Agée de 48 ans, Nath-Apolline, écrivaine, auto-entrepreneuse et maman de deux ados a vu sa vie basculer le 1er décembre 2021 lors d’un contrôle routier dans le Morbihan. Épique récit de l’hypocrisie contemporaine entourant l’usage de CBD.
« Je consomme du CBD depuis plus de 10 ans pour pallier et atténuer des douleurs cervicales et dorsales chroniques dues à la maladie de Scheuermann, un stress post-traumatique complexe, une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) mais également parce que je suis réactive aux molécules chimiques et que je me suis prise en charge il y a plus de 10 ans après 10 ans de thérapies en tous styles. Formée en naturopathie et responsable de ma santé, je me suis naturellement tournée vers le cannabidiol pour ses vertus et bienfaits, principalement en raison de son innocuité avérée.
La situation : mercredi 1er décembre 2021, 9h25, je dois amener mon fils au collège tout en répondant à l’appel de ma conseillère Pôle Emploi. Comme à son habitude, le téléphone est en mains libres. Le haut-parleur dysfonctionne, je n’entends rien. Fiston, mû par une initiative louable, prend le téléphone et me le tend. A contrario, mue par un réflexe stupide, cette erreur fatale, je prends l’objet du délit en mains et dit à ma conseillère que je la rappelle car je conduis. La vie faisant parfois bien les choses, trois gendarmes à motos me dépassent à ce moment précis. Je suis aussitôt escortée toutes sirènes hurlantes dans une impasse. Je présente mes excuses les plus penaudes avec mon permis, c’est alors que je bascule dans une autre dimension :
« – Avez-vous consommé des stupéfiants, Madame ?
Je suis confiante, j’ai pris mon huile de CBD à 25% comme chaque matin et vaporisé quelques fleurs afin d’être en mesure de supporter mes douleurs chroniques :
– Non Monsieur, je ne consomme que du CBD en huile et en vaporisation.
– C’est ce qu’on va voir tout de suite avec le test stupéfiants, Madame ! »
Je commence à stresser légèrement mais je me reprends : le CBD n’est pas un produit stupéfiant, il est légal, aucune loi n’interdit de conduire en en ayant consommé, alors quel pourrait être le problème ? Je ne conduisais pas sous l’emprise d’un stupéfiant. Et pourtant, quelques minutes plus tard, le test réagit de manière positive au THC ! Il me semble que le sol tremble sous mes pieds, je ne comprends plus rien, j’ai la tête qui tourne et une irrépressible envie de vomir.
Résumé de la suite (le contrôle a duré plus d’1 heure !) : je tente d’expliquer aux gendarmes que cela fait plus de 10 ans que je prends du CBD, rien n’y fait. Nouveau test salivaire à envoyer au labo, en larmes et choquée, je signe les yeux fermés des dizaines de papiers sous la pression des gendarmes, mon véhicule est immobilisé, mon fils rate ses cours, nous sommes tous deux à pied à 15 kms de chez nous, j’appelle mon mari à la rescousse.
5 jours plus tard ou 120 heures et 50 minutes (délai des 120 heures dépassé, de 50 mn), le gendarme qui m’a interpellée me rappelle : le test labo est positif ! Le monde s’ouvre sous mes pieds, j’ai l’impression d’être coincée dans un cauchemar.
Dans les incohérences et injustices de toute cette procédure : je n’ai pas pu faire de contre-expertise car totalement sonnée et ignorante de ce recours que l’on ne m’a, bien sûr, pas proposé et qui m’aurait sauvée. Ce qui constitue un vice de procédure et, si j’avais eu les moyens d’engager un avocat, ce dernier aurait obtenu assez facilement un non-lieu. Des mois plus tard, je me demande encore si le gendarme a coché à ma place la case qui stipule que je renonce à la prise de sang ?
Aucun taux de THC ne m’a été notifié et c’est évident car avec du CBD à 0,2% de THC, ce sont des traces et nullement la preuve que la personne conduit sous stupéfiants puisque le CBD n’est pas considéré comme tel, ce qui fut légalement démontré en France, par la Cour de Justice Européenne (CJUE) dans son arrêt du 19 novembre 2020.
C’est alors que tout s’enchaîne : convocation à la gendarmerie d’Auray, remise d’une ordonnance pénale avec SSR + suspension administrative du permis de 6 mois. J’apprends que l’ordonnance pénale est une procédure simplifiée destinée à désengorger les tribunaux. Pas de jugement, c’est déjà fait, sans vous. Sans même prendre en compte la personnalité du « délinquant ».
Cher Monsieur le préfet, ne pensez-vous pas qu’il y ait une légère différence entre l’interpellation d’un jeune de 21 ans, joint au bec, à 23h48 dans sa voiture qui hume aussi bon qu’un champ de chanvre à la rosée du matin et une mère de famille qui dit spontanément à vos adjudants, à 9h30 du matin, qu’elle est malade et se traite au CBD depuis plus d’une décennie ? Ne sentez-vous pas le côté profondément inique de ce genre de décisions et leurs conséquences dramatiques ?!
Au final, j’ai été convoquée par le délégué du procureur en mars 2022. Ce dernier n’a rien voulu entendre, son rôle s’est borné à me donner lecture du jugement :
- 6 mois de suspension de permis.
- Une amende de 250 euros (tiens, le SSR a disparu, serait-ce la preuve que je ne suis pas dangereuse sur la route car je consomme du CBD ?!).
- Des frais de justice de 240 euros (pour un jugement auquel je n’ai pas pu assister ni me défendre, ça fait cher la minute de lecture).
- Un casier judiciaire qui me ferme la porte de nombreux travails.
- Pour récupérer mon permis, j’ai dû me soumettre à des tests psychotechniques (110 euros), une visite médicale (50 euros) + un test urinaire (90 euros).
- Je suis passée devant la Commission médicale où, malgré les tests pluri toxiques revenus négatifs du laboratoire, on m’a remis un permis provisoire de 6 mois avec obligation de me soumettre à un nouveau test urinaire dans 6 mois plus un second passage devant la commission médicale qui sera suivie d’un troisième permis provisoire d’un an avec test urinaire + troisième passage devant la Commission : 3 fois punie pour le même délit, cela semble incroyable mais pourtant bien réel. Mon permis a été suspendu en décembre 2021, je ne le récupérerai définitivement qu’en novembre 2023, soit près de 2 ans plus tard.
Les résultats psycho-sociaux
- Durant 6 mois, j’ai dû refuser plusieurs offres d’emplois, pourtant vitales pour notre famille qui s’était serré la ceinture durant deux ans (puisque Maman était bénévole plus de 30 heures par semaine pour les enfants malades, battus, violés que la société abandonne et laisse aux gentilles assos…).
- Impossible de régler les frais des avocats pénalistes que j’ai contactés. Pas de chômage pour les bénévoles.
- Mon fils a été traumatisé par les gendarmes (qui l’ont sommé de rester dans la voiture) et cette scène interminable dans laquelle Maman s’est faite interpeller. Cette même Maman qui donnait des conférences par le biais de son association et faisait de la prévention sur la dangerosité des drogues. J’ai expliqué maintes fois à mes enfants la différence entre THC et CBD et ils savent que je traite ainsi mes douleurs et souffrances.
- Je suis classée « délinquante de la route » avec un casier judiciaire qui me ferme de nombreuses portes.
- J’ai dû annuler ma participation à plusieurs Salons du Livre qui m’avaient invitée car j’habite en Bretagne et, sans voiture, impossible de s’y rendre.
- Lorsque le collège ou le lycée m’ont téléphoné pour me demander de venir chercher un de mes enfants qui avait eu un accident, je me suis sentie impuissante et j’ai dû me démener pour porter secours à mon enfant.
- Pour la première fois de ma vie, je suis tombée en dépression sévère et mon stress post-traumatique s’est rallumé de manière chronique : j’ai donc recommencé un suivi en psycho-traumatologie, alors que j’étais stabilisée depuis des années, en grande partie grâce à ma consommation de CBD.
- Mon mari a lui aussi été puni car il a dû assurer à ma place tous les trajets divers et variés de notre famille.
Question : comment je fais pour conduire, gérer mes maladies et éviter une récidive qui pourrait me coûter deux ans de prison, l’annulation pure et simple de mon permis et la confiscation de mon véhicule, sans oublier l’amende conséquente qui va avec ?
- J’accepte les puissants anti-douleurs et les médicaments psychotropes bien plus addictogènes que je ne supporte pas et je roule dans un état second en ayant pleinement conscience de la dangerosité d’un tel état ?
- J’achète les sprays ou autres cleaner de THC vendus en ligne pour être sûre qu’il n’y ait plus aucune micro-trace des 0,3% que peuvent contenir mes produits au CBD ?
- Où je m’enfuis quand je vois les gendarmes ?
Tout cela me laisse bien songeuse, surtout lorsque l’on sait que d’autres usagers de la route peuvent conduire en toute légalité sous Fentanyl, cet opioïde, dont le potentiel analgésique vaut environ 100 fois celui de la morphine et 50 fois celui de l’héroïne ? Ils le disent eux-mêmes, ils sont dans un état second et ont du mal à se concentrer.
Tout comme pour les millions de conducteurs sous antidépresseurs et autres benzodiazépines, ces molécules si puissantes qu’un sevrage est nécessaire pour l’arrêter sans trop d’encombres émotionnelles…
Pour tous ces patients, on ne viendrait pas à l’idée de leur retirer le droit de circuler librement au motif qu’ils sont malades ou ont des douleurs chroniques. Pourtant on continue toujours de traiter les usagers de cannabis légal (on interdit actuellement de conduire aux patients intégrés dans l’expérimentation de son utilisation médicale) comme des délinquants notoires.
Il est grand temps que la France remédie à cette injustice qui pénalise de nombreux citoyens et adapte ses lois archaïques à une réalité qu’elle ne peut plus ignorer.
Nath-Apolline
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Le mot de NORML France :
Et vous ? Que vous soyez un usager de THC responsable qui ne prend pas le volant sous emprise ou uniquement un consommateur de CBD, faites vous partie des milliers de conducteurs incriminés à tort par la justice française?
Laissez nous votre témoignage en commentaire de cet article.
Pour faire face à l’arbritraire des tests salivaires concernant la consommation de cannabinoïdes sur la route, prenez les devant en consultant notre portail dédié à l’usage de cannabis concomitant à la conduite d’un véhicule.
Dans cette lutte, il est important de bien identifier le problème… C’est sans doute par ce seul moyen que l’on pourra mettre un terme à ce piège scandaleux, indigne d’un État de droit et peut être d’en faire indemniser les victimes !
Voici le texte que nous faisons circuler…
Alerte sur l’absence d’affichage des risques encourus avec la consommation de CBD. Le CBD est un produit reconnu non stupéfiant…
Le Conseil d’État annule l’arrêté du 30 décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3 %. Il relève que le CBD (cannabidiol), qui n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance, ne peut être considéré comme un produit stupéfiant. Il retient qu’il n’est pas établi que la consommation des fleurs et feuilles de ces variétés de cannabis avec un faible taux de THC comporterait des risques pour la santé publique. Il juge illégale en conséquence l’interdiction générale et absolue de leur commercialisation.
Les produits commercialisés indiquent donc sur les emballages et communication publicitaire : 0.3% de THC
La molécule THC est en France considérée et classée comme psychotrope et stupéfiant. L’article L235-1 du Code de la route interdit la consommation de tout produit classé comme
stupéfiant.
Hors aucun message d’alerte ou de prévention n’est présent dans les boutiques ainsi que sur les produits vendus, Les publicités et les sites internet dédiées à cette production se gardent bien de signaler le danger. Au stade de la vente, donc le client n’est en rien averti des conséquences qu’entraine la présence de ce THC. Donc manquement évident aux obligations d’information…!
Cette absence entraine de facto la possibilité pour ce consommateur de CBD d’être, lors d’un contrôle routier avec test, par la seule présence de trace de THC, sans préjuger de la quantité, accusé de conduite sous stupéfiant avec suspension immédiate du permis de conduire accompagné de conséquences potentiellement plus graves en cas d’accident. Cette pénalisation, pour des consommateurs qui n’avaient aucune intention d’être dans l’illégalité ne peut être alors être vécue que comme un piège !
Rien, en effet, n’est donc conforme au directives relatives à la sécurité générale des produits. Et aucune alerte ne semble pouvoir changer cette “anomalie”… et cette injustice.
Si donc le THC est une molécule stupéfiante elle devrait donc être interdite ou alors, pour le moins, indiquée au consommateur par un message simple et clair du type : Ce produit contient du THC, vous pouvez être accusé d’usage de stupéfiant. La publicité devrait elle aussi être interdite et des mises en garde devraient être présentes dans les lieux de vente et sur le net où la désinformation sur les usages du produit CBD est, aujourd’hui, patente.
Sur ce dernier point, quelle information sur les distributeurs automatiques de CBD ?
Je tiens à répondre qu’il serait plus juste de s’attaquer à cette loi « sécurité routière » dans sa globalité car elle pénalise non seulement les consommateurs de CBD légal mais aussi les nombreux adultes responsables et insérés amateurs de cannabis THC qui auraient consommé la veille ou même avant.
Dans les deux cas cela peut détruire très injustement des vies, en impactant travail, famille et finances.
CBD, THC, médical, non-médical (« récréatif »), cette division des « genres » (chacun croyant avoir le plus de légitimité) et toutes ces petites batailles internes nuisent énormément au discours voulant stopper des lois de prohibition injustes qui font indistinctement du mal à tous les usagers de la plante et au final à la société entière.
Il ne faut pas accepter l’excuse galvaudée à toutes les sauces de « l’interdit » (qui n’est pas gravé dans le marbre) et encore moins celui de la peur des effets, qui se traduit là par une tolérance zéro qui n’est pas méritée ni proportionnelle aux dommages pour une substance une centaine de fois moins dangereuse que l’alcool.
Et on ne met pas les vignerons en prison, ni les gens aimant boire un apéro chaque week-end…
Bref, mettre des avertissements c’est très bien voire un moindre mal, mais cela veut dire que chaque amateur de chanvre CBD, dont le commerce et la consommation sont bien légaux, risque son permis et devrait même logiquement y renoncer d’avance.
Cela n’est pas du tout normal et mérite plus que « des avertissements » dans les boutiques qui en vendent. Il faudrait d’avantage de citoyens qui osent se réunir entre amateurs de chanvre THC et/ou de CBD, dans le but contester toute loi contraire au bon sens et néfaste à la société.
À noter : en Allemagne, les taux incriminants pour la conduite ont été relevés à 3.5ug, mais si vous êtes un usager médical le taux n’importe plus et vous êtes considéré comme non-dangereux après une période d’adaptation fortement conseillée.
Erwan Pointeau-Lagadec, “Cannabis (prohibition)”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.
C’est au nom de la santé et de l’ordre public que le général Menou édicte la première interdiction française de consommer du cannabis en 1800.
L’histoire française de la prohibition du cannabis débute en Égypte. En 1798, le Directoire envoie le général Bonaparte occuper le pays des anciens pharaons pour barrer la route des Indes aux Anglais. Après la bataille navale d’Aboukir (1er et 2 août 1798), qui confère le contrôle de la Méditerranée à la Royal Navy, le corps expéditionnaire français se retrouve prisonnier de sa conquête. Lorsqu’elle n’est pas occupée à mater les révoltes – comme celle du Caire en octobre 1798 – ou à guerroyer contre les Turcs et leurs alliés Mamelouks, l’armée d’Orient se familiarise ainsi avec les mœurs locales, parmi lesquelles figure la consommation du haschisch.
En effet, la pratique est à la fois ancienne et fort répandue en Égypte. Utilisée dans des cadres médicaux et cérémoniels depuis la plus haute Antiquité, la substance se vend alors sur les marchés, dans les échoppes et les cafés de toutes les villes, grandes ou petites. Ouvriers, petits artisans et membres des sectes soufis la mélangent à du miel ou à des épices pour l’ingérer, parfois dissoute dans du café. D’autres la fument au narguilé. Tous cherchent à atteindre une ivresse que condamne pourtant le Coran et que réprouvent les autorités religieuses et les élites sunnites. Poussés par le désœuvrement dû à leur cantonnement forcé, certains soldats français s’adonnent rapidement aux diverses préparations qu’il est possible d’obtenir à l’aide des fleurs, des feuilles, des graines ou de la sève de cannabis sativa.
Ayant eu vent des difficultés politiques rencontrées par le Directoire et conscient de l’enlisement de l’expédition qu’il dirige, Napoléon Bonaparte quitte l’Égypte au mois d’août 1799, après avoir confié le commandement de l’armée à Jean-Baptiste Kléber. Malgré la victoire d’Héliopolis sur les troupes ottomanes (20 mars 1800), la situation se dégrade fortement dans les mois qui suivent : les exactions à l’égard de la population se multiplient, l’exaspération vis-à-vis des Français va croissant et Kléber est finalement assassiné par un étudiant syrien en juin 1800. C’est le plus ancien des généraux sur place, Jacques de Menou, qui prend la tête des opérations.
C’est dans ce contexte troublé que le militaire promulgue, le 17 vendémiaire an IX, soit le 9 octobre 1800, un ordre interdisant, « dans toute l’Égypte [,] l’usage de la liqueur forte, faite par quelques musulmans avec une certaine herbe nommée hachich, ainsi que celui de fumer la graine de chanvre ». Dans la foulée, moult ghorzas (fumeries semi-clandestines) et autres cafés maures, principalement fréquentés par les classes populaires, sont fermés. Les contrevenants s’exposent à de fortes amendes et à des peines de prison.
Officiellement, cette décision est prise au nom de la santé et de l’ordre publics : selon Menou, qui s’appuie sur les rapports de ses subordonnés en poste à Rosette et Alexandrie, le haschisch fait « perd[re] la raison » à ses consommateurs et les plonge dans un « violent délire », les amenant à « commettre des excès en tous genres ». L’incrimination vise d’abord les troupes d’occupation, dont les violences sur les locaux sont opportunément expliquées par leur découverte récente du cannabis. Elle vise aussi les Égyptiens, dont on dépolitise au passage les actes d’hostilité à l’égard de la présence française en les attribuant à leur habitude de la drogue. Le texte assimile ainsi la consommation du haschisch à une épidémie, et se présente comme une réponse aux conséquences sociales de celle-ci.
Là n’est pourtant pas la raison profonde de cette promulgation. Dès son arrivée en Égypte, en 1798, Bonaparte a cherché à rallier les élites autochtones afin d’asseoir sa domination sur le pays. Cet effort de rapprochement est passé par la promotion du métissage et du mimétisme culturel : le général a encouragé ses officiers à épouser les filles de notables locaux et à adopter les mœurs du cru. Lui-même n’a pas hésité à multiplier les apparitions publiques vêtu « à l’orientale » et à se proclamer « digne enfant du Prophète » ou « favori d’Allah ». Marié à une Égyptienne et converti à l’Islam, Jacques de Menou – aussi connu sous le nom d’Abdallah-Jacques Menou – a simplement poursuivi cette politique une fois bombardé à la tête de l’expédition. En s’attaquant à la consommation du haschisch dans le pays, le militaire n’a ainsi fait qu’adhérer à un vieux désir des élites sunnites : interdire une pratique qu’ils considéraient comme un péché et comme une menace pour leur situation, l’usage de la substance favorisant la réunion – voire la communion dans l’ivresse – des franges du peuple les plus hostiles à l’ordre social en vigueur.
Si, dans cette affaire, les intérêts sanitaires et sécuritaires de l’éphémère puissance coloniale ont rencontré les intérêts moraux et politiques de l’élite autochtone, la mesure n’a finalement eu que peu d’effet : quelques mois plus tard, les Français capitulent face aux Anglais et quittent définitivement l’Égypte, oubliant, pour quelques décennies, le cannabis et ses propriétés psychotropes.