NORML France s’exprime rarement sur les questions de l’orientation de la politique gouvernementale en matière de santé publique et budgétaire. Et pour cause, l’association ne bénéficie pour le moment d’aucune subvention publique et fonctionne grâce au soutien de ses presque 1000 adhérents ! A l’heure où la Française des Jeux fête ses 85 ans, l’occasion est toute trouvée pour verser cette idée au débat public. 

Par sa loi de finances du 22 juillet 1933, le gouvernement créé la Loterie nationale française. A l’époque, cette institution n’est qu’une redite, celle de la Loterie Royale de France, gérée sous l’Ancien Régime par les services du Roi. Si la première servait les intérêts de l’élite, la seconde a pour but de venir en aide « aux invalides de guerre, aux anciens combattants et aux victimes de calamités agricoles« . 

Historiquement, un dispositif pour prendre en charge les « gueules cassées »

Avant même le Front Populaire, voilà que le législateur de la Troisième République fait émerger un ersatz de sécurité sociale. A l’époque, les ressources issues de ces jeux sont un moyen de prendre en charge les fameuses « gueules cassées ». 

Forcément, le traitement des douleurs chroniques causées par la Grande Guerre (dont on célèbre cette année le centenaire) occupe une place importante. Si « l’amputé morphinomane est incurable » comme le consacre alors le célèbre Docteur René Leriche, les drogues sont souvent employées comme un palliatif. Alors que nous réfléchissons aujourd’hui à l’autorisation d’un usage compassionnel du cannabis, nos aînés finançaient et recouraient déjà massivement aux drogues en médecine

Au-delà, cette petite révolution consacre une nouvelle réalité : celle que les invalides de guerres ne sont pas une population à marginaliser mais des citoyens à protéger. Avec la distribution des tickets de loterie, ils deviennent les acteurs de leur propre prise en charge sous le patronage de l’Etat. 

Une fondation qui sponsorise les événements sportifs… alors que la question de la dépendance reste sans réponses

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, l’histoire a fait son travail et la question des bonnes œuvres de ce qui est devenu la Française des Jeux ne demeure qu’un lointain souvenir. Si la Fondation de la FdJ sponsorise depuis plusieurs décennies les événements sportifs et finance depuis peu la solidarité par le jeu, la question des dépendances qu’elle provoque reste sans réponse.  

En effet, avec la reconnaissance récente de l’addiction aux jeux rappelée par la Fédération Addiction, l’idée que « la dépendance n’est pas un jeu » s’est installée dans l’opinion publique. Le sujet est regardé avec beaucoup d’intérêt par les autorités. Aujourd’hui, l’opportunité d’une action en la matière n’est plus discutée. Si certaines initiatives ont été lancées par les opérateurs pour promouvoir un « jeu responsable », force est de constater qu’elles ne sont pas à la hauteur. 

La Française des Jeux organise sa privatisation… Préparons l’avenir !

La FdJ prépare sa privatisation, ses mises « ont bondi de 5,3% à 7,9 milliards d’euros » au premier semestre. Mais dans la vague de l’évolution, passé et présent ont été oublié. Le passé d’abord, parce que la Loterie nationale avait une vocation sociale ; le présent ensuite, parce que son rôle doit aussi être de participer à la prévention en matière d’addiction aux jeux, et plus globalement en matière de lutte contre les conduites addictives.

A défaut de prévoir l’avenir, préparons-le ! Le gouvernement organise actuellement une phase de concertation sur la question. Pourquoi ne pas en profiter pour régler un problème majeur ? En effet, le budget de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives n’est pas en adéquation avec les ressources nécessaires à une véritable politique de réduction des risques et de prévention. D’une part, les bénéfices de la lutte contre le trafic illicite sont réparties de manière particulièrement inégalitaire entre prévention et répression, d’autre part, peu de sources de financement nouvelles ne sont envisagées (puisque la régulation du marché du cannabis n’est toujours pas à l’ordre du jour). 

Le Plan de Prévention de l’alcoolisme : une goutte d’eau qui a fait déborder le pichet ? 

De son côté, l’exécutif ne semble pas être en manque… d’initiatives ! Il y a quelques jours, il confirmait la modeste contribution des lobbys au Plan de prévention de l’alcoolisme, arguant à qui voulait l’entendre qu’il fallait penser « une révolution de la prévention ». Si la « révolution » conduit à courber l’échine et inaugurer l’ivresse des intérêts particuliers sur celui de la santé, la baisse des dotations va continuer et la prévention ne sera plus qu’un lointain souvenir. Par conséquent, nul ne peut demain s’inquiéter de la réduction drastique des ressources pour les actions menées par les associations sur le terrain puisque de toute évidence, le tohu bohu continue

A l’heure où de nombreuses associations s’interrogent sur la rationalité de l’action publique en matière de lutte contre les addictions, il y a un terrain où le gouvernement dispose de tous les pouvoirs : lorsqu’il s’agit des entreprises publiques. Alors que les alcooliers sont multiples, la FdJ est une entité unique avec laquelle l’Etat n’a pas encore besoin de négocier. Alors faisons contre mauvaise fortune bon cœur et faisons-la contribuer, elle aussi !

La Française des Jeux qui fut le levier hier d’une lutte contre la marginalisation et qui constitue aujourd’hui un formidable moteur de la dépendance pourrait utilement consacrer une partie de ses ressources au bien public. Dès lors, l’hypothèse suggérée par Farid Ghehiouhèche d’un fond spécifique dédié à la lutte contre les addictions piloté par la Mildeca nous apparaît être une solution pérenne et pragmatique pour pallier les suffocations budgétaires chroniques en la matière. Le moment est tout trouvé pour donner un bol d’air à ceux qui œuvrent sans relâche. 

En attendant qu’une campagne nationale de réduction des risques et des dommages en matière de cannabis ne soit financée par la Française des Jeux (ou par la Française du Cannabis chère à Maître Caballero) et à l’aube d’un débat budgétaire imminent, NORML France souhaite engager une réflexion sur la question afin que l’ensemble des acteurs concernés puissent porter cette proposition auprès de la représentation nationale et du gouvernement.