LeapLEAP Grande-Bretagne (Law Enforcement Against Prohibition) est une organisation non-gouvernementale née aux États-Unis, composée principalement d’anciens et actuels personnels des forces de police et de maintien de l’ordre, des services de justice et d’application de la loi. Procureurs, policiers, magistrats, enquêteurs, sheriffs… ils sont tous persuadés que les politiques de prohibition des stupéfiants et de répression, en particulier de l’usage, sont une irrationalité criminologique et un désastre effectif dans un grand nombre de pans de la vie publique et privée des citoyens.

Alors qu’un débat parlementaire va se tenir ce lundi au Parlement de Londres, Neil Woods, un ex-policier, agent double de 1993 à 2007 au sein des réseaux de trafic de stupéfiants, et actuel membre du bureau de LEAP Grande-Bretagne, adresse une lettre ouverte aux parlementaires pour dédramatiser et recadrer le débat sur les politiques des drogues en général, et sur l’idée de régulation du marché du cannabis en particulier.

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La plupart du temps, lorsque l’on m’interroge à la radio ou sur n’importe-quel média quant à mon opinion au sujet de la prohibition, surgit la même question classique. C’est une vieille rhétorique récurrente et fatiguée, que de nombreux politiciens ressortent comme réponse à l’idée de réglementer les drogues. « Quel message cela ferait-il passer ?« , avec sa variante : « Quel message donnerait-on aux enfants ?« .

Le problème avec cette question fréquente c’est qu’elle insère le débat dans le postulat initial que la prohibition fait justement ce qu’il faut, et envoie « le bon message ». La question est inscrite dans l’idée que la législation actuelle protège nos enfants tout en apportant une réponse sociétale à l’usage de stupéfiants. Or on ne peut être plus éloigné de la réalité.

Le 12 octobre 2015 [le] Parlement [du Royaume-Uni] débattra de la question suivante : « la production, vente et l’usage de cannabis devrait-ils être légalisés ? » Cela fait suite à l’extraordinaire succès d’une pétition ayant récolté plus de 200 000 signatures. À l’approche de ce débat, peut-être devrions-nous donc examiner l’inévitable question : quel est le message que cela enverrait à nos enfants ?

Aucune pièce d’identité n’est nécessaire pour se procurer du cannabis, et les dealers ont rarement de scrupules.

Neil Woods

Pour la majorité des adolescents, le cannabis est plus facile d’accès que l’alcool, c’est certain. Aucune pièce d’identité n’est nécessaire pour se procurer du cannabis, et les dealers ont rarement de scrupules. Un des constats les moins surprenants mais pas pour le moins bienvenu quant au succès de la régulation [de l’usage adulte] du Cannabis au Colorado, est que la consommation de cette substance chez les plus jeunes a diminué.

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En tant qu’officier de police, et comme partie de ma seconde fonction de référent national sur les drogues, j‘ai passé du temps à mener à bien toutes sortes d’actions d’éducation sur les stupéfiants auprès de nombreux groupes et organisations. J’ai pu effectuer un travail substantiel auprès des adolescents […] principalement autour de 16 ans. Je n’avais pas à pousser pour que 80 % d’entre eux admettent être consommateurs de Cannabis, pour certains régulièrement (et pour beaucoup, depuis au minimum un an). C’était pour eux banal d’en citer les raisons : en premier lieu parce qu’il est facile de s’en procurer et qu’ils aimaient ça, ensuite parce-que l’effet s’atténuant rapidement, les parents ne le remarquent pas, enfin, l’alcool les rendant malades, ils perçoivent le cannabis comme étant plus sûr.

La comparaison entre la dangerosité de ces deux substances est le point de convergence autour duquel se rassemble le parti CISTA [CISTA est un parti politique britannique créé il y a quelques mois, et qui prétend, par la voie des urnes, imposer la nécessité d’une grande réforme nationale des politiques des drogues au Royaume-Uni, NDC&L]. CISTA effectue un travail important et je suis certain qu’avec le temps, leur message clair aura un effet sur la perception générale des drogues, parce que des preuves scientifiques viennent simplement le transformer en vérité.

Toutefois, les niveaux de dangerosité des substances peut facilement se transformer en un argumentaire de type presse à scandales, en créant une sorte de match d’affirmations et contre-affirmations dans lequel le fond du débat sur les drogues se dissipe. D’accord, nos enfants consomment une substance qui pourrait être plus sûre que l‘alcool… cela n’induit pas pour autant qu’il faut qu’ils la consomment.

Nous nous sommes tous mis d’accord sur ce consensus commun – tous les groupes d’opinion, quel que soit leur bord, toutes les parties prenantes du débat, conviennent que les jeunes ne devraient pas prendre de Cannabis.

i6BhDet3Cela ne veut pas dire pour autant que les mineurs ne devraient pas avoir accès au Cannabis dans le cas d’une indication pour besoin médical. Il y a une variété de maladies pour lesquelles cette substance peut être hautement bénéfique aux enfants, dont certaines formes d’épilepsie. Comme pour chaque traitement médical, les bénéfices thérapeutiques sont mis en balance par rapport aux dommages potentiels et effets secondaires.

Le sujet ici, c’est que la politique de prohibition ne contrôle pas les risques auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes adultes.

Du temps où je travaillais sous couverture, j’ai pu être témoin de l’entrée de nombreux jeunes hommes dans le monde du crime organisé, succombant à l’attrait de l’argent généré par les drogues, et accrochés par ceux qui, membres de ces gangs organisés, avaient commencé par les fournir en Cannabis. J’ai pu observer comment ces jeunes changeaient du tout au tout pour devenir la personne comme le marché noir en a besoin : en l’espace de quelques mois je les ai vus apprendre la violence et l’intimidation d’une manière qu’ils n’auraient eux-mêmes jamais pu imaginer plus jeunes. Et pour chaque opération de police réussie délogeant un dealer, c’en était un plus jeune qui le remplaçait au pied levé. L’état actuel de nos zones urbaines est façonné par ce marché lucratif et dérégulé et par l’impact qu’a ce crime organisé sur la jeunesse.

Quels que puissent être les dommages pour les adultes consentants, l’usage de Cannabis n’est pas fait pour les enfants.

Neil Woods

Des dealers toujours plus jeunes vendant à des utilisateurs toujours plus jeunes. La voilà la situation, la voilà la prohibition. Alors, si nous légalisions et régulions ? Si nous enlevions le contrôle des mains du crime organisé ? Quel message cela donnerait-il ?

Le message donné serait que quels que puissent en être les dommages pour les adultes consentants, l’usage de Cannabis n’est pas fait pour les enfants. Cela enverrait le message que nous voulons retirer l’influence qu’a le crime organisé sur nos jeunes. Cela enverrait le message que nous n’acceptons pas la lente érosion de nos villes en ne permettant plus l’intimidation et la corruption du crime organisé.

Le député Paul Flynn conduira les débats parlementaires le 12 octobre prochain. Cela fait longtemps qu’il cherche à faire passer un message de raison sur ce sujet, et a milité depuis des décennies pour des politiques en matière de drogues basées sur des preuves et des réalités établies. Tous ceux d’entre nous [et Chanvre & Libertés se joint à eux] qui travaillent à la réforme des ces lois l’admirent, et lui souhaitent le meilleur pour cette échéance du 12 octobre..

A l’attention de chaque député qui prendra part aux débats : j’espère que l’initiative ne se perdra pas dans les détails des dommages associés à l’usage chez les adultes ; pour toute substance, quels qu’en soient les dommages, la prohibition ne fera rien pour les atténuer. C’est la jeunesse que la prohibition met spécialement en danger. Alors, je vous en conjure, pensez aux enfants.

 

Neil Woods, ancien policier anglais,

7 octobre 2015

LEAP UK

Lire la version originale de la lettre : www.ukleap.org/think-of-the-children
Pour en savoir plus sur l’usage de cannabis par les jeunes en France, lire notre récente analyse des dernières données du baromètre santé de l’INPES : Cannabis, on-dits et non-dits derrière les chiffres.