NOTA BENE : Ce texte représente l’avis de Me Nicolas Hachet, avocat au barreau de Bordeaux, et non celui de l’association, qui s’oppose elle clairement à la mise en place de cette amende forfaitaire délictuelle. En effet, même si ce point de vue peut être intéressant, cette amende forfaitaire délictuelle n’est pour nous qu’un outil supplémentaire pour continuer dans un élan répressif avoué. Avec elle, c’est la séparation des pouvoirs et de l’individualisation des peines. Les forces de l’ordre devenant désormais autorités de constatation et de jugement. Autrement dit, son application se fera à la tête du client, ce qui risque d’avantager certains usagers par rapport à d’autres face à la justice…

Les usagers de stupéfiants peuvent-ils se féliciter de l’annonce de notre nouveau chef du gouvernement?

Les précisons apportées par notre nouveau premier ministre, Monsieur Jean CASTEX quant à la mise en place de l’amende délictuelle forfaitaire applicable aux faits de consommations de stupéfiants ne peuvent être accueillies qu’avec un certain enthousiasme pour les usagers de stupéfiants.

Si la loi du 23 mars 2019 a en effet autorisé le principe du recours à l’amende forfaitaire en matière d’usage de stupéfiant et fixé son montant (article L 3421-1 3° du code de la santé publique), c’est bien monsieur le premier ministre qui a précisé, dans une allocution du 25 juillet dernier, les quantités désormais considérées comme relevant du simple délit d’usage illicite (auquel on peux donc appliquer l’amende forfaitaire de 200 €) et non plus considérées comme relevant du délit de détention.

Et c’est avec une certaine surprise qu’on apprend que cette limite est désormais fixée à 100 grammes de cannabis et 10 grammes de cocaïne par personne.

Pour rappel, il aura fallu attendre un arrêt de 2014 pour que la Chambre criminelle de la Cour de cassation accepte de juger qu’une petite quantité de cannabis soit considérée, en dehors de toute preuve de trafic, comme relevant de l’infraction d’usage illicite de stupéfiant (article L.3421-1 du code de la santé publique qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 1 an de prison et 3750 € d’amende) et non plus comme relavant de l’infraction de détention illicite de stupéfiant (article 222-37 du code pénal qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans de détention et 750 000 € d’amende) « les dispositions spéciales de l’article L.3421-1 du code de la santé publique, incriminant l’usage illicite de produits stupéfiants, excluent l’application de l’article 222-37 du code pénal, incriminant la détention de tels produits, s’il est établi que les substances détenues étaient exclusivement destinées à la consommation personnelle du prévenu » (Cass. Crim. arrêt n° 5262 du 16 septembre 2014, n° 14-90.036).

Cette position a été réaffirmée par la même Chambre criminelle en 2017 (Cass. Crim. 14 mars 2017, n° 16-81805). Dans cette seconde affaire, la Cour d’appel et le Tribunal correctionnel avaient pourtant condamné le prévenu sur le fondement du délit de détention (l’article 222-37 du code pénal) pour seulement 3 grammes de résine de cannabis.

En pratique, même si la Cour de cassation impose la démonstration de l’absence de trafic, les tribunaux ont souvent adopté des critères purement quantitatifs, parfaitement opaques et locaux pour distinguer l’usage et la détention. L’annonce du 25 juillet 2020 aura donc pour premier mérite de fixer de façon uniforme, nationale et public les quantités désormais « tolérées » comme relevant du simple usage.

Elle aura ensuite permis de soustraire de la répression pour trafic, des quantités bien supérieures à celles des pratiques judiciaires. Combien de consommateurs arrêtés, jugés et condamnés auraient rêvé de s’en sortir avec une simple amende de 200 € (150 € si elle est payée dans les 15 jours) pour 100 grammes de cannabis et/ou 10 gramme de cocaïne! En lieux et place, combien de peines de suris avec mise à l’épreuve, combien d’injonctions de soins, combien de peines de prison ferme, combien de mois de détention provisoire auront été assénés au cours des 50 dernières années et pour quel résultat ?

Cette annonce est donc avant tout un soulagement pour des centaines de milliers de citoyens utilisateurs de stupéfiants qui n’auront désormais plus à craindre « que » les 150 € d’amende et non plus les longues heures de garde à vue ( pouvant aller en matière de stupéfiant comme de terrorisme jusqu’à 96 heures avec intervention de l’avocat à la 72 heure quand la durée maximale d’une garde à vue pour meurtre est de 48 heures avec intervention de l’avocat dès la première heure), les perquisitions de jour comme de nuit, les déferrements, les comparutions immédiates, les mises en examen, les contrôles judiciaires …

Se faisant notre nouveau premier ministre annonce aussi l’effondrement d’un régime répressif à bout de souffle.

Sur le plan pratique d’abord, et même si le discours est légitimement teinté de fermeté à grand renfort de tolérance zéro, de réponse répressive immédiate et de « lutte contre les points de vente qui gangrènent les quartiers », tout le monde aura compris que passer de 10 ans de détention délictuelle pour de la détention ( article 222-37 du Code pénal) à 150 € d’amende délictuelle pour de l’usage ( nouveau 3 ° de L 3421-1 du code de la santé publique) revient à sonner généreusement la fin de la répression de l’usage de stupéfiant en France.

Sur la plan théorique ensuite, le recours à l’amende forfaitaire délictuelle marque une rupture fondamentale avec l’esprit de la loi du 31 décembre 1970. Incriminant pénalement et pour la première fois en France le simple usage illicite de stupéfiant, la loi de 1970 revendiquait un objectif sanitaire et curatif au titre de la lutte contre la toxicomanie. Il convenait dans l’esprit du législateur d’aider les usagers de stupéfiants, considéré avant tout comme des malades, à se sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvaient. Le droit mettait alors à la disposition de la justice différentes sanctions, dans le cadre d’un traitement pénal différencié, individualisé et adapté au niveau de toxicomanie de chaque délinquant. Ce dispositif logiquement intégré dans le code de la santé publique au titre de la « lutte contre les maladies et les dépendances », prévoyait pour les cas les plus avancés de toxicomanie, ceux qui nécessitent un sevrage impossible à réaliser en milieux ouvert, une peine d’un an d’emprisonnement.

Pour les cas moins avancés de toxicomanie, l’article L.3423-1 du code de la santé publique autorisait les juridictions à enjoindre le délinquant à se soumettre à une mesure d’injonction thérapeutique en échange de l’abandon des poursuites lorsque cette mesure était suivie jusqu’à son terme. Le fait de se soustraire à l’exécution de cette injonction était quant à lui puni, selon l’article L.3425-2, des peines prévues à l’article L.3421-1 (un an de prison et 3750 € d’amende).

La peine d’amende attachée au délit d’usage, qui ne saurait à elle seule revendiquer par nature un quelconque objectif curatif, venait donc avec la peine d’emprisonnement soutenir la mesure d’injonction thérapeutique en rendant le respect de celle-ci contraignante.

Dans la mesure où la nouvelle peine d’amende délictuelle forfaitaire est désormais détachée de toute prise en charge médicale (ou de tout stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants), on ne peut que s’interroger sur le nouveau fondement juridique du délit d’usage illicite de stupéfiant.

Cette fragilité théorique, couplée avec le caractère injuste de toute sanction forfaitaire – d’une simple « taff » jusqu’à 100 grammes – laisse peu d’espoir pour l’avenir de la prohibition.

On ne peut donc que se féliciter de l’annonce du 25 juillet 2020, qui fixe les niveaux de quantités qui seront bientôt autorisées.

Et si les plus impatients peuvent légitiment regretter que Monsieur le premier ministre n’ait pas utilisé les quantités ainsi annoncées pour fixer dès aujourd’hui la limite légale et autorisée (en y incluant bien sur l’auto-productuon de plants de cannabis), on rappellera que dans notre système juridique seules les lois et les décisions de justice de nature constitutionnelle peuvent, au nom du peuple français, abroger une interdiction pénale de nature délictuelle.

BORDEAUX le 28/07/2020 

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