Les ouvertures d’enseignes de cannabis ultra-light s’enchaînent, les citoyens s’empressent dans les allées des boutiques qui ouvrent partout en France. Il y a quelques semaines, la ville de Besançon, cloîtrée dans le méandre du Doubs, faisait la part belle au chanvre. Mais voilà, nous ne pouvons pas être d’accord avec tout ce qu’il se produit aujourd’hui.

En attendant une meilleure régulation, chacun doit mesurer ses propos et fonder son discours

Il est un fait que nul ne peut mettre en cause : la vague de cannabis ultra-light qui recouvre la France aujourd’hui (titré à – de 0,2% de THC, à différencier du cannabis light qui est légal en Suisse à – de 1% de THC) éveille également quelques instincts peut-être discutables.

Loin de nous l’idée de considérer que le chanvre appartiendrait à quiconque, ou que quelques uns auraient le monopole du cannabis. Mais il semble fondamental de dire qu’à l’heure actuelle, et en attendant toute évolution significative de la législation, chacun doit mesurer ses propos, fonder son discours, et ce type d’entreprises figurent en première ligne sur la question.

Les risques d’incitation à l’usage ou de publicité « mensongère ou douteuse » sont présents

La moindre bêtise, la moindre erreur factuelle, l’ersatz d’approximation, et c’est la sentence de l’opinion publique qui s’abat sur l’ensemble de ce mouvement. Nous sommes en France, pas aux Etats-Unis. N’importe qui ne peut pas dire n’importe quoi, surtout dans un moment où nous cherchons à convaincre les décideurs. Les agitations éphémères empêchent la transmission réelle d’un discours rationnel et fondé.

Dès lors, prétendre face à des malades que du chanvre à moins de 0,2% de THC peut soigner Parkinson, c’est leur mentir, tout simplement. Le simple fait d’insinuer que le CBD pourrait prendre en charge les douleurs chroniques sans le fonder sérieusement relèverait de l’approximation. Il vaut en ce cas mieux de se garder de le dire, ou utiliser les précautions verbales usuelles. Comme nous avons pu le voir avec l’affaire Kanavape : La publicité et la communication autour du produit a provoqué une condamnation sans précédent, alors que le produit en lui-même n’a jamais été considéré comme illégal.

Il ne faut pas oublier ici que l’article L3421-4 du Code de la santé publique dispose que la présentation sous un jour favorable de l’usage illicite de stupéfiants est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Au-delà de cet article que nous avons déjà longuement commenté, il y a l’article L121-1 du Code de la Consommation qui interdit toute publicité mensongère ou douteuse, et enfin l’article L4161-1 du Code de la santé publique qui prohibe l’exercice illégale de la médecine. Une mauvaise communication autour de la boutique, et les trois sanctions peuvent s’abattre sur le gérant sans aucune difficulté.

Un simple client atteint d’une maladie grave qui achète du cannabis ultra-light permettant prétendument de soigner sa pathologie et pour lequel le produit ne répond peut exiger le remboursement s’il a été face à un vendeur peu formé, voire se retourner contre l’entreprise sur le fondement de l’un de ces trois articles.

Un produit qui demeure illégal… Sauf preuve du contraire

S’agissant des produits qui ne contiennent que la molécule de CBD, il n’y a aujourd’hui aucun problème. De fait, la molécule de cannabidiol n’est elle-même pas classée comme interdite. Par conséquent, elle peut constituer la base d’un produit sans que cela ne créé quelconque problème. C’est pourquoi, les e-liquides au CBD n’ont jamais été déclarés comme illégaux (il en est de même des baumes, de l’huile ou de tous les produits dérivés exclusivement composés de CBD).

Concernant les sommités fleuries, la question est tranchée elle aussi : il n’y a pas de « vide » ou de « zone grise » comme nous pouvons l’entendre, il y a une réglementation française qui interdit en principe la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre ou la cession du « cannabis, de sa plante et de sa résine ». Quand bien même la plante serait transformée en infusion et considérée comme une plante médicinale, les textes juridiques qui encadrent la vente des herbes médicinales et de leurs dérivés alimentaires ne reconnaissent pas le chanvre comme une plante autorisée (décret n°79-480 du 15 juin 1979, circulaire n°346 du 2 juillet 1979, décrets n°2008-839 et n°2008-841 du 22 août 2008).

Même le droit européen n’autorise pas les fleurs !

Pourtant, certains diront qu’un représentant du Ministère de la Santé en janvier nous expliquait que « le joint électronique apparaît comme légal », oui, le e-liquide au CBD, pas la fleur.  Dans le même temps, quelques boutiques ici et là se voient retirer leurs fleurs de chanvre ultra-light par les douanes ou par la gendarmerie pour être aussitôt restituées. En réalité, ce que contrôlent aujourd’hui les forces de l’ordre, ce sont les taux de THC dans le produit. Mais rien n’indique que le produit-lui même soit autorisé !

Au regard du droit européen, la question ne se pose plus. Le droit pose le cadre s’agissant des graines mais laisse aux Etats membres le soin d’organiser le commerce. Le seul cadre fixé concerne un règlement délégué de la Commission Européenne qui rappelle aux Etats leurs possibilités d’autoriser un accès à la fleur pour vérifier la teneur en THC et pouvoir mieux contrôler les semences en circulation.

Il reste, en dernier lieu, le principe de reconnaissance mutuelle développé par la jurisprudence CJCE, 1979, Cassis de Dijon qui établit qu’un produit commercialisé dans la zone de libre-échange puisse être aussi commercialisé en France. On pourrait donc dire simplement que puisque les fleurs de cannabis ultra-light sont aussi commercialisées aux Pays-Bas ou en Espagne, elles peuvent l’être librement sur notre territoire du fait du droit européen. Ce beau principe connaît tellement d’exceptions qu’une réponse aussi simpliste ne saurait être acceptée. Il y a donc bel et bien une interdiction juridique face à un silence assourdissant de l’Etat qui n’a toujours pas pris la mesure de l’ampleur de la vague actuelle.

Pourquoi le produit est-il à la « mode » aujourd’hui ?

L’effet et la pertinence du produit vendu aujourd’hui sont à discuter. Pourquoi les citoyens l’achètent-ils ? Parce qu’il s’agit d’un placebo ? Parce qu’ils peuvent le mélanger à leur produits au chanvre habituel ? Parce que l’odeur est appréciable ? Est-ce que cela constitue pour autant un véritable marché ? Oui, sans le moindre doute. Il y a une réelle demande pour les cannabinoïdes non psychoactifs et légaux. Et c’est tant mieux.

Mais il est nécessaire de prendre en main le marché globalement. C’est pourquoi, nous pensons très fermement qu’il faut défendre les entrepreneurs qui veulent faire de la recherche et du développement, qui souhaitent développer la plante réellement, qui sont en capacité d’expliquer ce qu’ils vendent, les effets de ce qu’ils produisent, les limites de ces effets et les meilleurs manières de consommer.

Les entrepreneurs doivent être des pédagogues

Les entrepreneurs se doivent d’être des pédagogues, des connaisseurs, des citoyens qui ont pris le temps d’ouvrir les livres, de découvrir le produit, et qui sont en mesure de s’exprimer face à une caméra et de justifier de leurs productions ainsi que leurs produits.

Nous avons l’occasion, au quotidien, de rencontrer, de discuter ou d’être interpellé par de jeunes créateurs d’entreprises qui éprouvent des difficultés, ou par des gérants qui ont déjà des problèmes avec la justice. Nombre d’entre eux sont lourdement condamnés, le risque est réel. Il faut donc, autant que possible, prendre des pincettes dans le discours et avoir une réelle maîtrise du sujet et de son produit.

Ainsi, beaucoup de relevés de perquisitions et de tests démontrent que certaines entreprises qui manipulent du CBD et qui ont été perquisitionnées ces derniers mois vendaient parfois à leur insu, par méconnaissance ou par manque de précautions, des dérivés du chanvre ayant plus de 1% ou 2% de THC. Et si nous parvenons, à l’aide de nombreux juristes à exempter les gérants parfois, vu le développement du contentieux en la matière, l’argument de la méconnaissance ou de l’absence d’information ne sera bientôt plus possible.

Pour éviter les dérives, nous proposons la mise en place une charte éthique

Pour éviter les nombreuses dérives, nous réfléchissons aujourd’hui à mettre en place une charte qui permettrait de rencontrer les entrepreneurs du CBD, les accompagner dans leurs démarches vers une commercialisation éthique permettant une « réduction des risques » juridique.

  • Ainsi, il nous semble d’abord important que les produits vendus soient tous bien légaux et que leurs origines soit contrôlée. S’ils entrent dans le cadre de produits tolérés (fleurs à – de 0,2% de THC), il faut absolument qu’ils puissent bénéficier d’une traçabilité exemplaire.
  • La moindre des choses aujourd’hui, c’est que le produit soit étiqueté en France, produit en Europe, que le distributeur ait une bonne relation avec son fournisseur et qu’il puisse garantir de la véritable provenance des produits.
  • Dans le même temps, nous considérons tout aussi important que l’opérateur économique connaisse bien la plante de chanvre, ses produits dérivés et qu’il puisse expliquer concrètement ce qu’il vend, mais aussi qu’il ait pu essayer les produits distribués pour apporter son expérience personnelle.
  • L’éthique, c’est aussi de ne pas inciter les citoyens à une consommation illicite quelconque, de manière directe ou indirecte (les posters de type Bob Marley fumant un joint sont à éviter…). Surtout, il faut que chacun comprenne que les produits CBD actuellement en vente peuvent être utilisés dans un cadre médical, mais qu’ils doivent être vendus dans le cadre d’un usage « bien-être » mais en aucun cas pour un usage thérapeutique.
  • Enfin, l’éthique c’est aussi d’assumer son travail, de contacter les autorités et de construire une véritable relation de confiance avec elles, en faisant de la pédagogie et en participant à la vie locale, allant presque jusqu’à soutenir l’économie territoriale, favoriser les circuits courts ou encore participer à l’économie sociale et solidaire.

Des boutiques qui respectent ces conditions ou qui cherchent à le faire, il en existe déjà quelques unes : parmi elles Chanvre Bio Détente à Rodez, The Hemp Concept à Montpellier, ou encore Elijah à Paris. Nous vous conseillons d’aller jeter un œil sur la façon dont elles sont gérées car elles apparaissent comme un modèle à suivre.

Ceci étant dit, il nous semble donc important de rappeler que le risque est encore bien présent, que la situation n’est pas idyllique. En posant ces grands principes, nous disons aussi en tant qu’association que nous refusons de travailler avec ceux qui souhaitent profiter de la vague et ne s’engagent pas pour les bonnes raisons. Nous voulons défendre la régulation, c’est-à-dire un cadre clair, strict et transparent, nous voulons défendre l’éthique et un commerce qui bénéficie réellement aux citoyens. Nous sommes contre les prix prohibitifs, contre l’ouverture du marché sans bornes et sans limites, parce que c’est ce qui produit les erreurs que nous voyons poindre de l’autre côté de l’Atlantique.

La régulation sera éthique ou nous n’en serons pas.

L’auteur tient à remercier le Maître de Conférences en Droit Pénal, Yann Bisiou pour ses conseils et sa relecture attentive.
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