoproducteurs qui parviennent à réaliser le traitement parfait prennent parfois plusieurs années, voire plus, pour atteindre le produit spécifique qu’ils souhaitent.
- La sécurité : Enfin, force est de constater que la recrudescence des cambriolages et des vols avec violence plane évidemment sur les autoproducteurs médicaux. En Israël comme en Italie, l’armée sécurise les productions dans des espaces cloisonnés et suffisamment éloignés des populations. Faut-il imaginer un système avec un soldat par patient en France ?
La solution politiquement la plus simple et la plus efficace : Exiger de l’Etat qu’il prenne ses responsabilités
Loin des débats à l’Assemblée Nationale, exiger d’une entreprise qu’elle produise telle ou telle variété de cannabis semble un effort moindre qui apporte des résultats tout aussi pertinent.
La défaillance des gouvernements successifs, la marginalité dans laquelle sont entraînés aujourd’hui des milliers d’usagers, la stigmatisation dont font l’objet ceux qui se retrouvent face au juge et auxquels on demande s’ils ne sont pas simplement des junkies sont autant de raisons qui conduisent aujourd’hui à exiger de l’Etat français qu’il soit un modèle en la matière en multipliant les variétés,en mettant en place un circuit de distribution qui permette des préparations magistrales et qui s’adapte enfin aux besoins de l’usager.
C’est la solution politique la plus simple, puisqu’elle ne requiert pas la création d’une catégorie juridique ou d’un régime nouveau. Elle fixe un cadre déjà expérimenté en France, celui du monopole, par une entreprise publique comme le font de nombreux Etats à travers le monde, sur un système clair : celui d’une production territoriale, en Creuse par exemple, avec un travail de co-construction entre usagers, médecins, scientifiques, botanistes et jardiniers. Juridiquement inodore, cette solution est politiquement sécurisante et empêche d’éventuels détournements ou les problématiques connues sur l’absence de contrôle.
L’autoproduction pour les usagers médicaux est une solution de démission qui laisserait à ceux dont nous avons la responsabilité – les malades, l’obligation de prendre en charge leurs destins seuls. Un système social ne peut être fondé sur ce principe. Ce n’est pas au patient de gâcher de ses compétences ou de son temps précieux pour produire son traitement, c’est à l’Etat que revient la charge de produire et d’adapter.
En conclusion
En définitive, l’usage médical du cannabis reconnu, ceux qui le peuvent et qui le souhaitent devraient pouvoir continuer de produire leur traitement, parce qu’ils sont d’une génération qui aura connu l’interdit et qu’ils auront appris à se débrouiller malgré la règle intransigeante.
Mais cette solution temporaire doit laisser la place à une production standardisée, prise en charge intégralement par la puissance publique et adaptée aux besoins du patient. En attendant, l’expérimentation d’un système local de mutualisation des productions est une idée qu’il faut tout de même appuyer. Entre le principe que l’Etat doit répondre aux besoins des patients et la réalité de ce que sera la distribution du cannabis médical, force est de constater qu’un système intermédiaire sera nécessaire.
- Production par l’Etat à travers une entreprise publique en situation de monopole proposant pléthore de variétés
- Autorisation de l’autoproduction d’une durée de quatre ans pour les usagers médicaux sur un modèle compassionnel (demande à réaliser auprès du médecin qui en réfère à l’ANSM)
- Dépénalisation de l’usage médical du cannabis selon une liste d’indications élargies
Plus d’informations :
- Le Collectif d’Information et de Recherche Cannabique et l’autoproduction
- Le modèle allemand du cannabis médical
- L’entreprise Bedrocan
- L’audition de NORML France à l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament
Article rédigé par la Direction politique de NORML France, avec l’aimable correction de l’équipe rédactionnelle.
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