Un marché en pleine évolution en France:
Une idée répandue depuis les années 2000 serait que le cannabis en circulation en France n’aurait rien à voir avec le cannabis de “papa”, qu’il serait beaucoup plus puissant et addictogène que par le passé.
Le peu de données dont nous disposons est basé sur les enquêtes de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanie (OFDT) et les saisies douanières, dont les teneurs en principes actifs sont difficilement interprétables.
En effet, ces concentrations sont extrêmement variables (1), en fonction de la maturité de la plante au moment de la saisie, de la partie prélevée (fleurs ou feuille) lors de l’échantillonnage, ou de l’âge de l’échantillon : il existe à température ambiante, une diminution de 17 % par an de la teneur en principes actifs par phénomène d’oxydation (2).
Qu’en est il de la réalité des taux de THC dans les produits circulants ?
Les données sont donc limitées mais pour autant, les méthodologies utilisées étant similaires quelle que soit la période, nous pouvons affirmer que la teneur moyenne en THC du chanvre psychoactif est restée stable sur le marché européen jusqu’en 2005, entre 6 et 8 % (3), mais aussi, il est vrai, que le marché a considérablement évolué depuis 10 ans.
D’un côté, nous observons un engouement pour le marché de cannabis light faiblement dosé en THC (variétés CBD) qui intéresse aussi beaucoup les adultes quadragénaires (marché suisse) ne souhaitant plus ressentir les effets du THC; de l’autre, nous observons une augmentation des taux de THC dans les produits saisis, d’environ 50% pour les fleurs et de près de 300% pour la résine.
Les fleurs sont désormais obtenues à partir de méthodes de production intensives comme aux Pays-Bas (4) avec 20 % des importations françaises (5) et plus récemment en Albanie. La résine, elle, est généralement obtenue à partir de cultivars de sociétés européennes, produits sous le soleil du Rif marocain suite au plan ONUSIEN d’éradication des cultures en 2005, afin de s’adapter à ce nouveau marché souhaitant consommer des produits plus fortement dosés (6). Les taux de THC retrouvés actuellement dans les saisies sont de 11% pour les fleurs et de 23% pour la résine en moyenne (7).
L’augmentation est donc réelle depuis quelques années et elle concerne principalement la résine de chanvre, l’augmentation moyenne de la titration en THC des fleurs restant limitée, surtout s’il l’on considère l’offre de cannabis ultralight (<0,2% de THC).
Les nouveaux produits émergents:
Depuis une décennie, nous observons parallèlement plusieurs phénomènes émergents :
- Une accessibilité accrue aux phyto-cannabinoïdes sous leur forme brute, notamment avec la possibilité d’achat en ligne et le développement de la culture domestique, comme l’illustre l’augmentation des saisies de plantes ces dix dernières années.
- Une diversité accrue des produits en circulation avec la montée en puissance des cannabinoïdes de synthèse, sur lesquels nous avons encore très peu de recul et qui s’avèrent déjà fortement plus dommageables que les phyto-cannabinoïdes, mais aussi des extractions fortement dosées, made in France (RSO, BHO, shatter…) qui restent cependant minoritaire.
- Une extension de la palette de concentration en THC pour les fleurs et la résine, de la plus basse à la plus haute teneur en THC. Il existe aujourd’hui schématiquement 2 marchés distincts des phyto-cannabinoïdes : celui du THC, illégal, et celui du CBD, dans une zone grise.
Quelle impact de cette évolution du marché des cannabinoïdes ?
Dans tous les cas, il semble utile de savoir dans quelles mesures cette augmentation du taux de THC peut-elle être préjudiciable et justifier de nouvelles inquiétudes ?
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Evolution à impact présumé positif : diffusion des produits CBD light et ultralight en THC.
La mise à disposition de ces produits est très intéressante sur le plan de la santé publique : d’une part, les fleurs CBD sont un outil de réduction des risques pour limiter le risque d’addiction au THC en tant que produit de substitution. D’autre part, le CBD possède probablement des propriétés anti-craving qui permettraient de réduire l’appétence à l’héroïne, la cocaïne (8) et possiblement au tabac et au cannabis (9-10).
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Evolution à impact négatif présumé faible : augmentation des taux de THC dans la résine (et les fleurs à minima)
S’il semble logique qu’un dosage important en THC puisse entraîner plus facilement une dépendance, ce facteur pourrait être relativisé fortement pour des raisons évidentes liées au mode d’administration et au cadre légal en vigueur.
En cas d’usage par inhalation, la rapidité d’action des produits permet à l’usager d’adapter immédiatement sa consommation à la puissance de la substance, afin d’obtenir les effets recherchés, tout en évitant l’apparition de symptômes non souhaités (11).
Tous les usagers de produits fortement dosés ont su détecter une concentration élevée en THC et aucun ne s’est plaint d’effets indésirables dans une enquête multi-centrique française auprès des usagers en 2005 (12). En cas d’usage per os, il est préférable de connaître la titration en principes actifs et d’avoir des contenants adaptés contenant une unité standard afin que l’utilisateur puisse adapter la dose préparée en fonction de la concentration en principes actifs, à l’instar de l’alcool (contenant adapté à la concentration en alcool).
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Evolution à impact négatif présumé moyen: diffusion des concentrés hautement dosés issus d’extractions
D’un part, la production artisanale peut s’avérer dangereuse avec des risques d’explosion lorsqu’on utilise des solvants gazeux (butane) en vue de la fabrication de BHO (« Butane Honey Oil » ou « Butane Hash Oil »). D’autre part, la très grande majorité des extractions artisanales ne sont pas purifiées correctement et peuvent contenir de nombreux résidus de solvants qui peuvent s’avérer fortement toxique pour la santé des usagers; un contrôle de la qualité sanitaire des produits est indispensable pour endiguer ce phénomène émergent.
Par ailleurs, ces produits hautement dosés peuvent favoriser la genèse des addictions, d’où la nécessité d’une éducation conséquente de la population pour un usage à moindre risque de ces produits concentrés.
- Evolution à impact négatif présumé fort: diffusion des cannabinoïdes de synthèse ou pétro cannabinoïdes
Bien que les phyto-cannabinoïdes présentent une sécurité d’emploi éprouvée et que leur production soit facile et peu onéreuse, seuls certains laboratoires pharmaceutiques s’y intéressent et la majeure partie des recherches porte sur les cannabinoïdes de synthèse soit des molécules isolées et brevetables, de façon plus conventionnelle.
De nombreux analogues des cannabinoïdes ont ainsi été synthétisés depuis une décennie dans le cadre de recherche scientifique.
Lorsque les recherches n’aboutissent pas à une commercialisation officielle, certains laboratoires peu scrupuleux n’hésitent pas à écouler leurs produits sur le marché clandestin du high cannabique.
Ces produits fabriqués majoritairement en Chine circulent librement et légalement sur internet, tout au moins le temps de légiférer pour interdire ces nouveaux produits de synthèse (12). Les cannabinoïdes synthétiques sont la classe la plus importante des nouveaux produits de synthèse à usage récréatif.
Alors que ce phénomène était jusqu’alors inconnu, 169 cannabinoïdes de synthèse ont été reportés par le système d’alerte européen de 2008 à 2016 (13).
Le «spice», mélange d’herbes aromatiques pulvérisé d’agonistes synthétiques des récepteurs cannabinoïdes, est particulièrement accessible sur internet (14). Son usage connaît un essor significatif auprès des jeunes (15). Pour rappel, nous avons tout au juste une décennie de recul sur les cannabinoïdes de synthèse et le peu de données dont nous disposons est inquiétant car ces produits peuvent se révéler beaucoup plus puissants et toxiques que les phytocannabinoïdes issus du chanvre (16).
Certains cannabinoïdes de synthèse, notamment les antagonistes de CB1 peuvent ainsi avoir des effets secondaires indésirables graves, comme nous avons pu le constater avec les essais cliniques sur le Rimonabant (Acomplia).
Pour conclure:
Ces éléments illustrent l’intrication des marchés, que l’usage des cannabinoïdes soit à visé médicale, psychologique ou sociale, reflet des motivations de l’usage avec pour dénominateur commun la recherche du bien être, sur le plan individuel ou social. Ils témoignent également de la diversification du marché des cannabinoïdes en lien à une demande accrue dans une société toujours plus addictogène, mais aussi plus aguerrie à l’usage du cannabis.
Cette évolution traduit assurément une certaine maturité du marché, avec pour corollaire l’inscription culturelle du chanvre dans la société française, c’est à dire de la démocratisation de son usage, de sa production et de sa transformation, impliquant plus que jamais que le cadre légal s’adapte aux mœurs.
La demande en phyto-cannabinoïdes présente un caractère immuable et le système de prohibition entraîne des dérives de plus en plus importantes, comme la mise en circulation des cannabinoïdes de synthèse. Cette situation nouvelle est inquiétante car la prohibition favorise désormais la diffusion de produits plus dommageables. Dans le même temps, la politique pénale freine considérablement l’éducation à l’usage à moindre risques en ramant de plus en plus à contre courant des mœurs.
Au contraire, une politique éducative semblerait plus que jamais opportune et demanderait une reprise de contrôle rapide par les autorités avec la mise en place de politiques de régulation pragmatiques protégeant véritablement et durablement les usagers et la société.
Le Docteur Olivier BERTRAND, auteur de cette note de synthèse et membre du Bureau Exécutif NORML France, animera aussi la Fomation NORML France sur le chanvre, ses usages et sa filière, ce week-end du 26 et 27 janvier 2019, avec pour mission d’éduquer nos adhérents sur les questions sanitaires.
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- Lewis R, Ward S, Johnson R, Burns DT. Distribution of the principal cannabinoids within bars of compressed cannabis resin. Anal Chim Acta. 2005 May 4;538(1–2):399–405.
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- Costes et, al. Cannabis: données essentielles. Saint Denis: O.F.D.T.; 2007. 229 p.
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- O.F.D.T. Drogues Chiffres clés. 7eme édition. Juin 2017
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L’augmentation du taux de THC est une mascarade prohibitionniste :
Depuis toujours, il existe des cannabis bien plus forts que d’autres. Les variétés les plus fortes sont des « kushs » pures ou entre-croisées, des variétés afghanes ou pakistanaises sélectionnées pour leur puissance. Ce ne sont pas des hybrides mais bien des pures indicas. La G13 en est un bon exemple : + de 26% de THC, un record qui aura tenu plus de 30 ans. Sélectionnée aux USA à partir de graines Afghanes (selon Sensi-Seeds) dans les années 70. Clandestinement vendue aux USA dans les années 80 et 90, comme quoi ce n’est pas bien récent tout ça… Ce record n’a été battu que récemment, suite au retour des GI’s envoyés en Afghanistan (comme par hasard), toujours par des variétés de type « Kush »… Ce n’est ni la clandestinité, ni la légalisation, ni la recherche, ni la science qui donne cette illusion que le taux de THC aurai augmenté… C’est juste que l’accès à ce type de variétés devient plus simple avec un plus grand déplacement des populations, mais elles ont toujours existées… Ne me faites pas croire que les baba-cools français qui ont fait le voyage vers la vallée de l’Indu-Kush n’ont pas connu ça! Quant aux BHO et autre Rosin, ça reste très comparable à l’huile de cannabis qu’ont connus nos parents ni plus, ni moins… Evidemment, si on compare avec la « Thaï » ou la « Quainf » (africaine) qui parvenait jusqu’en France dans les années 70, on est loin du compte… Et si les autorités se basent sur ça, y’a de quoi faire flipper les prohibitionnistes! C’est pourtant infondé…